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DU SIECLE

DE

LOUIS X V.

CHAPITRE PREMIER.

Tableau de l'Europe après la mort de Louis XIV.

Nous avons donné avec quelque étendue une

idée du fiècle de Louis XIV, fiècle des grands hommes, des beaux arts et de la politeffe: il fut marqué, il eft vrai, comme tous les autres, par des calamités publiques et particulières, inféparables de la nature humaine; mais tout ce qui peut confoler les hommes dans la misère de leur condition faible et périffable, femble avoir été prodigué dans ce fiècle. Il faut voir maintenant ce qui fuivit ce règne, orageux dans fon commencement, brillant du plus grand éclat pendant cinquante années, mêlé enfuite de grandes adverfités et de quelque bonheur, et finiffant dans une trifteffe affez fombre, après avoir commencé dans des factions turbulentes.

Précis du Siècle de Louis XV.

A.

Teftament de Louis XIV caffé.

Louis XV était un enfant orphelin. Il eût été trop long, trop difficile et trop dangereux d'affembler Sept. 1715. les états-généraux pour régler les prétentions à la régence. Le parlement de Paris l'avait déjà donnée à deux reines: il la donna au duc d'Orléans. Il avait caffé le teftament de Louis XIII: il caffa celui de Louis XIV. Philippe, duc d'Orléans, petit-fils de France, fut déclaré maître abfolu par ce même parlement qu'il envoya bientôt après en exil. (a)

(a) Après tous les absurdes mensonges qu'on a été forcé de relever dans les prétendus mémoires de madame de Maintenon, et dans les notes de la Beaumelle, inférées dans son édition du Siècle de Louis XIV, à Francfort, le lecteur ne fera point furpris que cet auteur ait ofé avancer que la grand' falle était remplie d'officiers armés fous leurs habits. Cela n'eft pas vrai ; j'y étais; il y avait beaucoup plus de gens de robe et de fimples citoyens que d'officiers. Nulle apparence d'aucun parti, encore moins de tumulte. Il eût été de la plus grande folie d'introduire des gens apoftés avec des piftolets, et de rêvolter les efprits qui étaient tous disposes en faveur du duc d'Orléans. Il n'y avait autour du palais où l'on rend la justice qu'un détachement des gardes françaises et suiffes. Cette fable que la grand falle était pleine d'officiers armés fous leurs habits eft tirée des mémoires de la régence et de la vie de Philippe, duc d'Orléans, ouvrages de ténèbres imprimés en Hollande, et remplis de fauffetés.

L'auteur des mémoires de Maintenon avance que le préfident Lubert, le premier président de Maisons, et plufieurs membres de l'assemblée, étaient prêts de fe déclarer contre le duc d'Orléans.

Il y avait en effet un président de Lubert, mais qui n'était que préfident aux enquêtes, et qui ne se mêlait de rien. Il n'y a jamais eu de premier président de Maisons. C'était alors Claude de Mesmes, du nom d'Avaux, qui avait cette place; M. de Maisons, beau-frère du maréchal de Villars, était président à mortier, et très-attaché au duc d'Orléans. C'était chez lui que le marquis de Canillac avait arrangé le plan de la régence avec quelques autres confidens du prince. Il avait parole d'être garde des fceaux, et mourut quelque temps après. Ce font des faits publics dont j'ai été témoin, et qui fe trouvent dans les mémoires manufcrits du maréchal de Villars.

Le compilateur des mémoires de Maintenon ajoute à cette occasion que dans le traité de Rastadt, fait par le maréchal de Villars et le prince Eugène, il y a des articles fecrets qui excluent le duc d'Orléans du trône. Cela

Guerre de

contre la

1715.

Pour mieux fentir par quelle fatalité aveugle les affaires de ce monde font gouvernées, il faut remar- l'Allemagne quer que l'empire ottoman, qui avait pu attaquer Turquie, en l'empire d'Allemagne pendant la longue guerre de 1701, attendit la conclufion totale de la paix générale, pour faire la guerre contre les chrétiens. Les Turcs s'emparèrent aisément, en 1715, du Péloponèse, que le célèbre Morofini, furnommé le péloponéfiaque, avait pris fur eux vers la fin du dix-septième fiècle, et qui était resté aux Vénitiens par la paix de Carlovitz. L'empereur garant de cette paix fut obligé de se déclarer contre les Turcs. Le prince Eugène, qui les avait déjà battus autrefois à Zenta, paffa le Danube, et livra bataille près de Petervaradin, au grandvifir Ali, favori du fultan Achmet III, et remporta la victoire la plus fignalée.

Quoique les détails n'entrent point dans un plan Comte de général, on ne peut s'empêcher de rapporter ici Bonneval. l'action d'un français, célèbre par fes aventures fingulières. Un comte de Bonneval, qui avait quitté le service de France fur quelques mécontentemens du ministère, major-général alors fous le prince Eugène, fe trouva dans cette bataille entouré d'un corps nombreux de janiffaires; il n'avait auprès de lui que deux cents foldats de fon régiment; il résista

eft faux et abfurde: il n'y eut aucun article fecret dans le traité de Rastadt : c'était un traité de paix authentique. On n'insère des articles fecrets qu'entre des confédérés qui veulent cacher leurs conventions au public. Exclure le duc d'Orléans en cas de malheur, ç'eût été donner la France à Philippe V, roi d'Espagne, compétiteur de l'empereur Charles VI, avec lequel on traitait; ç'eût été détruire l'édifice de la paix d'Utrecht auquel on donnait la dernière main, outrager l'empereur, renverfer l'équilibre de l'Europe. On n'a jamais rien écrit de plus abfurde.

Victoires du prince Eugène.

1717.

Paix avec les Turcs.

1718.

une heure entière; et ayant été abattu d'un coup de lance, dix foldats qui lui reftaient le portèrent à l'armée victorieufe. Ce même homme profcrit en France vint enfuite fe marier publiquement à Paris ; et quelques années après il alla prendre le turban à Conftantinople, où il eft mort bacha,

Le grand-vifir Ali fut bleffé à mort dans la bataille. Les mœurs turques n'étaient pas encore adoucies; ce vifir, avant d'expirer, fit massacrer un général de l'empereur qui était fon prisonnier. (b)

L'année d'après, le prince Eugène affiégea Belgrade, dans laquelle il y avait près de quinze mille hommes de garnifon; il se vit lui-même affiégé par une armée innombrable de turcs, qui avançaient contre fon camp, et qui l'environnèrent de tranchées ; il était précisément dans la fituation où fe trouva Céfar en affiégeant Alexie; il s'en tira comme lui; il battit les ennemis et prit la ville; toute fon armée devait périr, mais la difcipline militaire triompha de la force et du nombre.

Ce prince mit le comble à fa gloire par la paix de Paffarovitz, qui donna Belgrade et Témefvar à l'empereur; mais les Vénitiens, pour qui on avait fait la guerre, furent abandonnés, et perdirent la Gréce fans retour.

La face des affaires ne changeait pas moins entre les princes chrétiens. L'intelligence et l'union de la France et de l'Espagne, qu'on avait tant redoutée, et qui avait alarmé tant d'Etats, fut rompue dès que Louis XIV eut les yeux fermés. Le duc d'Orléans

(b) Il s'appelait Breûner,

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