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application métallique, fixée au moyen d'un mastic, dont se manifeste à nos sens. Il faudra donc, dans la perspecil regrettait, disait-il, de n'avoir pu découvrir la compo- tive, nous occuper de ces deux aspects qui donnent naissition. Gaimard se montra plus ingénieux dans son exa-sance à deux branches distinctes: la perspective linéaire, men. Selon lui, tout le secret se bornait à percer la dent et le métal, et à fixer celui-ci avec de petites goupilles de la même matière. « Pour obtenir plus de solidité, ajouta le savant naturaliste, on rive les pointes par derrière. M. Duperrey faisait partie de la même expédition: il vit les dents d'or; il les examina avec la rigueur mathématique qu'il met, comme l'on sait, dans toutes ses observations. Selon lui, on devait mettre en doute la perforation de la dent, et il pensa, non sans raison, qu'on pouvait obtenir plus simplement le même résultat en introduisant les goupilles entre la dent d'or et les deux latérales. Nous ignorons si, avec les progrès de la civilisation, les belles dames de Coupang n'ont pas empiété sur les droits des radjas.

LA PHOTOGRAPHIE (1).
Suite. Voy. p. 43, 78.

IV. DE LA PERSPECTIVE.

Il ne s'agit pas, pour obtenir un portrait, de mettre l'instrument en face du modèle et d'en faire une épreuve telle quelle. Un portrait n'est bon qu'autant que certaines règles ont présidé à sa formation. Ces règles sont la base de tous les genres de dessin, et par conséquent doivent s'appliquer à la photographie; ce sont les règles élémentaires de la perspective. Sans doute, la construction elle-même de l'objectif les simplifie plus que quand nous ne sommes guidés que par notre œil pour faire obéir notre main, mais il en est qui restent indispensables et que nous allons essayer de faire comprendre.

Tout le monde sait que la perspective a pour objet de représenter sur une surface donnée, tableau, dessin, photographie, l'ensemble et les détails des objets extérieurs que la nature nous offre dispersés à des distances différentes et inégales de notre œil. Or la forme et la couleur sont les deux manières par lesquelles le monde extérieur

qui applique les principes simples de la géométrie, et qui,
pour la photographie, est donnée en partie par l'objectif;
---en second lieu, la perspective aérienne, dont le photo-
graphe est beaucoup plus maître, tant à cause du procédé
qu'il choisit que de l'éclairage approprié dont il dispose.
Le choix de l'angle visuel (on appelle ainsi l'espace em-
brassé par l'oeil sans déplacement sur la ligne d'horizon)
est ici une donnée invariable, puisque son amplitude est
fixée par l'objectif; mais le choix de l'horizon rationnel est
une donnée variable qui reste à l'artiste et qui est d'une
grande importance, parce que, une fois cet horizon fixé,
l'instrument donne le reste par conséquent, si l'opérateur
le fixe mal, tout est mauvais; s'il le choisit bien, tout est bon.
La ligne d'horizon, presque toujours fictive dans le por-
trait, doit se trouver à la hauteur de l'œil du dessinateur,
et, suivant que ce dernier monte ou descend, cette ligne
s'élève ou s'abaisse avec lui.

L'œil qui dessine, pour le photographe c'est l'objectif. Par conséquent le plan d'horizon réel ou fictif passera toujours par le centre de cet instrument, et s'élèvera ou s'abaissera suivant le mouvement ou la position que nous lui ferons prendre. Fait sans discernement, le choix de l'horizon rend difformes ou désagréables, difficiles même à reconnaître au premier coup d'oeil, des objets que l'objectif a reproduits cependant avec une exacte vérité.

D'autre part, le point de vue étant le sommet de l'angle optique qui embrasse un objet (l'angle optique est celui formé par les axes principaux des deux yeux lorsqu'ils sont dirigés vers un même point), il est naturellement sur une ligne passant au centre de l'objectif, et dont le prolongement peut être marqué d'avance sur la glace dépolie comme point de centre de figure, qu'il suffira de placer alors avec intelligence sur l'image du modèle pour chercher et obtenir le meilleur effet possible.

