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10. Vertu.

11.

du commencement estre prudent & advisé. Le quatriefme & meilleur de tous eft une vive vertu, refolution & fermeté d'ame par laquelle on voit & on affronte les accidens fans trouble; on les lutte & on les combat. C'est une forte, noble & glorieuse impaffibilité, toute contraire à l'autre premiere, qu'avons dict baffe & ftupide. Or pour s'y former & y parvenir, fervent de beaucoup & fur-tout les difcours precedens. Le difcours eft maistre des paffions, la premeditation eft celle qui donne la trempe à l'ame & la rend dure, acerée & impenetrable à tout ce qui la veuft entamer. Le moyen propre pour appaiser & adoucir ces paffions eft les bien cognoiftre, examiner & juger quelle puiffance elles ont fur nous & quelle nous avons fur elles. Mais de cecy cy-après au long, & en ce Livre, & fuyvant, aux vertus de force & temperance.

Mais fur toutes paffions se faut très foiPrefomp-gneufement garder & delivrer de ceste philautie, prefomption & folle amour de foymefme; pefte de l'homme, ennemy capital de fageffe, vraye gangrene & corruption

de l'ame, par laquelle nous nous adorons & demeurons tant contens de nous, nous nous efcoutons & nous croyons nous-mesmes. Or nous ne fçaurions eftre en plus dangereufes mains que les noftres. C'eft un beau mot venu originellement du langage Espagnol, ô Dieu, garde-moy de moy. Cefte prefomption & folle amour de foy vient de la mecognoiffance de foy, de fa foiblesse, de fon peu, tant en general de l'infirmité & misere humaine, qu'en particulier de la fienne propre & personnelle : & jamais homme qui aura un grain de ceste folie ne parviendra à la fageffe. La bonne foy, la modeftie, la recognoiffance cordiale & ferieufe de fon peu eft un grand tefmoignage de bon & fain jugement, de droicte volonté, & ainfi une belle disposi tion à la fageffe.

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tie.

I.

Univerfelle & pleine liberté de l'efprit tant en jugement qu'en volonté.

Seconde difpofition à la sagesse.、

CHAPITRE II.

L'AUTRE difpofition à la fageffe, qui fuit

Premie cefte premiere, (qui nous a mis hors cefte re par- captivité & confufion externe & interne, Liberté populaire & paffionnée) c'est une pleine, de juge- entiere & genereuse liberté d'efprit, qui est

ment.

double, fçavoir de jugement & de volonté. Pour la premiere du jugement, nous avons L. 1. c. 7. ja affez monftré que c'est foibleffe & fottife niaise de se laiffer meiner comme buffles, croire & recevoir toutes impreffions; que les ayant receues s'y opiniastrer, condamner le contraire, c'eft folie, prefomption; perfuader & induire autruy, c'est rage & injuste tyrannie. Maintenant nous difons & donnons pour une belle & des premieres leçons de fageffe, retenir en furfeance fon jugement, c'eft-à-dire fouftenir, contenir & arrefter fon efprit dedans les barrieres de la consideration & action

fe

d'examiner, juger, poifer toutes chofes (c'eft fa vraye vie, fon exercice perpetuel) fans s'obliger ou s'engager à opinion aucune, fans refouldre ou determiner, ny coiffer ou efpoufer aucune chose. Cecy ne touche point les veritez divines que la fageffe eternelle nous a revelées, qu'il faut recevoir avec toute humilité & fubmiffion, croire & adorer tout fimplement : ny auffi les actions externes & communes de la vie, l'obfervance des loix, couftumes, & ce qui eft en usage ordinaire; non enim Deus ifta fcire, fed tantummodo uti voluit: : car en toutes ces chofes il fe faut accorder & accommoder avec le commun; ne rien gafter ou remuer. Il en faut rendre compte à autruy; mais les penfées, opinions, jugemens, font tous noftres & libres.

bien

2.

Or cecy eft premierement fe maintenir à foy & en liberté : Hoc liberiores & folu- Comtiores fumus, quia nobis integra judicandi bonne & poteflas manet. C'eft garder modestie & utile. recognoiftre de bonne foy la condition humaine pleine d'ignorance, foibleffe, incertitude: Cogitationes mortalium timida;

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incerta adinventiones noftra & providentia Deus novit cogitationes hominum quoniam vana funt. C'est aussi esviter plufieurs efcueils & dangers, comme font participer à plufieurs erreurs produites par la fantaifie humaine, & dont tout le monde eft plein: eftre puis contrainct de fe defmentir & defdire fa creance. Car combien de fois le temps nous a-il faict voir que nous nous eftions trompez & mescomptez en nos pensécs, & nous a forcez de changer d'opinion! C'est auffi s'infrafquér en querelles, divifions, disputes; offenser plufieurs partis car prenons le plus fameux party & la plus receue opinion qui foit, encore faudra-il attaquer & combattre plufieurs autres partis. Or cefte furfeance de jugement nous met à l'abry de tous ces inconveniens. C'eft auffi fe tenir en repos & tranquillité loin des agitations & des vices qui viennent de l'impreffion, de l'opinion & fcience que nous pensons avoir des chofes. Car de là viennent l'orgueil, l'ambition, les defirs immoderez, l'opiniaftreté, prefomption, amour de nouvelleté, rebellion, defobeiffance. Et puis après c'est

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