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et Jaroslaf préparaient le plus de cuirs de roussi. Le maroquin était un produit de la Perse. La fabrication de la grosse toile et de la toile à voiles avait pris une grande extension dans la province de Vologda. L'exportation de cet article s'était fortement accrue, ainsi que celle des cordages, du goudron et de la poix, par suite de l'activité toujours croissante des armements maritimes dans les pays d'occident. Les eaux poissonneuses du Volga et de la mer Caspienne fournissaient le caviar. Le chien marin donnait aussi de l'huile. Les indigènes se réunissaient, en hiver, par essaims de quatre-vingts à cent barques, pour la chasse de cet animal, dans la baie de Saint-Nicolas. Les dents de morse trouvaient des acheteurs chez les Perses et chez les Boukhares, qui en fabriquaient des poignées de sabre, des boutons et d'autres objets du même genre. Parmi les métaux et minéraux, le rapport de Fletcher mentionne, comme articles de commerce, le mica ou verre de Moscovie, le salpêtre, le soufre et le fer.

La descendance masculine de Ruric s'éteignit en 1598. Des conspirations et des luttes intestines, les tentatives des faux Dimitri et d'autres prétendants, appuyés par les armes de la Pologne et de la Suède, jetèrent la Russie dans un épouvantable chaos de guerre et d'anarchie. Les resultats lentement obtenus pour la civilisation du pays, sous les derniers règnes, se perdirent de nouveau. Quand, à la fin, l'unité politique de l'empire fut sauvée, et qu'avec la maison de Romanof une nouvelle dynastie fut portée sur le trône, par le suffrage national, en 1613, la Russie se trouva complétement épuisée à l'intérieur et considérablement affaiblie au dehors par la perte des territoires qu'elle avait été obligée de laisser entre les mains des puissances voisines. C'est à cette époque notamment qu'elle dut, à la paix de Stolbova, en 1617, céder l'Ingrie, et se désister en faveur de la Suède de toutes ses prétentions sur les provinces de la Baltique, au grand détriment de ses intérêts commerciaux et maritimes dont l'avenir se trouvait ainsi plus que jamais remis en question.

Cependant, le premier tsar de la nouvelle dynastie, Michel Romanof, fit beaucoup pour améliorer la triste situation du pays, et réactiver le développement de ses ressources matérielles. Dans les années 1626 et 1634, on fit venir des mineurs entendus d'Angleterre et d'Allemagne, des corroyeurs pour la préparation des peaux d'élan, des verriers, et en général des ouvriers de toutes les industries alors en renom dans les Pays-Bas. Un négociant de Hambourg, nommé Marselius, avait rendu de grands services au gouvernement russe, en engageant pour celui-ci nombre de professionnistes, et remplissant l'office de négociateur dans ses opérations financières à l'étranger. Le tsar Michel les reconnut en confirmant au fils de ce commerçant, en 1638, tous les priviléges de franchise dont cette maison allemande jouissait dans ses Etats, et lui accordant, en outre, peu de temps après, la permission d'exploiter, conjointement avec une maison hollandaise, les mines de fer de la Russie,

et d'établir des fourneaux et des forges pour la fonte et le travail de ce métal dans toute l'étendue de l'empire, sans charge de redevance aucune. Comme le gouvernement russe, dans cette concession, avait surtout en vue l'avantage qui devait résulter de pareils établissements pour l'instruction des nationaux dans l'art métallurgique, il stipula que les entrepreneurs ne pourraient y employer que le nombre d'étrangers indispensable. Des traités de commerce furent également conclus, sous le règne de Michel, avec l'Angleterre, sur la base des conventions antérieures; en 1621, avec la France; en 1629 et en 1631, avec la Hollande, que l'on vit depuis lors gagner de plus en plus du terrain sur le domaine des relations extérieures et commerciales de la Russie.