La hauteur de l'horizon étant déterminée, le point de vue peut à volonté être placé sur chaque point de son étendue; mais, pour le photographe, il sera presque toujours

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central, afin qu'on puisse éviter les déformations. On a ainsi le point de vue principal en face du portrait, et comme (*) Remarquons qu'il existe entre le daguerréotype et la photographie une différence essentielle. Le daguerréotype arrive directement à une épreuve finale ou positive, tandis que pour la photographie il faut obtenir d'abord une épreuve inverse de la nature, ou négative, qui sert à son tour à créer l'épreuve finale, ou positive, en nombre aussi grand qu'on le veut. Cette distinction indique donc entre ces deux procédés une dissemblance radicale.

On accorde au daguerréotype la finesse des lignes, un modelé merveilleux et une vérité saisissante; mais on lui reproche un miroitage fatigant et disgracieux, l'inconvénient de ne fournir qu'une image, enfin sa fragilité extrême et l'impossibilité d'épreuves un peu grandes. A la photographie on doit reconnaître une finesse suffisante et au

FIG. 8.

Point de vue trop en dessus.

nous avons dit que ce point est un des points de la ligne d'horizon, il s'élèvera ou s'abaissera avec elle.

delà, un modelé plus puissant, pas de miroitage, moins de poids, pas de fragilité, l'avantage de multiplier à volonté les épreuves et de les pouvoir faire aussi grandes que possible; mais on trouve dans la photographie une moins grande certitude de durée, par suite de la nature même de la feuille de papier et des produits qui forment l'image. En somme, elle a moins d'inconvénients et plus d'avantages: elle constitue donc un véritable progrès.

Résumons-nous. Deux grandes divisions scindent l'étude de la photographie: l'épreuve négative, qu'on appelle aussi, quoique improprement, cliché, et l'épreuve finale ou positive, qui est, en définitive, le but auquel on atteint et la forme sous laquelle la photographie se présente au public.

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lants. Le même effet se produirait en sens inverse (fig. 7 et 8) si, le modèle étant debout, le photographe était assis; l'horizon étant à mi-hauteur du sujet, l'ovale et les lignes du visage seraient nécessairement raccourcis et déformés.

En général, la ligne d'horizon doit varier entre la ligne des yeux et celle des seins; plus elle est basse, plus le portrait a grand air, mais plus il tend à se déformer. Il faut ici du goût et du jugement. Il ne faut pas perdre de vue que la ligne d'horizon que l'on voit ordinairement aux environs des genoux dans les portraits photographiés n'est pas la véritable, mais l'intersection du plan de fond avec le sol. Comme le fond est indispensable, de quelque couleur qu'on le choisisse, et comme il doit venir en même temps que le portrait, il s'ensuit qu'il forme une ligne d'horizon factice et de convention, placée d'autant plus bas que le modèle est plus près de lui. Si nous opérions en rase campagne, la ligne d'horizon remonterait tellement qu'elle se confondrait avec l'horizon réel, et se trouverait couper le modèle à la hauteur exacte que nous aurions choisie.

Le choix de la ligne d'horizon est aussi important dans les portraits que dans les paysages et les diverses scènes de la nature. En général, plus on voudra de développement, plus l'horizon s'élèvera; ce qui est rationnel, puisque alors on est censé monter avec lui et découvrir la plaine d'un point culminant. Cela n'est que bien rarement favorable à la photographie. En général, l'horizon placé au-dessous de la stature d'homme lui permet des effets plus gracieux.

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d'alcool. Cette dissolution, de consistance sirupeuse et semblable à de la gomme, est, en quelque sorte, un papier liquide que l'on étend en couche très-mince à la surface d'une glace. Ce papier liquide contient les sels impressionnables à la lumière, est doué d'une exquise sensibilité, et, par cela même, exposé à une assez grande inconstance dans les résultats.

Cependant, avec de l'attention et de la pratique, on arrive assez vite à un ensemble de formules et de manipulations qui laissent peu de prise à l'imprévu. Il serait imprudent d'affirmer qu'en suivant les prescriptions que nous donnons aussi élémentaires que possible, on arrivera sans encombre au but; dans quelque science que ce soit, un résultat si heureux et si prompt n'est pas possible: le commençant fera des fautes; il les payera immédiatement, parce que les réactions chimiques ne pardonnent point, et s'accomplissent en dépit de nous-même. Méfiez-vous done constamment de ce que vous manipulez, et, avant de mettre plusieurs corps en présence, réfléchissez deux fois plutôt qu'une, ce ne sera jamais du temps perdu.

Lavage des glaces. Le nettoyage des glaces est une opération importante; car, avant toutes choses, il faut être certain que la surface sur laquelle on opérera ne sera pas une cause d'insuccès. Les glaces, qu'elles aient servi ou non, doivent être frottées doucement au moyen d'un chiffon imprégné de:

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Eau......

