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jovial; foi, féal; cour, courtois; gíte, gisant; haleine, halené; vanterie, vantard; mensonge, mensonger; coutume, coutumier comme part maintient partial; point, pointu et pointilleux; ton, tonnant; son, sonore; frein, effréné; front, effronté; ris, ridicule; loi, loyal; cœur, cordial; bien, bénin; ́mal, malicieux. Heur se plaçait où bonheur ne saurait entrer, il a fait heureux, qui est si français, et il a cessé de l'être si quelques poëtes s'en sont servis, c'est moins par choix que par contrainte de la mesure. Issue prospère, et vient d'issir, qui est aboli. Fin subsiste sans conséquence pour finer, qui vient de lui, pendant que cesse et cesser règnent également. Verd ne fait plus verdoyer; ni fête, fétoyer; ni larme, larmoyer; ni deuil, se douloir, se condouloir; ni joie, s'éjouir, bien qu'il fasse toujours se réjouir, se conjouir', ainsi qu'orgueil, s'enorgueillir. On a dit gent, le corps gent ce mot si facile non-seulement est tombé, l'on voit même qu'il a entraîné gentil dans sa chute. On dit diffamé, qui dérive de fame2, qui ne s'entend plus. On dit curieux, dérivé de cure3, qui est hors d'usage. Il y avait à gagner de dire si que pour de sorte que, ou de manière que; de moi, au lieu de pour moi ou de quant à moi, de dire je sais que c'est qu'un mal, plutôt que je sais ce que c'est qu'un mal, soit par l'analogie latine, soit par l'avantage qu'il y a souvent à avoir un mot de moins à placer dans l'oraison. L'usage a préféré par conséquent à par conséquence, et en conséquence à en conséquent, façons de faire à manières de faire, et manières d'agir à façons d'agir...; dans les verbes, travailler à ouvrer, étre accoutumé à souloir, convenir à duire, faire du bruit à bruire, injurier à vilainer, piquer à poindre, faire ressouvenir à ramentevoir...; et dans les

1. Tandis que d'autres mots que la Bruyère croyait perdus se sont rétablis dans l'usage, celui-ci est presque tombé en désuétude. Déjà il n'était que rarement employé au dix-septième siècle.

2. Fama.

3. Cura.

4. Malherbe est l'un des derniers écrivains qui aient employé cette locution:

De moi, toutes les fois que j'arrête les yeux.

5. Corneille a souvent employé que pour ce que. Ainsi, dans Horace, V, 2:

Le roi ne sait que c'est d'honorer à demi.

6. Dans le discours.

noms, pensées à pensers, un si beau mot, et dont le vers se trouvait si bien! grandes actions à prouesses, louanges à loz, méchanceté à mauvaistié, porté à huis, navire à nef, armée à ost, monastère à monstier, prairies à prées...; tous mots qui pouvaient durer ensemble d'une égale beauté, et rendre une langue plus abondante. L'usage a, par l'addition, la sup pression, le changement ou le dérangement de quelques lettres, fait frelater de fralater, prouver de preuver, profit de proufit, froment de froument, profil de pourfil, provision de pourveoir, promener de pourmener, et promenade de pourmenade. Le même usage fait, selon l'occasion, d'habile, d'utile, de facile, de docile, de mobile et de fertile, sans y rien changer, des genres différents : au contraire de vil, vile; subtil, subtile, selon leur terminaison, masculins ou féminins. Il a altéré les terminaisons anciennes : de scel il a fait sceau; de mantel, manteau; de capel, chapeau; de coutel, couteau; de hamel, hameau; de damoisel, damoiseau; de jouvencel, jouvenceau; et cela sans que l'on voie guère ce que la langue française gagne à ces différences et à ces changements. Est-ce donc faire pour le progrès d'une langue que de déférer à l'usage? Serait-il mieux de secouer le joug de son empire si despotique? Faudrait-il, dans une langue vivante, écouter la seule raison, qui prévient les équivoques, suit la racine des mots et le rapport qu'ils ont avec les langues originaires dont ils sont sortis, si la raison, d'ailleurs, veut qu'on suive l'usage1?