Ainsi quelques lueurs de la civilisation européenne étaient déjà tombées sur la Russie, sans pouvoir néanmoins encore percer la nuit de barbarie épaisse dans laquelle cette contrée resta plongée jusque vers la fin du dix-septième siècle. Le commerce intérieur et les métiers y lan guissaient notamment sous le joug oppressif d'un régime empreint de tous les caractères du despotisme asiatique, et dont les principes et les formes bizarres constituaient entre ce pays et le reste de l'Europe une barrière presque insurmontable. Dans un empire où même les classes possédant la terre n'avaient nul droit d'en disposer comme d'une propriété libre, à plus forte raison celles dont toute la fortune repose sur leur activité personnelle, et qui ont avant tout besoin de ne pas être entravées dans celle-ci, devaient-elles se trouver hors d'état de s'organiser en corporations et en professions indépendantes, et d'atteindre au bénéfice d'un régime approprié aux besoins de leur condition. Leur activité était limitée en toutes choses par les volontés du tsar, qui n'était pas seulement le seul propriétaire, mais aussi, à maint égard, le seul marchand de l'empire. Toute concurrence intérieure se trouvait paralysée par cette prérogative exorbitante, qui privait le commerce intérieur de son nerf vital. Le tsar exerçait un droit de préemption sur tous les produits, tant indigènes qu'étrangers. Aucun marchand étranger ne pouvait directement vendre sa marchandise à d'autres que le tsar, une fois que celui-ci avait déclaré vouloir l'acheter. Le tsar faisait acheter par ses agents dans les provinces tous les produits qui lui convenaient, à des prix qu'il fixait lui-même arbitrairement et au plus bas, afin de les revendre ensuite avec un bénéfice considérable aux marchands russes comme aux négociants étrangers. Il était de principe qu'il fallait en toutes choses pourvoir aux intérêts du maître, avant que de laisser les sujets libres de vaquer au soin de leurs propres affaires. Le tsar faisait percevoir des droits régaliens sur l'eau-de-vie, l'hydromel, la bière forte et les grains. Il lui arrivait aussi, de temps en temps, de se prévaloir de son monopole pour la vente des produits, tels que pelleteries, cire, toile, chevaux tatars, etc., qu'il avait reçus à titre de tribut ou de contribution, et alors toute vente d'articles de même nature était rigou

reusement interdite aux particuliers jusqu'après l'écoulement de tout ce qu'en contenaient les magasins impériaux. Tous ces droits dérivaient de l'idée que, depuis les temps néfastes de la domination tatare, on avait généralement conçue en Russie du pouvoir absolu du tsar sur la vie et les biens de ses sujets. Ce principe, déjà profondément enraciné dans les habitudes et le caractère du peuple, était devenu comme la loi fondamentale de l'Etat, à laquelle le commerce non plus n'avait pu se soustraire. Dans de pareilles conditions, la possibilité de réaliser loyalement des bénéfices honnêtes devenait presque illusoire, et il ne pouvait manquer que l'on cherchât des expédients dans les profits immoraux. La fraude et l'artifice des Russes en matière de commerce étaient notoires, et ils avaient acquis dans ce genre de finesse mercantile une virtuosité difficile à surpasser. Il y avait donc toujours lieu d'observer vis-à-vis d'eux les précautions, déjà mentionnées plus haut, dont les Anséates avaient autrefois cru devoir user à leur égard. Pierre le Grand en convenait lui-même, ainsi que le prouve l'anecdote suivante. Pendant le séjour du tsar à Amsterdam, les juifs, que Joann IV avait bannis de la Russie, lui remirent une pétition, accompagnée de l'offre d'une somme de 100,000 florins, pour être admis à rentrer dans ses Etats. Pierre refusa, et répondit au bourguemestre qui s'était chargé de recommander la requête : « Dites aux juifs que je les remercie de leur offre, mais que je ne puis l'accepter, parce que le sort qu'ils auraient en Russie serait digne. de pitié; car, bien qu'ils aient la réputation d'être habiles à tromper tout le monde en affaires, je craindrais néanmoins qu'ils ne trouvassent leurs maîtres dans mes Russes. >>

Moscou fut, pendant toute cette période, l'entrepôt central du commerce intérieur de la Russie, ainsi que le principal marché de l'empire pour les importations du midi, effectuées par la voie de terre. Les Grecs de la Turquie venaient y apporter les marchandises de luxe de l'Orient, des pierres précieuses, de la vaisselle d'or et d'argent, des camelots turcs, des étoffes de soie, de la sellerie et des harnachements, des couvertures, des armes de prix, des essences, des parfumeries, etc. L'usage était de présenter tous ces articles, sous la forme d'un don, au tsar, qui les faisait ensuite estimer à leur valeur, et donnait, en échange de ce qu'il gardait, de la zibeline et d'autres fourrures précieuses. Les particuliers n'avaient la permission d'acheter que ce que le maître avait répudié.

Les personnes chargées du soin des opérations mercantiles et industrielles réservées à la couronne, ainsi que de la perception des droits et contributions, étaient appelées les hôtes, et prises dans le corps de la centurie des hôtes et de la centurie du drap, choisies elles-mêmes parmi les marchands et bourgeois de Moscou et des autres villes. Les hôtes étaient les receveurs des droits d'entrée, de sortie et d'accise; ils fonctionnaient auprès des douanes et des dépôts d'eau-de-vie, et en général

dans toutes les opérations qui intéressaient en même temps le commerce et le fisc impérial. Ils avaient pour assistants les autres membres de leur centurie. Il leur était permis de faire le commerce et d'exercer des industries pour leur propre compte, indépendamment de leur qualité d'agents de la couronne. Nous les avons qualifiés plus haut de bourgeois; cette dénomination n'est pas rigoureusement exacte, car la plupart d'entre eux étaient des serfs, munis seulement de licences révocables.

