Page images
PDF
EPUB

On doit d'abord distinguer, parmi ces valeurs, les titres de créance, tels que ceux qui attribuent des rentes sur l'État (sur contribuables), des actions industrielles, qui représentent des parts de propriété dans les chemins de fer, les canaux, etc.

Les rentes sur l'Etat ne sont pas autre chose qu'une assignation donnée à tous les porteurs de titres sur la richesse générale, pour une durée indéterminée, et qui, malheureusement, semble affecter de plus en plus, dans tous les Etats de l'Europe, les caractères de la perpétuité. On ne pourrait considérer ces rentes comme faisant partie de la richesse générale ou nationale que par une erreur absolument équivalente à celle d'un propriétaire foncier qui, en dressant l'inventaire de sa fortune, s'aviserait de comprendre dans l'actif les inscriptions hypothécaires dont ses propriétés seraient grevées. Les rentes sur l'Etat ne sont donc point une partie de la richesse générale; au contraire: le taux de leur valeur pourrait baisser jusqu'à zéro, sans que cette baisse constituat en elle-même aucune diminution de la somme des richesses; elle serait, sans doute, le signe d'une grande détresse ou de dispositions peu équitables, car elle indiquerait que le débiteur, la nation, ne peut ou ne veut plus payer sa dette; mais ce qui resterait encore de richesse dans le pays ne serait pas réduit par l'anéantissement total de la valeur des titres de rente. La hausse ou la baisse du taux de la valeur de ces titres ne sauraient donc affecter la richesse générale, et il est fort douteux, selon nous, qu'une hausse, même durable, soit un signe certain de prospérité, car la recherche des titres dont il s'agit n'indique pas toujours un accroissement de capitaux; elle peut tenir, et nous pensons qu'elle tient souvent, en effet, à ce que les emplois industriels ne présentent pas, aux capitaux disponibles ou susceptibles de le devenir, des placements fructueux ou bien assurés.

Quant aux actions industrielles, la hausse de leur valeur, lorsqu'elle ne tient pas à des combinaisons d'agiotage ou de monopole, et qu'elle est uniquement due à la multiplication des services rendus par les entreprises auxquelles elles se rattachent, est le signe d'un accroissement réel de richesse; elle indique, en ce qui concerne les chemins de fer ou les canaux, par exemple, que la quantité des transports s'accroît, et qu'en conséquence, l'industrie commerciale est plus active, ce qui, en général, et sauf certains cas exceptionnels, signifie que l'agriculture et l'industrie manufacturière sont plus fécondes. AMBROISE CLÉMENT.

2 SÉR. T. III. — 15 Juillet 1854.

2

DU DROIT D'ENREGISTREMENT

SUR

LES BAUX DE BIENS IMMEUBLES

ET

DE SON INFLUENCE SUR LE SYSTÈME GÉNÉRAL
DES IMPOTS EN FRANCE.

Dans une société bien organisée, tout impôt doit être le prix d'un service rendu par l'Etat aux contribuables, et, pour qu'il soit productif et équitable, il ne faut pas que l'Etat abuse de son omnipotence pour élever le prix de ses services à un taux exorbitant; autrement il tomberait bientôt dans l'inconvénient signalé par le fabuliste de la Poule aux œufs d'or.

Dans le nombre de nos impôts, il en est un qui semble modeste et qui néanmoins est susceptible de prendre une grande importance, avec une très-légère modification dans sa législation; je veux parler du droit d'enregistrement sur les baux de biens immeubles. Ce droit est fixé à 20 centimes par 100 francs, outre le dixième sur le prix cumulé de toutes les années du bail 1.

Je ne m'occupe pas en ce moment de la quotité du droit, sur laquelle je reviendrai tout à l'heure. Si tous les contrats de baux étaient soumis à l'enregistrement, le produit de l'impôt serait considérable. Mais la plupart des actes de ce genre sont faits sur papier libre, et ne sont pas enregistrés, de telle sorte que le Trésor public perd à la fois les droits de timbre et d'enregistrement.

