Page images
PDF
EPUB

raffiné pour 100 kilogrammes de sucre brut importé, transformeraient le prétendu remboursement du droit en une prime onéreuse qui ferait payer à la douane beaucoup plus qu'elle n'aurait reçu. Se basant sur un mouvement commercial qui n'aurait rien d'extraordinaire, la perte annuelle pour le Trésor pourrait atteindre, dit-il, 7 à 8 millions.

Ce danger nous paraît être infiniment moins grand que l'auteur ne veut le faire croire, et le ton même qu'il prend pour le signaler est de nature à inspirer quelque méfiance. M. Larreguy est un défenseur passionné des colonies; il affecte sans cesse de croire qu'on veut les sacrifier, qu'on est très-près de les maudire, et, d'un autre côté, il parle de l'administration des douanes comme ne ferait jamais un libre-échangiste; il est aigre envers les producteurs de sucre indigène, et il abandonne toute mesure quand il parle des raffineurs. Ses reproches s'adressent surtout à un petit nombre de ceux-ci, auxquels il applique l'épithète, un peu tombée en désuétude, de loups-cerviers, qui, suivant lui, « font métier de fausser, à force d'intrigues, le principe des lois, en faisant servir l'influence qu'ils ont de tout temps conservée dans les hautes régions du pouvoir, pour que l'exportation ne devienne, sous le masque de l'intérêt public, qu'une exploitation conduisant, avec l'horrible tripotage des quittances, à la ruine du Trésor et de la production française. »

Le Journal des Débats, tout en diminuant un peu les chiffres qui servent de point de départ, admet cependant les calculs de M. Larreguy; et, dans son numéro du 18 juin dernier, il s'est rendu l'écho du cri d'alarme jeté par l'ancien négociant havrais.

Au lieu de relever ici des erreurs évidentes, et pour ne pas nous livrer à des calculs qui seraient fort arides pour le lecteur, et qui, d'ailleurs, basés sur des chiffres hypothétiques, comme les autres, arriveraient à des résultats également contestables, nous croyons devoir nous borner à constater quelques faits. Ces données seront bonnes à consulter lorsqu'il faudra entrer de nouveau dans la question si complexe des sucres, dont les législateurs ont périodiquement à s'occuper chez nous, sans pouvoir jamais trouver de solution satisfai

sante.

Commençons par faire connaître le nouveau tarif anglais.

L'article 1er de la loi fixe les droits dans les proportions sui

vantes :

Sucres candis ou raffinés, jusqu'au 2 août 1854, par quintal...

17 shillings 4 pence.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

L'article 2 prescrit la formation d'échantillons devant servir de types pour la perception. Ces types ont été formés, en effet, et des échantillons envoyés à Paris nous ont montré que le droit de 11 shillings était applicable au sucre brut de très-bonne nuance, qui reçoit sur nos marchés la désignation de belle quatrième.

L'article 3 s'applique à l'exportation et porte qu'il sera donné pour tout bounties ou drawback, sur le sucre en pain dûment raffiné, bien clarifié, passé à l'étuve, d'un blanc uniforme, ou sur le même sucre en morceaux ou écrasé, ou sur le sucre candi 15 shillings, et sur le sucre vergeoise ou bâtarde 11 shillings.

La faculté précédemment accordée de raffiner en entrepôt fictif, c'est-à-dire de travailler le sucre en franchise de droit dans des établissements surveillés par la douane, est supprimée, sans doute, comme ayant donné lieu à quelques abus.

Le quintal anglais est de 112 livres et équivaut à peu près à 50 kilogrammes. Le droit sur le sucre brut, en Angleterre, est donc d'environ 27 fr. 50 c. par 100 kil., et la prime accordée à la sortie du sucre raffiné est de 37 fr. 50. La comparaison de ces chiffres montre qu'on a calculé sur un rendement, au raffinage, de 73 pour 100, tandis qu'en France on rembourse le droit perçu sur le pied de 70.

Une disposition spéciale de la loi anglaise autorise le gouvernement, d'ici à la fin de l'année, à modifier, sans recourir au Parlement, les droits ainsi fixés, si le besoin s'en fait sentir; il est donc probable que l'on veillera à ce que le drawback ne devienne pas une charge trop onéreuse pour le Trésor.

La Belgique fait des conditions beaucoup plus favorables aux raffineurs qui exportent leurs produits, et les revenus qu'elle tire du droit sur le sucre pourraient s'en trouver gravement compromis; aussi le gouvernement a-t-il déclaré qu'il entendait conserver un produit net de 3 millions sur cette branche des importations. Lors donc que la somme viendrait à être entamée, les raffineurs, auraient à rapporter sur les primes liquidées en leur faveur une quote-part proportionnelle de restitution.

La Hollande accorde également au raffinage des primes, qui sont un véritable droit protecteur, levé sur le pays, en faveur de ses colonies de la mer des Indes. Aussi les raffineries d'Amsterdam ont-elles pris des proportions colossales.

Le régime adopté en France, si on le compare avec ce qui se fait chez les nations voisines, est donc, après tout, assez raisonnable, ce qui ne veut pas dire qu'il soit parfait, bien loin de là. Ce que donne le gouvernement est une restitution du droit; il exige qu'on lui rende la quittance délivrée par la douane au moment de la sortie de l'entrepôt, et il rend le droit perçu sur 100 kilogrammes de sucre brut pour chaque fois 70 kilogrammes de sucre raffiné exportés..La quittance n'est admise que si elle a eu pour objet du sucre autre que blanc, importé directement des lieux de production, par navire français; du reste, on ne s'inquiète nullement que le sucre exporté soit ou non le même que le sucre importé; il y aurait impossibilité complète de s'en assurer. Le principe adopté est qu'une introduction nouvelle augmente le stock de matière saccharine pure d'une quantité déterminée, et que, lorsqu'une quantité égale de sucre pur est expor tée, le stock, revenant à être le même qu'avant l'importation première, il y a lieu, pour le gouvernement, de rembourser un droit qui n'était perçu qu'en prévision d'une consommation à l'intérieur.