Telle était la situation du commerce, de l'industrie et des intérêts matériels qui s'y rattachent, dans cet empire déjà le plus vaste de l'Europe, sinon du monde entier, par sa superficie, quand, en 1689, le jeune tsar Pierre Alexiévitch y prit en mains les rênes du gouverneCH. VOGEL.

ment.

(La suite à un prochain numéro.)

ENQUÊTE OFFICIELLE

SUR LE SYSTÈME PROTECTEUR,

PAR

LES MEMBRES DU JURY FRANÇAIS DE L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LONDRES.

Les membres de la Commission chargée de représenter l'indus trie française à l'Exposition universelle de Londres, en 1851, ont rédigé sur leurs travaux des rapports dont le gouvernement a or donné l'impression. Trois volumes portant les numéros IV, V et VI, viennent d'être publiés; ils correspondent aux sections 11 à 25 du catalogue de Londres et contiennent tous les documents relatifs aux industries de la filature, du tissage et de l'impression, au travail des métaux (machines et constructions exceptés), à la tannerie, à la corroirie, à la céramique, à la poterie, à la verrerie et à la cristallerie.

De l'ensemble de ces rapports officiels ressort une véritable en quête sur la situation de l'industrie française, sur ses progrès el ses besoins, sur ses débouchés extérieurs et ses moyens de lutter au dehors avec la concurrence étrangère. Depuis la grande enquête de 1834 il n'a rien été fait d'aussi général, d'aussi instructif. Les rapports de 1851-54 sont même supérieurs, sous ce rapport, à l'en quête de 1834; bien que leurs auteurs appartiennent, en grande majorité, esprits et biens, au système protecteur, ils ont moins

discipline que les déposants à l'enquête de 1834 et ils ne se refusent pas de signaler les droits qui les blessent. Sans doute ils concluent toujours au maintien de la prohibition, comme le moyen le plus efficace de protéger l'industrie, mais les faits qu'ils exposent sont absolument contraires à leurs conclusions et les infirment pour l'observateur impartial.

Si des économistes eussent osé dire ce que la plupart des rapporteurs français de l'Exposition de 1851 se sont permis, les intéressés du système protectioniste n'eussent pas trouvé dans le vocabulaire d'anathèmes assez vigoureux pour les en accabler; mais par bonheur la vérité prend aujourd'hui nos adversaires pour organes, leurs clients se taisent ou applaudissent; c'est un devoir, en même temps qu'une bonne fortune pour nous, d'enregistrer leurs - déclarations.

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Le représentant à Londres de ces deux grandes industries protégées est M. Mimerel, à qui personne ne saurait contester la haute position qu'il a prise à la tête du parti prohibitioniste. Les conclusions du rapport de M. Mimerel ne sont pas au-dessous de ce que ses amis étaient en droit d'attendre de son énergique dévouement au système; seulement ils le trouveront peut-être un peu modéré dans les termes; pour nous, nous lui en savons gré, sans en être surpris. M. Mimerel est l'un de nos plus ardents adversaires, mais c'est un esprit aussi habile que distingué, et il a fait preuve, à la fois, de ces deux qualités, en répudiant dans son travail les gros mots qui forment le bagage habituel de la polémique du journal placé sous son patronage. La courtoisie de M. Mimerel nous en impose une semblable, qui s'accorde d'ailleurs parfaitement avec les habitudes de la rédaction du Journal des Économistes, et il nous sera facile de ne pas nous en écarter, en disant et en prouvant que les faits reconnus et enregistrés dans le rapport de M. Mimerel, et convenablement rectifiés, sont en désaccord complet avec ses conclusions.

En général, la Commission française à Londres a divisé son compterendu en plusieurs parties: la première comprend l'histoire sommaire de l'industrie, tant en France qu'à l'étranger, et sa situation relative dans chaque pays; la seconde, l'appréciation comparative des produits des diverses nations qui ont exposé en 1851; la troisième, une conclusion qui, représentant une opinion personnelle, a naturellement moins de valeur que les faits constatés et varie, d'ailleurs, suivant les points de vue. L'industrie du coton est l'une de celles dont la matière première, étant exotique, n'admet en Europe aucune situation privilégiée, et dont le

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