100 centigrammes cubes;

Cyanure de potassium.... 10 grammes;
15 grammes;

Carbonate de potasse....

puis plongées dans une première eau.

Il faut éviter surtout de les froisser les unes sur les autres, parce que leur surface assez tendre se raye facilement, et qu'une surface rayée donne une image rayée an négatif. Les glaces, enduites comme nous avons dit, seront frottées soigneusement à la main dans cette première eau, qui devient savonneuse; puis elles seront mises dans une seconde, frottées une seconde fois de même; ensuite dans une troisième; enfin, essuyées avec un linge de coton fin et sans peluche, et mises dans leurs boîtes.

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Au moment de faire l'épreuve, on fixe la glace sur un porte-glace (fig. 10), on la frotte (fig. 9) d'un peu d'alcool contenu dans un flacon dont le bouchon est traversé d'une plume; on étend et on sèche ce liquide avec un linge de coton usé très-propre et très-mince. Alors si, en hâlant sur la surface, on voit un léger nuage formé par l'humidité se retirer également, la glace est pure et prête à servir. La suite à une autre livraison.

Typographie de J Best, rue Saint-Maur-Saint-Germain, 15.

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La Cascade de Géhart (Vosges). - Dessin de Chauvel, d'après Bellel. Les paysagistes contemporains font profession de s'inspirer directement de la nature; ils ont quitté les arbres de fantaisie, la verdure de convention, les moulins et les fabriques semés à tort et à travers, comme les ruines dans un jardin de Delille; cependant, ils n'en désirent pas moins atteindre le but suprême de l'art, qui est la beauté. Parmi les physionomies sans nombre des horizons, parmi

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les sites des vallées et des montagnes, ils cherchent et trouvent des modèles: ils composent la nature en choisissant leur point de vue; au besoin même, transposant un rocher, un bouleau, un rayon de soleil, un souvenir, ils la corrigent et se l'assimilent pleinement. Ils peuvent aussi fondre entre elles diverses études rapportées de leurs voyages; toute combinaison leur est permise, pourvu que

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les éléments en soient vrais et l'aspect vraisemblable. Mais il arrive très-souvent que la nature a prévenu tous les caprices de notre imagination; et, sans aller chercher la pureté des lignes en Italie, la bizarrerie des formes en Norvége ou en Laponie, la splendeur et l'ombre en Afrique ou en Natolie, beaucoup de nos meilleurs peintres rencontrent en France des tableaux tout prêts à être transportés sur toile; ils explorent, qui la Normandie aux grasses collines, qui le Morvan, les Cévennes, l'Auvergne plus poétique par ses montagnes que par ses habitants, qui la chaine encore très-inconnue des Vosges: tel Français a vu Rome et ne connait pas Fontainebleau; quand on sait que les cimes des Vosges se nomment ballons, tout est dit ou à peu près. Mais espérons que, d'ici à peu d'années, les travaux des dessinateurs et des peintres répandront chez nous la connaissance de notre pays et fourniront les matériaux d'une géographie pittoresque aussi féconde en beaux sites qu'une description de l'Italie ou de la Grèce. La cascade de Géhart est située dans la vallée des Roches, à une heure environ de Plombières, lorsqu'on s'y rend en voiture; mais il faut y aller à pied pour goûter tout le charme de l'excursion. En sortant de Plombières par la promenade des Dames, vous laissez sur la gauche la route de Remiremont; sur votre droite s'ouvre un sentier couvert et très-boisé, qui mène au Moulin-Joli, ou plutôt aux ruines de ce moulin, but favori des promenades de l'impératrice Joséphine: ce qui reste des bâtiments n'offre plus rien de particulier; on voudrait là quelque roue arrêtée, des fleurs sur les murs crevassés et un vieux jardin à l'abandon, où les légumes et les roses retournent à l'état sauvage. Du Moulin-Joli, un chemin planté d'ormes, de frênes et d'érables magnifiques conduit à la vallée des Roches; là commence le plus épais d'une vaste et grandiose forêt de sapins et de hêtres, si serrés les uns contre les autres que le jour pénètre à peine le sombre tissu des rameaux. L'artiste éminent, M. Bellel, dont nous reproduisons le dessin, nous disait : « Rien n'est bean comme l'intérieur de cette forêt. »>

Après une heure de marche sous bois, vous arrivez à une scierie placée sur la droite; et là où commence la route conduisant de la vallée des Roches à l'ancienne abbaye d'Hérival, vous traversez un pont rustique ombragé de hêtres et de mélèzes, dont les branches couvrent comme un berceau le sentier au bout duquel un poteau vous indique le chemin de la cascade.