Si nos ancêtres ont mieux écrit que nous, ou si nous l'emportons sur eux par le choix des mots, par le tour et l'expression, par la clarté et la brièveté du discours, c'est une question souvent agitée, toujours indécise: on ne la terminera point en comparant, comme l'on fait quelquefois, un froid écrivain de l'autre siècle aux plus célèbres de celui-ci, ou les vers de Laurent, payé pour ne plus écrire, à ceux de MAROT et de DESPORTES. Il faudrait, pour prononcer juste sur cette matière, opposer siècle à siècle, et excellent ouvrage à excellent ouvrage, par exemple, les meilleurs rondeaux de BENSERADE ou de VOITURE à ces

1. Vaugelas et ses commentateurs voulaient que l'on se soumît aveuglement à l'usage.

2. Laurent, mauvais poëte qui, de 1685 à 1688, avait raconté en vers les fêtes de la cour et les fêtes de Chantilly.

deux-ci, qu'une tradition nous a conservés, sans nous en marquer le temps ni l'auteur :

Bien à propos s'en vint Ögier en France
Pour le païs de mescréans monder :·
Jà n'est besoin de conter sa vaillance,
Puisqu'ennemis n'osoient le regarder.
Or, quand il eut tout mis en assurance,
De voyager il voulut s'enharder;
En Paradis trouva l'eau de Jouvance,
Dont il se sceut de vieillesse engarder
Bien à propos.

Puis par cette eau son corps tout décrépite
Transmué fut par manière subite

En jeune gars, frais, gracieux et droit.
Grand dommage est que cecy soit sornettes !
Filles connois qui ne sont pas jeunettes
A qui cette eau de Jouvance viendroit
Bien à propos.

De cettuy preux maints grands clercs ont écrit
Qu'oncques dangier n'étonna son courage;
Abusé fut par le malin esprit,

Qu'il épousa sous féminin visage.

Si piteux cas à la fin découvrit,

Sans un seul brin de peur ny de dommage,

Dont grand renom par tout le monde acquit,
Si qu'on tenoit très-honnéste langage

De cettuy preux.

Bien-tost après fille de roy s'éprit

De son amour, qui voulentiers s'offrit

Au bon Richard en second mariage.

Done, s'il vaut mieux ou diable ou femme avoir,

Et qui des deux bruït plus en ménage,

Ceulx qui voudront, si le pourront scavoir

De cettuy preux.

1. Comme l'a pensé M. P. Paris, sur l'autorité duquel s'est appuyé M. Walckenaer, ces deux rondeaux, composés l'un en l'honneur d'Ogier le Danois, héros des romans du cycle carlovingien, l'autre en l'honneur de Richard sans Peur, duc de Normandie (dixième siècle), doivent être des pastiches. Ils ont été probablement composés à la fin du seizième siècie, ou même plus tard, sous le règne de Louis XIII, à l'occasion d'un ballet ou d'un carrousel dans lequel auront figuré Richard sans Peur et Ogier le Danois. » (Walckenaer.)

CHAPITRE XV.

DE LA CHAIRE.

Le discours chrétien est devenu un spectacle. Cette tristesse évangélique' qui en est l'âme ne s'y remarque plus : elle est suppléée par les avantages de la mine, par les inflexions de la voix, par la régularité du geste, par le choix des mots, et par les longues énumérations. On n'écoute plus sérieusement la parole sainte : c'est une sorte d'amusement entre mille autres; c'est un jeu où il y a de l'émulation et des parieurs.

L'éloquence profane est transposée, pour ainsi dire, du barreau, où LE MAITRE, PUCELLE et FOURCROY" l'ont fait régner, et où elle n'est plus d'usage, à la chaire, où elle ne doit pas être.

L'on fait assaut d'éloquence jusqu'au pied de l'autel et en la présence des mystères. Celui qui écoute s'établit juge de celui qui prêche, pour condamner ou pour applaudir, et n'est pas plus converti par le discours qu'il favorise que par celui auquel il est contraire. L'orateur plaît aux uns, déplaît aux autres, et convient avec tous en une chose, que, comme il ne cherche point à les rendre meilleurs, ils ne pensent pas aussi à le devenir.