De leur côté, les parties perdent tous les avantages que procure l'enregistrement. Ainsi, ces actes n'ont pas de date certaine et ne peuvent être opposés aux tiers : conséquemment le locataire ou le fermier ne peuvent, en cas de vente, se prévaloir de leur bail contre un nouvel acquéreur. De son côté, le bailleur ne peut, en cas de faillite ou de déconfiture du preneur, obtenir son privilége sur les objets garnissant la maison ou la ferme avec toute l'étendue assurée au bail enregistré. Il ne peut se servir de son bail, à l'effet de pour

1 V. loi du 16 juin 1824, art. 1er.

suivre commodément en justice le locataire ou fermier en retard de payer ses termes arriérés: il faut alors qualifier le bail de verbal, pour éluder les dispositions de la loi sur l'enregistrement; et si des contestations s'élèvent sur le sens des clauses du bail, les tribunaux peuvent et doivent refuser d'admettre la production des baux écrits non enregistrés, et les parties sont alors exposées à des doubles droits et à des amendes. Si, dans les inventaires après successions ou faillites, des baux écrits sont trouvés et mentionnés, il y a également ouverture à des doubles droits. Les baux non enregistrés empêchent les locataires ou fermiers de réclamer les indemnités spéciales auxquelles ils auraient droit en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique. Enfin ils ne peuvent servir à constater la jouissance des fermiers et à prouver la possession des biens ruraux, possession si utile en cas de contestation sur la propriété.

Pourquoi les baux d'immeubles ne sont-ils pas soumis à l'enregistrement? Cela tient à une interprétation déjà ancienne, donnée par la Cour de cassation à la loi fondamentale sur l'enregistrement, du 22 frimaire an VII, interprétation suivant laquelle les employés de cette branche d'administration ne sont pas fondés à percevoir le droit sur les baux verbaux 1, comme ils peuvent le percevoir sur les ventes verbales d'immeubles. On peut douter que ces arrêts soient parfaitement conformes à l'esprit de la loi, et peut-être, si la question se présentait aujourd'hui pour la première fois, recevrait-elle une autre solution; car on sait que la Cour de cassation est extrêmement favorable aux prétentions de l'administration de l'enregistrement.

Quoi qu'il en soit, mon intention n'est pas de faire ici une discussion de droit, mais d'économie financière, et de faire voir l'immense portée qu'aurait l'enregistrement des baux sur notre système d'impôts, et d'indiquer le moyen de procurer cet enregistrement. Voici les principaux résultats que cette mesure produirait :

1o Le recouvrement des droits de timbre et d'enregistrement, décrétés par la loi, mais qui échappent à la perception pour la plus grande partie, serait assuré dans l'avenir. Je n'ai pas les éléments nécessaires pour calculer la perte éprouvée par le Trésor en cette matière; à voir ce qui se passe dans la pratique des affaires, cette perte doit être extrêmement considérable.

2o Les baux d'immeubles serviraient à déterminer et à faire

'V. arrêts de la Cour de cassation des 12 et 17 juin 1811, dans la collection Sirey-Devilleneuve, 1811, première partie, p. 238 et 257.

connaître le revenu foncier des propriétés bâties et non bâties; et, quoique la contribution foncière soit un impôt de répartition, le fisc a toujours intérêt de connaître le revenu réel, qui révèle la masse de la richesse foncière imposable, et qui sert à faire connaître le rapport entre le revenu cadastral et le revenu véritable.

3o Ce revenu fournirait les éléments d'un problème dont le législateur et l'administration se préoccupent depuis si longtemps, savoir l'égalité proportionnelle de la répartition de l'impôt foncier entre les départements. Je sais bien que, dans l'état de choses actuel, l'administration a dû rechercher les revenus départementaux à l'aide des ventes et des baux existants; mais les baux enregistrés, étant en très-petit nombre, ne peuvent fournir que des résultats incomplets, incertains, et par là même inexacts; tandis que, si la grande majorité des baux étaient enregistrés, ils se contrôleraient les uns par les autres dans chaque localité, et l'on arriverait à des moyennes qui se rapprocheraient beaucoup de la vérité.

