Page images
PDF
EPUB
[merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

La population s'élevait, à raison de cinq personnes par famille, à 1,324,470 habitants, qui faisaient 203 par lieue carrée, MM. Turner et Hallam l'estiment en masse à 1,500,000. Si l'on adopte le terme plus vraisemblable de 4 personnes et demie par famille, la population totale n'était que 1,192,023 habitants, ou 180 par lieue carrée.

Par conséquent, il y avait sur 5 hommes 4 esclaves; le cinquième était un noble, un prêtre, un moine ou un bourgeois. Sui, vant les lois anglo-saxonnes, les nobles étaient de deux classes: ceux dont la vie valait 1200 schellings et ceux qui n'étaient estimés que la moitié. Les céorls formaient la bourgeoisie; ils valaient 200 schellings ou le sixième d'un Thane; mais, d'après les lois d'Athelstand, quand ils possédaient 5 hides de terre ou 140 hectares, avec un manoir et une église, ils avaient droit à devenir Thane; ce qui prouve assez curieusement qu'alors la richesse foncière donnait la noblesse, c'està-dire les droits sociaux et politiques. Il y a plus : le commerce produisait le même effet. Un marchand, qui conduisait en pays étranger trois navires chargés de ses propres marchandises, acquérait le titre de Thane et les priviléges attachés à ce rang. Lorsque dans l'histoire de ces temps d'iniquités on entrevoit une lueur de bon sens et de justice, il faut se hâter d'en noter l'apparition, pour témoigner qu'alors l'espèce humaine n'avait pas perdu entièrement tout ce qui l'honore.

Un siècle et demi après l'établissement de la rude domination des Normands, la société n'avait subi en Angleterre que bien peu de changement. On voit par les chartes de Henri III, qui régna de 1216 à 1272, que la servitude continuait d'être l'état civil et légal du peuple, et qu'on ne faisait aucune distinction entre les serfs et le bétail, Un jurisconsulte contemporain, Bracton, avance, comme un axiome de droit, que tous les biens qu'un esclave pouvait acquérir appartenaient à son maître, qui avait toujours le pouvoir de s'en emparer. Ainsi le pécule des nègres n'était pas une invention nouvelle, c'est tout simplement la justice des barons du moyen âge qui était appliquée de nos jours aux esclaves des colonies.

Les serfs étaient vendus avec la terre dont ils étaient le mobilier; quant aux esclaves, ils étaient mis aux enchères en plein marché; et

l'on trouve dans les annales de Dunstaples un contrat de vente de l'un de ces malheureux livré, avec toute sa famille, au prix d'un marc d'argent. C'était cette population qui cultivait les terres des barons et des prélats.

Pendant la sanglante guerre des deux Roses, une multitude de familles nobles ayant été entièrement exterminées, leurs serfs se trouvèrent émancipés de fait. Cependant la servitude continua d'exister, et sous le règne d'Edouard VI, en 1547, il y avait tou jours des serfs attachés à la glèbe et d'autres dépendant du vouloir arbitraire de leurs maîtres. En 1526, sous Henri VIII, un bill pour l'abolition générale de la servitude fut soumis au Parlement. La Chambre des pairs le rejeta à la troisième lecture: néanmoins la servitude continua de décliner et elle s'éteignit d'elle-même. Il est bien singulier que ce fut le changement des mœurs et non la volonté de la loi qui produisit l'affranchissement des serfs en Angleterre. C'est un très-remarquable exemple de la puissance de la morale et de l'opinion sur les intérêts.

L'ordre social établi par la féodalité avait la plus désastreuses influence sur la prospérité du pays.

Au rapport de Richard de Cirencester, il y avait en Angleterre, sous la domination romaine, 92 villes, dont 23 étaient remarquables; il n'y en avait plus que 28 lors de la domination saxonne1. Le Domesday-Book montre qu'excepté Londres et Winchester pas une de ces villes n'avait 10,000 habitants, et que le plus grand nombre n'en avait qu'une centaine.

York, qui était la plus grande, avait 1,418 maisons, dont 540, ou plus d'un tiers, étaient inhabitées.

A Oxford il y avait 721 maisons, dont 243 payant l'impôt, et 478 n'étant pas en condition de le faire;

A Warwick on comptait 225 maisons, dont 115 au roi et 112 aux barons;

A Shaftesbury 257, dont 104 au roi et 153 à l'abbaye.

Londres, 300 ans après la conquête, n'avait encore que 35,000 habitants dans son enceinte.

Enfin, un document publié par la Société archéologique prouve qu'en 1377, sous le règne splendide d'Edouard III, l'Angleterre ne contenait que 2,500,000 habitants, ou 380 par lieu carrée, comme les provinces désolées de la Turquie la Servie et la Valachie.

1 Nennires, Hist. crit., c. 65.

[ocr errors]

La production agricole n'est point indiquée dans cette vieille Statistique de l'Angleterre, mais il est possible de l'apprécier d'après quelques auteurs presque contemporains.

En 1272, sous le règne d'Edouard II, il y avait 1,400 acres en terre arable pour 45 prairies. Ainsi celles-ci n'avaient pas le trentième de l'étendue des autres; conséquemment il n'y avait ni bétail, ni production de fumier: aussi les terres arables ne valaientelles que 6 pences l'acre, tandis que les prairies étaient estimées le triple.

