12.

5. Privation

de

ger.

voya

13.

tuelle &

fentirois, fi elles partoient de gens libres qui ofaffent dire le contraire, & me taxer advenant fubject de le faire.

Le cinquiefme eft qu'ils font privez de la liberté d'aller & voyager par le monde, eftant comme prisonniers en leurs pays, voire dans leurs palais mefmes, comme enveloppez de gens, de parleurs & regardans, & ce par-tout où ils font en toutes leurs actions, voire jufques à leur chaire percée, dont le Roy Alphonfe difoit qu'en cela les afnes eftoient de meilleure condition que les Roys.

Le fixiefme chef de leurs miferes eft 6.De mu- qu'ils font privez de toute amitié & societé cordialle mutuelle, qui eft le plus doux & le plus amitié. parfaict fruit de la vie humaine, & ne

peuft eftre qu'entre pareils ou prefque pareils. La difparité fi grande les met hors du commerce des hommes; tous ces services, humilitez & bas offices, leur font rendus par ceux qui ne les peuvent refufer, & ne viennent d'amitié mais de fubjection, ou pour s'agrandir, ou par couftume & contenance; tefmoin que les mefchans Roys font auffi bien fervis, reverez, que les bons,

les hays que les aymez; l'on n'y cognoift rien, mefme appareil, mefme ceremonie : dont refpondit l'Empereur Julien à fes courtifans qui le louoyent de fa bonne juftice: Je m'enorgueillerois par adventure de ces louanges fi elles eftoient dictes de gens qui ofaflent m'accufer, & vituperer mes actions contraires, quand elles y feroient.

14.

rance des

Le feptiefme poinct de leurs miferes pire peuft-eftre que tous & plus pernicieux 7. Ignoau public, eft qu'ils ne font pas libres aux chofes & choix des perfonnes, ny en la science captivité. vraye des chofes. Il ne leur eft permis de fçavoir au vray l'eftat des affaires, ny de cognoiftre, & par ainfi n'y employer & appeler tels qu'ils voudroient bien, & feroit bien requis. Ils font enfermez & affiegez de certaines gens qui font ou de leur fang propre, ou qui, pour la grandeur de leurs maisons & offices, ou par prescription, font fi avant en authorité, force & maniement des affaires, qu'il n'est loyfible, fans mettre tout à l'hafard, les mefcontenter, reculer, ou mettre en jaloufie, Or ces gens là qui couvrent & tien

15.

nent comme caché le prince, empeschent que toute la verité des choses ne luy apparoiffe, & qu'autres meilleurs & plus utiles ne s'en approchent & ne foient cognus ce qu'ils font: c'eft pitié de ne voir que par les yeux & n'entendre que par les oreilles d'autruy, comme font les princes. Et ce qui acheve de tous poincts ceste misere, c'eft qu'ordinairement & comme par un deftin les princes & grands font poffedez par trois fortes de gens, peftes du genre humain, flatteurs, inventeurs d'imposts, delateurs, lefquels, foubs beau & fauls pretexte de zele & amitié envers le prince, comme les deux premiers, ou de preud'hommie & reformation, comme les derniers, gastent & ruinent & le prince & l'eftat.

La huictiefme mifere eft qu'ils font moins libres & maiftres de leurs volontez que tous autres; car ils font forcez en leurs procedures par mille confiderations & refpects, dont il faut fouvent qu'ils captivent leurs deffeins, defirs & volontez : in maximá fortunâ minima licentia. Et cependant au lieu d'eftre plaincts, ils font plus

rudement traitez & jugez que tous autres: car l'on veuft deviner leurs deffeins, penetrer dedans leurs cœurs & intentions, ce que ne pouvant, abditos principis fenfus & fi quid occultius parat, exquirere, illicitum, anceps, nec ideo affequare, & regardant les chofes par autre vifage, ou n'entendant affez aux affaires d'eftat, requierent de leurs princes ce qui leur femble qu'ils doivent, blasment leurs actions, ne veulent fouffrir d'eux ce qui eft neceffaire, & leur font le procez bien rude

ment.

16.

ferable.

Finalement il advient fouvent qu'ils font une fin totalement miferable, non feule- Fin miment les tyrans & ufurpateurs, cela leur appartient, mais encore les vrais titulaires; tesmoins tant d'Empereurs Romains après Pompée le grand & Cefar, & de nos jours Marie, Royne d'Escoffe, paffée par main de bourreau, & Henry troisiesme affaffiné, au milieu de quarante mille hommes armez, par un petit moyne, & mille tels exemples. Il femble que comme les orages & tempeftes fe piquent contre l'orgueil & hauteur de nos baftimens, il y aye aufsi Tome I. Ff

17. Conclu

leurs miferes.

des efprits envieux des grandeurs de ça bas:

Ufque adeo res humanas vis abdita quædam Obterit, & pulchros fafces fævafque fecures Proculcare, ac ludibrio fibi habere videtur. Bref, la condition des fouverains est fion de dure & dangereufe: leur vie pour eftre innocente eft infiniment laborieuse; fi elle eft mefchante ils font à la hayne & mesdifance du monde; & en tous les deux cas ils font expofez à mille dangers; car plus grand eft le feigneur, & moins fé peuft-il fier, & plus luy faut-il fe fier: voylà pourquoy c'eft chofe comme annexée à la fouveraineté d'eftre trahye.

1.

tion.

De leur debvoir au Liv. 3, chap. 16.

Magißrats.

CHAPITRE XLVI.

Il y a grande diftinction & divers degrez Diftinc- de magiftrats tant en honneur qu'en puiffance, qui font les deux chofes confiderables pour les diftinguer, & qui n'ont rien de commun enfemble: & fouvent