Il est certain maintenant qu'il est très-difficile de faire passer une rigoureuse application du principe dans la pratique. Il a suffi, par exemple, d'une décision administrative relevant de quelques degrés le sucre brut admis comme matière première de la raffinerie, pour procurer aux raffineurs un rendement que tout le monde sait être supérieur à la proportion adoptée de 70 pour 100; par ce seul fait, l'exportation des sucres raffinés, qui s'était ralentie, reprend aujourd'hui une grande activité. L'élévation du type était, du reste, inévitable par suite du progrès de la fabrication du sucre indigène; et ce qui complique beaucoup les choses, c'est qu'en réalité il n'y a presque plus lieu de faire la distinction du sucre, en sucre brut et en sucre raffiné, pour ce qui concerne les produits de la betterave. La fabrication indigène peut désormais arriver du premier jet à tous les degrés de blanc, et, par conséquent, de richesse saccharine.

C'est, toutefois, tirer une conclusion fausse que de partir du fait qu'un raffineur peut choisir, à l'intérieur, un sucre rendant 100, ou du moins 95 pour 100, pour dire que le Trésor perdra 44 fr, par 100 kilogrammes de sucre exporté, ou même pour dire, avec le

Journal des Débats, qu'on peut évaluer cette perte à 35 ou 30 fr. C'est, encore une fois, une grave erreur que de s'inquiéter de la matière première qu'emploie le raffineur; ce qui importe à l'administration et au Trésor, c'est la comparaison, en richesse saccharine pure, de ce qui entre et de ce qui sort. A cet égard, on ne peut que regretter que le saccharimètre, qu'on avait supposé pouvoir donner la mesure de la richesse absolue en sucre pur, et qui avait servi de base à la loi du 13 juin 1851, se soit trouvé tellement au-dessous de sa mission, qu'on ait dû en abandonner l'usage 1.

La grande question des sucres reste donc toujours la même, et la loi toujours faite n'en est pas moins toujours à faire. On voit que, suivant certains esprits, ce qui concerne le sucre raffiné devient inquiétant, et il faut reconnaître qu'ils ont raison dans une certaine mesure; d'un autre côté, la faveur d'un dégrèvement de 7 fr. par 100 kilogrammes pour le sucre des colonies a été accordée pour quatre ans seulement, et il faudra bientôt aviser de nouveau. Toutes les anciennes difficultés vont enfin se dresser encore devant nous, plus menaçantes que jamais.

Déjà se reproduit la discussion des prix de revient, et la Cham bre de commerce de la Pointe-à-Pitre soutient qu'il faudrait une réduction de 17 fr. pour 100 kilogrammes sur les provenances des Antilles, pour qu'il y ait parité de traitement entre le sucre de la Guadeloupe et le sucre de betterave.

M. Larreguy s'inquiète aussi en voyant un nouveau sucre, celui de l'Égypte, paraître sur le marché français. Il est encore, en cette circonstance, facile à alarmer, car c'est bien récemment que le pacha d'Égypte s'est occupé de la culture de la canne à sucre. En 1852, il n'était rien venu en sucre de ce pays, et si trois cargaisons sont arrivées l'année dernière à Marseille, le qualité n'en était ni riche ni belle.

Un point sur lequel nous sommes heureux de nous rencontrer avec M. Larreguy, c'est sur l'utilité qu'il y aurait à encourager la consommation par un large dégrèvement sur le taux actuel des droits. Le Trésor retrouverait promptement, dans l'augmentation du poids sur lequel porterait la perception, une compensation du sacrifice qu'il ferait sur la quotité du droit. La consommation par tête d'habitant est seulement, en France, de 3 kilog. 80 centig, en

Voir le Journal des Economistes, t. XXX ; p. 481, et le Dictionnaire de l'Economie politique, au mot: Sucre.

moyenne par an, tandis qu'elle est, en Angleterre, de 14 kilogr.; il y a là une large marge pour le progrès.

Mais, en se résignant à une forte réduction du droit, il faudrait accepter d'entrer enfin dans la voie de la liberté commerciale; il faudrait renoncer à toute surtaxe sur les sucres étrangers, aussi bien que sur les cafés; il faudrait, enfin, abandonner une bonne fois le vieux système colonial restrictif, en émancipant du même coup et les colonies et notre commerce maritime. Pourquoi les colonies, devenues libres d'envoyer leurs produits partout où ils seraient recherchés, libres d'acheter aux meilleures conditions possibles les articles de leur consommation, ne continueraient-elles pas à commercer avec la France, aussi bien que le Brésil, l'île de Cuba, les Etats-Unis et tant d'autres pays américains? Elles y seraient portées par la communauté d'origine, de langage, d'affections, d'habitudes. La France ne manquerait pas, d'ailleurs, de les protéger de tout son pouvoir; elle ferait sans doute, et au moins transitoirement, de grands sacrifices pour cela, et elle les considérerait toujours ensuite comme des points militaires importants à conserver, dans l'intérêt de sa puissance maritime.

HORACE SAY.

« PreviousContinue »