Fléta rapporte qu'en 1341, sous Edouard II, l'acre de terre ne produisait que 6 boisseaux de blé : c'était un peu plus de 5 hectolitres par hectare, ou le quart de la production actuelle, qui s'élève à 20 ou 22.

Sir John Maccullum a prouvé, par plusieurs citations d'anciens auteurs, qu'alors le plein rapport d'un acre n'excédait pas 9 à 10 boisseaux ou 7 à 8 hectolitres par hectare. Cela explique pourquoi, malgré une si faible population, la terre ne pouvait nourrir les hommes. De l'an 1069 à 1355, dans une période de 286 ans, il y eut en Angleterre 121 famines, ou une tous les 28 mois 1. En France la disette, revenant chaque deuxième année, n'était pas alors moins fréquente.

En résumant ces recherches on est conduit aux résultats suivants :

Une statistique générale par shires ou comtés fut exécutée en Angleterre, à la fin du onzième siècle, par l'ordre de Guillaume le Conquérant, premier roi de la dynastie normande.

Cette œuvre, qui manque encore aujourd'hui à une grande partie des Etats de l'Europe civilisée, est un monument étonnant de la perspicacité et de l'habileté administrative de la race d'hommes qui l'a élevé au milieu des ténèbres de l'ignorance, à une époque éloignée de nous de près de 800 ans.

Ce grand travail a pour base un cadastre et des recensements généraux.

Le cadastre du territoire existait déjà du temps de la dynastie saxonne, et il y a tout lieu de croire qu'il remonte à la domination romaine.

Le recensement de la population fut fait par classes, par localités, et avec la détermination de l'état civil des individus. Il paraît qu'on

'Edw. Howe.

en renouvela plusieurs fois les opérations; car un moine de Chester, R. Higden, affirme qu'il y eut un dénombrement des habitants de l'Angleterre, exécuté dès la quatrième année du règne de Guillaume, c'est-à-dire en 1069, tandis que celui enregistré dans le Domesday Book doit être de 1084.

Enfin, c'est au moyen de ces travaux statistiques que l'impôt et les levées militaires étaient répartis, absolument comme aujour d'hui dans les Etats de l'Europe les mieux gouvernés. Les historiens grecs et romains et même les peintures des catacombes de l'Egypte nous apprennent que les intérêts sociaux des peuples de l'antiquité étaient réglés ainsi par des opérations numériques; mais on s'attendait peu à retrouver cette méthode savante au moyen age, et à la voir mettre en pratique avec succès par l'une de ces races de barbares qui firent reculer de quatorze siècles la civilisation du monde occidental.

A. MOREAU DE JONNÈS.

LE COMMERCE EXTÉRIEUR DE LA RUSSIE

AVANT

ET DEPUIS PIERRE LE GRAND.

Le poids matériel que la civilisation d'un pays jette dans la balance générale des intérêts du monde est naturellement déterminé par le degré d'importance de ses échanges avec les pays étrangers. Or, le commerce extérieur de la Russie, bien inférieur à celui de l'Angleterre, de la France, ou de l'Union américaine, cet autre géant de création moderne, de moitié plus jeune que l'empire de Pierre le Grand, n'égale même pas celui de l'Union douanière allemande ou de l'Autriche. Disons plus: le colosse du Nord, dont l'immense domination embrasse un neuvième de toutes les terres du globe, avec une population de 68 millions d'âmes, n'est même pas encore, pour l'ensemble de ses opérations commerciales avec l'étranger, au niveau de la Hollande, à peine aussi étendue que le plus petit des cinquante-un gouvernements ou provinces de la Russie d'Europe, et qui fut jadis, comme on sait, l'école où Pierre se prépara, par un humble apprentissage de la marine et du commerce, à son illustre carrière de réformateur. En effet, nous voyons par les documents officiels qu'en 1851, par exemple, le commerce extérieur du royaume des Pays-Bas, importations et exportations réunies, s'est élevé à un milliard 160 millions de francs, tandis que celui de l'empire russe n'a, sur toutes ses vastes frontières, atteint que 885 millions de francs en valeur totale.

Comment expliquer que le développement de ressources aussi vastes que celles dont la Russie dispose naturellement ait laissé subsister, après une période d'un siècle et demi, une disproportion de résultats aussi humiliante pour l'orgueil de cette puissance? Faut-il accuser les successeurs de Pierre le Grand d'avoir méconnu les intérêts du commerce extérieur des pays de leur domination et négligé de pourvoir à son avenir, en oubliant de lui frayer ses voies et de lui procurer des débouchés? Ce reproche ne serait pas fondé. Tous les souverains de la Russie, et notamment Catherine II, bien que l'amour d'un éclat fastueux ait souvent fait tort à la solidité des vues de cette princesse et bercé son brillant génie de mainte illusion, ont su, au contraire, associer des idées commerciales très-justes aux projets de leur ambition politique.

Si la Russie n'en a profité que dans une trop faible mesure, elle ne doit s'en prendre qu'au développement excessif de cette ambition con

« PreviousContinue »