Un apprentif est docile, il écoute son maître, il profite de

1. Tristesse évangélique: expression souvent citée. « Il faut que dans la tragédie tout se ressente de cette majestueuse tristesse qui en fait le plaisir, » avait déjà dit Corneille; mais l'emploi que la Bruyère a fait du mot tristesse est plus remarquable.

2. Antoine Lemaistre, célèbre avocat au Parlement, mort en 1658 à PortRoyal, où il vivait dans la retraite depuis une vingtaine d'années. Il était le frère de Lemaistre de Saci, traducteur de l'Ancien Testament. Bonaventure Fourcroy, poëte et jurisconsulte, mort en 1691. Il était l'ami de Molière et de Boileau L'avocat Pucelle est aujourd'hui moins connu que son fils, Réné Pucelle, conseiller-clerc au Parlement, auquel ses discours et son zèle contre la bulle Unigenitus ont valu quelque célébrité.

3. Massillon fera plus tard les mêmes réflexions dans son sermon du premier dimanche du carême, 2o partie.

4. S'accorde.

5. Telle était jadis l'orthographe du mot apprenti. Boileau a dit au féminin (satire X):

Vais-je épouser ici quelque apprentive auteur?

ses leçons, et il devient maître. L'homme indocile critique le discours du prédicateur, comme le livre du philosophe; et il ne devient ni chrétien ni raisonnable.

¶ Jusqu'à ce qu'il revienne un homme1 qui, avec un style nourri des saintes Ecritures, explique au peuple la parole divine uniment et familièrement, les orateurs et les déclamateurs seront suivis.

Les citations profanes, les froides allusions, le mauvais pathétique, les antithèses, les figures outrées, ont fini : les portraits finiront*, et feront place à une simple explication de l'Evangile, jointe aux mouvements qui inspirent la conversion.

¶ Cet homme que je souhaitais impatiemment, et que je ne daignais pas espérer de notre siècle, est enfin venu. Les courtisans, à force de goût et de connaître les bienséances, lui ont applaudi; ils ont, chose incroyable! abandonné la chapelle du roi, pour venir entendre avec le peuple la parole de Dieu annoncée par cet homme apostolique1. La ville n'a pas été de l'avis de la cour: où il a prêché, les paroissiens ont déserté; jusqu'aux marguilliers ont disparu : les pasteurs ont tenu ferme; mais les ouailles se sont dispersées, et les orateurs voisins en ont grossi leur auditoire. Je devais le prévoir, et ne pas dire qu'un tel homme n'avait qu'à se montrer pour être suivi, et qu'à parler pour être écouté ne savais-je pas quelle est dans les hommes, et en toutes choses, la force indomptable de l'habitude? Depuis trente années on prête l'oreille aux rhéteurs, aux déclamateurs, aux énumérateurs; on court ceux qui peignent en grand ou en miniature. Il n'y a pas longtemps qu'ils avaient des chutes ou des transitions ingénieuses, quelquefois même si vives et si aiguës qu'elles pouvaient passer pour épigram

1. Le prédicateur dont la Bruyère proposait ainsi l'exemple était, disent les commentateurs, l'abbé le Tourneux, qui était mort en 1686. « Quel est, demandait un jour Louis XIV à Boileau, un prédicateur qu'on nomme le Tourneux? On dit que tout le monde y court. Est-il donc si habile ? - Sire, répondit Boileau, Votre Majesté sait qu'on court toujours à la nouveauté: c'est un prédicateur qui prêche l'Evangile. »

2. Burdaloue avait inséré dans ses sermons des portraits que chacun avait reconnus. Voyez page 9, note 2. Presque tous les prédicateurs l'avaient imité.

3. Voyez l'avant-dernière réflexion.

4. Le P. Seraphin, capucin. (Note de la Bruyère.) —L'éloge que fait la Bruyère du P. Séraphin avait déjà paru lorsqu'il vint prêcher à la cour. Il y obtint un grand succès.

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