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De l'eftat, fouveraineté, fouverains.

CHAPITRE XLV.

I.

tion &

APRÈS la puiffance privée faut venir à la publique de l'eftat. L'eftat, c'est-à-dire la Defcripdomination, ou bien l'ordre certain en neceffité commandant & obeiffant, eft l'appuy, le del'eftat. ciment, & l'ame des chofes humaines : c'eft le lien de la focieté, qui ne pourroit autrement subsister; c'est l'esprit vital qui faict refpirer tant de milliers d'hommes, & toute la nature des chofes.

2.

Natu

rel de

Or nonobftant que ce foit le fouftien de tout, fi eft-ce chose mal affeurée, très difficile, fubjecte à changemens, arduum l'eftat. & fubjectum fortuna cunéta regendi onus, Tacit. qui decline & quelquefois tresbuche par des causes occultes & incognues, & tout en un coup du plus haut au plus bas, & non par degrez, comme il avoit demeuré long-temps à s'eflever. Il eft auffi exposé à la haine & des grands & des petits, dont il eft aguetté, fubject aux embusches & dangers ce qui advient auffi souvent des Tome I.

E c

270709

3.

mœurs mauvaifes des fouverains & du na

turel de la fouveraineté, que nous allons defpeindre.

Souveraineté eft une puiffance perpeDefcriptuelle & abfolue, fans reftriction de temps

tion de

neté.

fouverai. ou de condition : elle confifte à pouvoir donner loy à tous en general, & à chascun en particulier, fans le confentement d'autruy, & n'en recevoir de perfonne ; &, comme dict un autre, à pouvoir defroger au droict ordinaire. La fouveraineté eft dicte telle & abfolue, pource qu'elle n'est subjecte à aucunes loix humaines ny fiennes propres car il eft contre nature à tous de fe donner loy, & commander à foy-mefme en chofe qui defpend de fa volonté, nulla obligatio confiftere poteft, qua à voluntate promittentis ftatum capit ; ny d'autruy, soit vivant ou de ses predeceffeurs, ou du pays. La puiffance fouveraine eft comparée au feu, à la mer, à la beste sauvage; elle est très mal aifée à dompter & traicter, ne veust point eftre defdite ny heurtée, & l'eftant eft très dangereuse. Poteftas res eft qua moveri docerique non vult, & caftigationem agrè fert.

4.

Ses marques & proprietez font, juger en dernier reffort, ordonner de la paix & Ses pro. prietez. de la guerre, créer & deftituer Magistrats & Officiers, donner graces & difpenfes contre les loix, imposer tributs, ordonner des monnoyes, recevoir les hommages, ambaffades, fermens; mais tout revient & eft compris foubs la puissance abfolue de donner & faire la foy à fon plaifir : l'on en nomme encore d'autres legeres, comme le droict de la mer & du bris, confiscation pour crime de leze Majefté, puiffance de changer la langue, tiltre de Majefté.

La grandeur & fouveraineté eft tant defirée de tous, c'eft pource que tout le bien qui y eft paroist au dehors, & tout fon mal eft au dedans : auffi que commander aux autres eft chofe tant belle & divine, tant grande & difficile. Pour ces mesmes raifons font eftimez & reverez pour plus qu'hommes. Cefte creance eft utile pour extorquer des peuples le respect & obeiffance, nourrice de paix & de repos. Mais enfin ce font hommes jettez & faicts au moule des autres, & affez fouvent plus mal nez & mal partagez de nature que plufieurs

5.

6.

Mœurs

du commun: il femble que leurs actions, pource qu'elles font de grand poids & importance, foient auffi produictes par caufes poifantes & importantes ; mais il n'en est rien, c'est par mefmes refforts que celles du commun. La mesme raison qui nous faict tanfer avec un voifin, dresse entre les Princes une guerre; celle qui faict fouetter un laquais, tombant en un Roy, faict ruiner une province. Ils veulent auffi legerement que nous, mais ils peuvent plus que nous, pareils appetits agitent une mouche & un elephant. Au refte, outre les paffions, defauts, & conditions naturelles, qu'ils ont communes avec le moindre de ceux qui les adorent, ils ont encore des vices & des. incommoditez que la grandeur & fouveraineté leur apporte, dont ils leur font peculiers.

Les mœurs ordinaires des Grands font

des Sou-orgueil indomptable; durus & veri infoverains. lens, ad recta flecti regius non vult tumor. Violence trop licentieufe ; id effe regni maximum pignus putant, fi quicquid aliis non licet folis licet: quod non poteft vult poffe qui nimium poteft. Leur mot favorit

Senec.

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