Page images
PDF
EPUB

ne défendent pas sérieusement des droits de 7 à 12 pour 100, et dont la concurrence fait cependant perdre tous les jours du terrain aux importateurs anglais.

Cela devrait suffire à nous rassurer; mais allons plus loin encore et entrons dans les détails les plus intimes de la question.

L'Angleterre, dit M. Mimerel, a de plus que nous, ou du moins à meilleur marché :

Les capitaux, les machines, la houille.

Quant aux capitaux, s'il était vrai que l'industrie du coton en manquât en France, ce ne serait certes pas faute de protection et de sécurité dans l'avenir, puisque la paix et la prohibition durent depuis 1815 sans interruption. Ne serait-ce pas plutôt la faute des industriels qui, comptant sur la protection pour leur procurer des bénéfices, ne se remuent pas assez pour en réaliser par eux-mêmes, ne savent pas se créer de débouchés et supportent avec peine la concurrence intérieure ? Si cette hypothèse était juste, la faute serait individuelle et non pas collective; elle serait, en même temps, la conséquence du système qui attire dans l'industrie des hommes qui ne possèdent pas les aptitudes nécessaires pour l'exercer, ou ne veulent pas s'en servir. On comprendrait trèsbien alors pourquoi les capitaux manquent aux uns et pas aux autres, à ceux qui n'ont que des usines sans importance et mal outillées, et point à ceux qui sont montés ou qui veulent se monter sur les meilleurs systèmes, qui savent faire bien, qui perfectionnent et font avancer leur industrie par un travail incessant et des veilles fructueuses, comme les Mallet et les Cox, de Lille, comme les Dollfus, les Schlumberger, les Koechlin, les Odier, les Hartmann, d'Alsace, et tant d'autres. Dès lors, la pénurie des capitaux étant individuelle et relative, ne doit plus être considérée comme une cause générale d'infériorité, subsistant dans tous les cas.

Il ne faut pas d'ailleurs exagérer l'importance de cette infériorité, ni commettre de double emploi.

Les capitaux sont nécessaires pour la création des établissements et pour leur fonds de roulement. Or, un établissement industriel se compose de deux choses :

1o Des terrains et des bâtiments qui coûtent moins en France, quand on ne fait pas de folie, quand on ne veut pas des palais et des parcs, ce qui compense la différence de 1 pour 100 dans le prix de l'argent;

2o Du mobilier industriel, c'est-à-dire des machines, dont il ne faut plus dès lors parler ailleurs. Les droits de toute nature qui pèsent sur les éléments de la construction nous font, il est vrai, payer les machines plus cher que nos voisins, mais dans la proportion de 25 pour 400 seulement, ce qui ne grève pas le prix de la filature de plus de 2 1/2 pour 100, et celui du tissage de plus de 1 1/2 pour 100.

Reste le fonds de roulement; une différence de 1 pour 100 l'an, sur

des opérations qui se renouvellent chaque jour, est peu importante. Comptons seulement quatre roulements par année, et la différence sur le prix de revient des produits sera de 1/4 pour 100, rien de plus.

Soit, en totalité, pour les capitaux et pour les machines, une infériorité de 2 3/4 pour 100 pour la filature, et de 1 3/4 pour 100 pour le tissage.

Quant à la houille, elle est, en temps ordinaire, trois fois plus coûteuse à Mulhouse qu'à Manchester, cela est vrai, mais pour les fabriques à vapeur seulement, et pas pour les usines à moteurs hydrauliques; répartie sur la dépense totale d'une filature, cette augmentation du prix de la houille représente moins de 2 pour 100 du prix de revient du fil.

En réunissant ensemble les trois causes d'infériorité indiquées par M. Mimerel, on arrive à trouver moins de 5 pour 100 pour la filature. Il y a donc beaucoup à retrancher dans les calculs des amis de M. Mimerel, évaluant notre infériorité à plus de 30 pour 100, seulement il reste toujours entre les deux pays une certaine différence; mais comme elle est due au système protecteur, il est dès lors facile de la faire disparaître en grande partie, quand on voudra, au grand avantage de l'industrie.