C'est une route escarpée qui passe en face de la chute; en été, l'on risque fort d'y chercher en vain un filet d'eau: ni la hauteur, ni la beauté de la nappe ne caractérisent la cascade; mais le chemin est réellement merveilleux et le site a de quoi ravir l'artiste le plus exigeant. Des sapins gigantesques, les aînés de la forêt, ajoutaient encore autrefois à l'expression de solitaire majesté qui revêt ce lieu; mais le passage de la route en a fait des mâts de vaisseau peut-être aujourd'hui échoués sur quelque bord ignoré. La cascade est couronnée par le sommet de la montagne, et entourée par la forêt immense, dont les arbres embrassent de leurs racines les blocs monstrueux de granit roux et gris.

VOYAGE AU-DESSUS DE L'ATLANTIQUE (').
Premier article.

Mon cher ami, pourquoi me blamer? ne suis-je pas libre d'employer ma vie de la manière où je trouve le plus de chance d'être utile à moi et aux autres? Certainement (1) Le hasard a fait tomber la correspondance suivante entre nos mains. Est-elle réelle? est-elle imaginaire?

F

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il est possible que j'échoue, mais je n'échouerai pas sans mérite; car je ne survivrai pas à ma mésaventure, et ma personne même aura servi de gage au sérieux de l'entreprise où je me risque. Mais si je réussis, comme je l'espère, comme j'ai toute raison de l'espérer, quelle destinée! J'inaugure entre les deux mondes une voie nouvelle et pleine d'avenir; je complète l'œuvre de Colomb, et, pour mon coup d'essai, je me range d'un bond parmi les bienfaiteurs du genre humain. Oui, mon cher, voilà tout au juste l'ambition de votre ami, et je compte bien, avant quinze jours, vous avoir fourni la preuve qu'elle ne repose pas sur un vain rêve.

Sans doute, il eût été plus conforme aux lois de cette prétendue sagesse qui se nomme routine de continuer avec vous et nos braves camarades notre paisible et monotone existence des écoles; mais à quel avenir cela me conduisait-il? Je n'ai jamais eu grand goût, vous le savez, pour les professions régulières, et depuis notre sortie du lycée, vous, modèle de l'ordre et de la ponctualité, vous n'avez guère cessé de me sermonner à ce sujet. Mais chacun a sa voie en ce monde, et nos instincts, interrogés en conscience, suffisent pour nous avertir quand nous nous méprenons. Pour moi, bien que jusqu'ici les circonstances ne se soient guère prêtées à mes vœux, je me sens né pour les hautes aventures, et, en m'y jetant, je ne fais qu'obéir à ma vocation vraie. La mort de ma mère, en créant le vide autour de moi, a achevé de me mettre en pleine liberté à cet égard. J'ai perdu tout ce qui me liait au monde, et je me sens seul au milieu d'une fourmilière qui ne me connaît pas. J'ai des amis; mais, vous à part, que suis-je pour eux? Un compagnon; compagnon souvent maussade, absorbé, peu amusant. Et combien dureront leurs regrets? Le temps de fumer un cigare; et mon oraison funèbre sera bientôt faite! Les torts ont peut-être été de mon côté, et je ne récrimine pas; la préoccupation dans laquelle je vis m'a mis en dehors des autres, et il est naturel que l'on m'ait jugé peu sympathique, parce qu'au fond j'avais plus à cœur le service du genre humain que la satisfaction des quelques individus jetés par le hasard sur mon passage. Quoi qu'il en soit, je me sens maître de moi, et s'il me plaît d'offrir ma vie à Dieu pour un intérêt élevé, Dieu seul est mon juge. Qu'il entre dans ses plans de me faire réussir ou de me faire échouer, il ne me tiendra pas moins compte de la droiture de mon intention, et j'ai foi que mon sacrifice sera récompensé, si ce n'est dans ce monde, auquel je ne tiens pas outre mesure, dans quelque autre du moins qui le vaudra bien,