4o Les baux enregistrés serviraient à l'assiette et à la répartition de la contribution mobilière, tandis que les répartiteurs sont dans la nécessité de procéder d'après des évaluations approximatives, sans bases réelles.

5o Ils serviraient à l'établissement du droit proportionnel des patentes. Cette taxe étant un impôt de quotité, on recherche la véritable valeur locative des bâtiments occupés par les patentables; et, dès lors, il est clair que des baux enregistrés seraient le meilleur élément à consulter pour l'établissement de ce droit.

6o Les baux enregistrés, donnant le revenu véritable des immeubles, fourniraient une base pour la détermination de la valeur des biens vendus, et pour asseoir la perception des droits de vente et de transcription; ce serait un frein contre la dissimulation habituelle dans les prix de ventes immobilières. Les notaires et les parties seraient contenus, dans l'énoncé de ces prix, par la crainte d'être trop exposés aux recherches de l'administration de l'enregistrement, une fois que le revenu des biens-fonds serait connu.

7o La même observation s'applique avec encore plus de force aux échanges d'immeubles, puisque, ces actes ne comportant pas de prix, les parties doivent y suppléer par une déclaration estimative du revenu. Un bail enregistré préviendrait les fraudes sur l'évaluation des immeubles échangés et sur la dissimulation des soultes, ou du moins rendrait cette double fraude, qui se pratique si fréquem. ment, plus difficile et plus rare.

8o Les baux enregistrés procureraient les mêmes avantages dans les donations par contrat de mariage, dans les donations entre vifs, contenant ou non des partages anticipés. Le droit de mutation se percevant dans ces actes sur le revenu capitalisé, le revenu se trouverait tout constaté dans le bail, et la dissimulation serait impossible.

9o Il en serait de même dans les mutations par décès; les déclarations de successions seraient toujours sincères et exactes, toutes les fois que les biens immeubles en dépendant seraient cultivés par des fermiers avec baux enregistrés.

On voit par là quels immenses avantages le fisc retirerait de l'enregistrement des baux d'immeubles, si les lois qui prescrivent cet enregistrement étaient exécutées. Ces avantages sont si considérables, que je suis pleinement convaincu que l'État aurait profit à enregistrer gratuitement les baux, persuadé qu'il gagnerait plus sur l'accroissement des autres impôts qu'il ne perdrait sur le droit actuel d'enregistrement des actes actuellement soumis à cette formalité.

Ce n'est pas à dire que l'on doive supprimer entièrement ce droit; mais j'en conclus seulement que l'on devrait le réduire, par exemple, de moitié, en prescrivant les mesures que j'indiquerai tout à l'heure pour procurer l'enregistrement des baux. Comme exemples à suivre en matière d'abaissement de droits fiscaux, on peut citer le timbre des effets de commerce et la taxe des lettres; ce sont des mesures bien entendues, tant au point de vue de l'intérêt du fisc que de celui des contribuables. Il en serait de même, à plus forte raison, d'un abaissement de tarif sur l'enregistrement des baux; car, outre que cet abaissement procurerait l'enregistrement d'un plus grand nombre d'actes, le fisc retrouverait dans le produit d'autres impôts ce qu'il pourrait perdre en apparence dans le déficit de celui-là.

Pour procurer l'enregistrement des baux de biens immeubles, il faudrait que l'abaissement du droit fût accompagné d'une disposition législative analogue à celle qui a été prise, pour les ventes d'immeubles, par la loi du 27 ventôse an IX, art. 4, c'est-à-dire que tous les contrats de baux, sans distinction de ceux dits verbaux ou de ceux faits par écrit, fussent assujettis à l'enregistrement dans le délai de trois mois. On ne ferait que revenir à l'assimilation établie originairement entre les baux et les ventes1, en faisant dispa1 V. loi du 22 frimaire an VII, art. 12 et 13.

« PreviousContinue »