La position du tissage est moins bonne que celle de la filature, et cependant elle devrait être meilleure. Les prix plus élevés en France des capitaux, des machines et de la houille pour les usines à vapeur, n'augmentent les prix de revient du tissage que de 3 3/4 à 4 pour 100, mais il faut y ajouter toute la différence qui sépare le prix de vente des filés français, matière première du tissage, du prix des filés anglais. La différence des prix de revient n'est guère, on vient de le voir, que de 5 pour 100 pour les filateurs qui tissent eux-mêmes leurs fils, mais c'est l'exception. Sur 464,000 tisserands occupés par l'industrie cotonnière 1, plus des trois quarts travaillent au métier à bras, c'est dire assez qu'ils ne sont pas filateurs et que le prix de vente de la matière qu'ils emploient, élevé de 30 à 40 pour 100 de plus qu'en Angleterre, pèse lourdement sur eux. La conséquence, c'est qu'ils réduisent leurs gains à moitié de ceux des tisserands anglais, au-dessous même de ceux de la Suisse 2. C'est là le résultat le plus clair de la prohibition des fils communs et demi-fins, mais le remède n'est pas difficile à trouver; il suffit de procéder pour eux comme on a fait, il y a vingt-deux ans, pour les numéros élevés.

Les trois principales causes d'infériorité de l'industrie française, signalées par M. Mimerel, ont donc beaucoup moins d'importance qu'il

La filature n'occupe que 60,000 ouvriers; l'impression et le blanchiment 20,000.

Le prix moyen du tissage, depuis huit ans, de 1845 à 1852, a été par pièce de 400 mètres en France, de 9 fr. 14; en Suisse, de 9 fr. 60.

ne leur en accorde; seulement, elles se compliquent par la prohibition et s'aggravent: pour le tissage, des prix plus élevés de la filature; pour l'impression, des prix plus élevés de la filature et du tissage, et ainsi de suite.

Il semblerait, d'après cela, que la filature doive gagner énormément, et, par malheur, il n'en est pas toujours ainsi. Les plus intelligents filateurs réalisent de grands bénéfices, ils produisent à 5 pour 100 de plus que leurs confrères anglais et vendent à 30 ou 40 pour 100 plus cher; mais il n'en est pas de même de beaucoup de petits fabricants, de ceux dont les machines n'ont pas été renouvelées depuis vingt ans, et qui ont grand' peine à se soutenir.

Pas un de ces derniers, par exemple, n'a adopté le métier renvideur, inventé en 1824, et généralement employé en Angleterre depuis 1835. Dans un mémoire publié en faveur de la protection par MM. Odier, Barbet, N. Schlumberger, ces manufacturiers éminents réclamaient pour leur industrie le temps nécessaire pour introduire d'une manière générale l'emploi du métier dont il s'agit; le temps ! mais depuis 1835 a-t-il manqué? Non; seulement les petits filateurs ont raisonné comme M. Mimerel, nous disant aujourd'hui (p. 31) que le métier self-acting n'offre pas une économie assez notable pour que son usage se vulgarise en France. Que l'économie ne soit pas aussi forte qu'en Angleterre, je le veux bien; majs enfin il y en a une; et on accroît volontairement, en la négligeant, la différence qui sépare déjà les deux industries. C'est bien là, on ne peut le nier, une des conséquences de la prohibition et l'une des plus fàcheuses.

M. Mimerel indique encore, comme l'une des causes de notre infériorité, l'élévation de nos frais généraux, résultant du peu d'importance de nos établissements, comparés à ceux des usines anglaises. C'est là une infériorité volontaire, qui n'existe pas en Alsace, ni même dans certaines fabriques de Lille et de Rouen. Il appartient aux industriels seuls de la faire disparaître, puisque cela résulte de leur organisation. Nous ajouterons, au surplus, que s'il dépendait de la loi de leur faire adopter ce système, cela serait très-désirable et très-utile pour l'industrie en géné ral et surtout pour les ouvriers, qui trouvent des conditions hygiéniques bien préférables et un travail plus régulier, une assistance plus paternelle et plus étendue aux jours de besoin dans les grands établissements, tels que ceux de Vesserling, de Munster et autres semblables, que dans les petites fabriques, dirigées par d'anciens contre-maîtres, durs, grossiers et pauvres, ayant de mauvais outils, pénibles à conduire et faisant de mauvaise besogne, s'arrêtant enfin à la première apparence de crise, et n'ayant aucune sollicitude pour le bien-être de leurs ouvriers, ni presque aucun moyen de leur venir en aide.