Et d'où m'est venue, après tout, l'idée à laquelle je me suis voué? L'ai-je reçue de quelqu'un? M'y suis-je arrêté par calcul? Aussi loin que je puis remonter dans l'histoire de mes pensées, je la trouve présente. Du jour où j'ai ́entendu parler de l'ancien monde et du nouveau monde, je me suis demandé comment il pouvait y avoir deux mondes sur la terre. Si Dieu a mis ces deux continents à la surface du même globe, c'est qu'il doit exister quelque moyen commode de les réunir en un seul. De nos jours, la vapeur et l'électricité ont donné aux communications avec l'Amérique un mouvement dont je ne méconnais sans doute pas l'importance; mais là, comme partout, il est de toute nécessité d'arriver aux méthodes rapides, et puisque la mer ne s'y prête pas, il faut que l'atmosphère nous les fournisse. Ce n'est donc pas à la surface de la planète, comme pour les distances de terre ferme, c'est au-dessus que nous avons à chercher la voie. Et quelle différence! Il n'y a pas ici à la créer à force de dépenses et de temps; nous la trouvons toute préparée de la main de la nature, toute plane, toute coulante, munie même, comme les fleuves, de moteurs gratuits et d'une indéfectible énergie.

Voyez ! je m'embarque demain dans les vents alizés, plus tranquille dans ma nacelle que le nabab dans son palanquin; je n'ai rien à faire qu'à me laisser porter, et dans quatre ou cinq jours au plus, Dieu aidant, je pose le pied sur l'Amérique, ayant ouvert un chemin que des milliers de voyageurs fréquenteront bientôt. Eh quoi! dira-t-on aussi à mon sujet, ce n'était pas plus difficile que cela Non; mais, comme pour découvrir le nouveau monde, il fallait s'aviser et oser.

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raconte des hommes qui faisaient leurs demeures de semblables forteresses, incommodes voisins autant qu'ennemis redoutables, et qui se faisaient craindre parfois du roi même leur suzerain.

La masse imposante des ruines de Coucy domine encore, comme autrefois, toute la contrée. Bàti à l'extrémité d'un plateau qui s'avance, comme un long promontoire, entre la riche vallée de l'Oise et celle de l'Ailette, que sa fertilité a fait surnommer la vallée d'Or, le château est placé dans la situation la plus heureuse et la plus pittoresque, en même temps que dans la plus forte position militaire. Du haut de ses murs, le coup d'œil est admirable. Bornée au sud par les collines du Soissonnais et au nord par la forêt de Saint-Gobain, la vue est surtout étendue à l'est et à l'ouest d'un côté, le regard, suivant dans la vallée le cours sinueux de l'Ailette, découvre de distance en distance des villages à demi cachés par les plis du terrain, et s'arrête au loin sur la haute tour du château de Pinon; de l'autre on aperçoit Folembray, Trosly-Loire, Saint-Paulaux-Bois, Blérancourt, Quierzy, et à l'horizon la ville de Chauny et les clochers de Noyon. La puissance des sires de Coucy s'étendait plus loin encore. Lorsque, à la mort d'Enguerrand VII, en 1397, ses deux filles se partagérent sa succession, la baronnie de Coucy comprenait le comité de Soissons, les terres de Coucy, Marle, la Fère, SaintLambert, Origny, Saint-Aubin, Saint-Gobain, le Chastellier, Ham, Pinon, Montcornet en Thiérache; cent cinquante villes ou villages et de nombreux châteaux en dépendaient. A diverses époques, les sires de Coucy avaient ajouté d'autres titres et d'autres domaines à ceux qui comrosaient leur bien patrimonial."

Voilà, mon cher ami, pourquoi je suis à Palos! Ne croyez point que ce soit par pure superstition que j'aie choisi ce point de partance: il était exactement dans les conditions que m'imposent les calculs de ma route; mais je ne nierai point que je n'aie cu pour lui une certaine prédilection poétique. Il me plait de me sentir, dès le départ, dans ce rapport avec l'illustre navigateur dont je me prépare à reprendre la trace, et mon imagination, si je lui permettais de telles licences, irait même, j'en conviens, jusqu'à se persuader qu'il naîtra de là quelque influence qui me portera bonheur. Du reste, mes apprêts sont entourés ici de tout le silence et de toute l'obscurité que j'ai souhaités. Ils marchent plus lentement que je ne l'aurais voulu; mais mon entourage ne s'étonne pas outre mesure, car on a déjà vu à Séville des aérostats, et il s'est accrédité ici que le mien est destiné à faire apparition dans une fête qui s'annonce pour ces jours-ci. Si donc un de ces matins on ne me retrouve plus, on pensera tout simplement que le vent a enlevé le saltimbanque avec sa machine pendant la nuit, et comme tout le monde est payé, il ne sera bientôt plus question de cette histoire. Quant à nos amis qui me croient en Bretagne, à canoter, tandis que je n'y suis allé que pour me défaire de mon On peut faire remonter l'histoire de Coucy jusqu'à la petit héritage et réaliser les fonds dont j'avais besoin, il conquête des Gaules par les Franes. Coucy se trouvait s'établira sans peine, si l'on n'entend plus parler de moi, compris parmi les terres qui échurent en partage à Clovis que quelque coup de mer m'a chavire; et ma mémoire, si vainqueur du Romain Syagrius, après la bataille de Soisvous voulez bien me garder le secret, ne tardera pas à être sons, en 486. Le roi franc donna ce domaine, ainsi que ensevelie aussi complétement que ma personne. J'y tiens, ceux de Leuilly et d'Anizy, à l'archevêque de Reims saint car l'idée que je ne trouverais peut-être que le ridicule, Remy, et Coucy resta la possession de l'église de Reims après avoir visé au grandiose, me serait trop dure. Je durant quatre cents ans. C'est au neuvième siècle que le sais comment procède l'opinion que je réussisse, je serai premier château de Coucy fut construit par Hervé, archeun génie; qu'un défaut dans l'étoffe de mon ballon vienne vêque de Reims, afin de défendre le pays contre les Nordéjouer mes plans, je ne serai qu'un fou victime de son am- mands, qui en avaient ravagé déjà les terres et mis la ville bition et de sa suffisance. Aussi mon dilenme est-il inflexible- au pillage. Les habitants des campagnes environnantes ment posé ou le néant, ou le succès; et confiant en Dieu vinrent se réfugier sous l'abri du fort; les habitations et dans l'immortalité, je suis prêt à l'un comme à l'autre. groupées alentour sont devenues la ville qui porte encore Mais j'espère, j'espère! Une voix secrète m'encourage; le nom de Coucy-le-Château, tandis que Coney-la-Ville, et tout à l'heure, en voyant quelques flocons chassés par sans doute autrefois l'endroit le plus peuplé, n'est plus aule vent d'est dans les hauteurs de l'air, je tendais, comme jourd'hui qu'un village. L'église de Reinis ne conserva pas malgré moi, mes deux mains vers le ciel, et il me semblait le domaine de Coucy. Le château qui, dans l'intention des que je m'enlevais déjà, et que ma course solitaire et triom- fondateurs, devait lui en assurer la possession, ne fit peutphante commençait. être qu'en hâter la perte, en excitant l'ardente convoitise des seigneurs du voisinage, qui s'en emparèrent à plusieurs reprises. Les noms de la plupart de ceux qui possédèrent cette riche proie jusqu'au milieu du onzième siècle sont demeurés inconnus; mais on sait qu'en 1059 le château et les terres qui en dépendaient appartenaient à un seigneur du nom d'Albéric, descendant, à ce que l'on croit, des anciens comtes de Vermandois, et qui fut la souche de la famille de Coucy. Son petit-fils Enguerrand, le premier qui ait rendu célèbre ce nom porté par plusieurs de ses successeurs, possédait, outre la terre de Coucy, la baronnie de Boves et le comté d'Amiens; par son mariage avec Ade de Roucy, il devint encore seigneur de Marle et de la Fère. Cousin de Godefroi comte de Namur, proche parent de Baudouin du Bourg, qui fut roi de Jérusalem, le sire de Coucy était dès lors un des plus riches et des plus puissants seigneurs du royaume. La vie d'Enguerrand fut remplie par les guerres sanglantes qu'il

Un petit serin devenu aveugle ne se défend plus de ses compagnons de volière à coups de bec, selon l'habitude des oiseaux; mais comprenant sans doute que ses coups porteraient dans le vide, il étend ses ailes et les bat vivement en tournant sur lui-même pour écarter l'ennemi; et cette tactique est si bien calculée qu'elle ne manque jamais de réussir. (')

LE CHATEAU DE COUCY
(DÉPARTEMENT DE L'AISNE).

Aucun reste du moyen âge ne donne de la puissance féodale une idée plus formidable que le château de Coucy; aucun ne fait mieux comprendre ce que l'histoire nous () Mme Marie Pape-Carpantier, le Secret des grains de sable.

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