Reste, pour terminer ce long examen, une dernière cause signal ée par M. Mimerel, bien qu'elle ne concerne son sujet que par voie indi

recte. Nous voulons parler des variations du goût en France. « Grâce à a cette mobilité, dit-il, un rouleau pour impression, par exemple, doit a être payé par 300 pièces. En Angleterre, rien ne change; le même dessin a se reproduit toujours sans fatigue pour le consommateur, de sorte que, « l'exportation aidant, 2,000 pièces viennent payer le rouleau. »

Pour n'être pas tout à fait à sa place, l'observation n'en est pas moins juste. Oui, il y a là une cause de dépense de plus pour l'imprimeur français, et, partant, un débouché moindre pour le filateur et le tisseur. Mais nous ferons remarquer, à notre tour, à M. Mimerel, que cette mobilité des modes françaises, si elle a des inconvénients économiques pour le producteur, est en même temps et par contre une sauvegarde contre les effets d'une importation des tissus anglais, d'un dessin constamment uniforme et d'un goût rarement distingué; mais c'est là une question qui mérite d'être traitée à part, et sur laquelle nous aurons forcément à revenir.

En résumé, toutes ces différences accusées, mais non pas additionnées par M. Mimerel, et nous le regrettons, se chiffrent, suivant M. Jean Dollfus, par 6 pour 100 au plus; suivant les amis de M. Mimerel, par 33 pour, 100; mais la plupart ont leur cause dans le régime douanier lui-même, qu'il suffit de réformer, sinon pour rétablir immédiatement l'équilibre, nous ne le pensons pas, du moins pour permettre, outre la levée de la prohibition dans tous les cas, son remplacement par un droit fiscal de 15 à 20 pour 100 au plus, qui sera en même temps productif pour le Trésor, très-suffisamment protecteur pour l'industrie.

A. BLAISE (DES VOSGES).

CHEMINS DE FER, USINES ET TERRES DOMANIALES

VENDUS PAR LE GOUVERNEMENT AUTRICHIEN

A UNE COMPAGNIE FRANÇAISE.

Un traité provisoire, dont la ratification est soumise à certaines éventualités politiques, a été passé récemment entre le gouverne ment autrichien et des capitalistes français, pour la cession à ces derniers de plusieurs lignes de chemins de fer, de mines de diverses natures, de houillères, d'usines métallurgiques et de vastes étendues de forêts et de terres domaniales.

D'après les renseignements puisés aux meilleures sources, les propriétés dont la vente est faite aux capitalistes français, repré sentés par MM. Péreire et Ernest André, sont les suivantes :

Le chemin de fER DU NORD DE L'ÉTAT, OU CHEMIN DE FER DE BOHÈME, Il prend son origine à Bodenbach, à la frontière de Saxe, où il se relie au réseau des chemins de fer de l'Allemagne centrale, passe à Prague et rejoint en deux branches le chemin de fer du Nord de l'empereur Ferdinand, à Brunn et à Olmutz. Cette ligne traverse la région la plus manufacturière de l'empire et la relie à la capitale; elle est, en outre, le lieu de passage obligé des voyageurs et des marchandises circulant entre Vienne, Trieste et le bas Danube, d'une part; et Leipzig, Magdebourg, Brême, la Hollande, la Belgique et Francfort, d'autre part.

Ce chemin est complétement terminé et en pleine exploitation; sa longueur est de 468,5 kilomètres.

LE CHEMIN DE FER DU SUD-EST DE L'ÉTAT, OU CHEMIN DE FER CENTRAL DE HONGRIE. Cette ligne se détache à 45 kil. de Vienne du chemin de fer de l'empereur Ferdinand, passe à Presbourg et à Pesth, en côtoyant la partie la moins navigable du Danube, atteint sur deux points la Theiss, la traverse à Szegedin, pour se développer dans les plaines du Banat, et vient se souder au chemin d'Orawicza à Bosiach (voir plus bas), qui la met en relation avec un bassin houiller concédé à la Compagnie (voir plus loin), et avec le Danube. Resserré sur la moitié de son développement entre ce fleuve et les derniers contre-forts des Carpathes, le chemin de Hongrie forme le tronc commun de toutes les voies ferrées qui unissent déjà et doivent réunir plus complétement encore, dans l'avenir, l'Orient tout entier et les provinces méridionales de l'Autriche avec la capitale et le reste de l'Allemagne.

« PreviousContinue »