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M. L. DE LAVERGNE admet qu'on peut conclure en disant qu'un intermédiaire est utile toutes les fois que, sans son intervention, la production, l'échange ou la consommation de la richesse ne pourraient s'effectuer.

BIBLIOGRAPHIE.

HISTOIRE DE LA RÉFORME COMMERCIALE EN ANGLETERRE, AVEC DES ANNEXES ÉTENDUES SUR LA LÉGISLATION DE DOUANE ET DE NAVIGATION DANS LE MÊME PAYS, par HENRI RICHELOT. Tome Ier; Paris, Capelle, 1853. 1 vol. in-8°. La réforme commerciale opérée en Angleterre sera un des faits les plus glorieux et les plus féconds de ce siècle. Nous commençons donc par féliciter M. Henri Richelot d'avoir songé à en écrire une histoire assez étendue.

Ce travail aura deux volumes. Celui qui a déjà paru, et que nous avons sous les yeux, remonte à 1815. L'auteur, dans un premier chapitre, qu'il intitule Période préparatoire, jette un coup d'œil rétrospectif sur les changements opérés durant la guerre, le vote de la fameuse loi des céréales, en 1815, la crise commerciale qui suivit la paix, les diverses mesures, prises de 1815 à 1819, et qui frayèrent la voie à une réforme douanière; les pétitions de 1820 en faveur de la liberté commerciale, parmi lesquelles brille celle de Londres, rédigée par le savant M. Tooke; les enquêtes de 1820 et 1821, et celle de 1822, à la suite des doléances de l'agriculture. Il s'occupe ensuite de la célèbre administration de Huskisson, durant six ans (1822-1830), qu'il appelle la première période de la réforme, et pendant laquelle diverses prohibitions importantes furent levées, les tarifs furent remaniés à diverses reprises, l'acte de navigation modifié, les entrepôts reconstitués sur de plus larges bases et le système colonial élargi. Dans cet intervalle, eurent lieu de brillantes discussions au sein du Parlement, une première enquête sur la prohibition d'exporter les machines, les deux missions de M. William Jacob sur le continent, relatives à l'approvisionnement des grains.

M. Richelot forme une deuxième période de l'administration des whighs arrivés aux affaires après la révolution de 1830, bientôt suivie de la déplorable mort de M. Huskisson lors de l'inauguration du chemin de fer de Liverpool à Manchester, et qui dura` jusqu'en 1841, après avoir été quelques mois interrompue par un ministère Peel, en 1834-35. Pendant cette période, qui fut inaugurée par la réforme parlementaire, la liberté du commerce fit des progrès dans les esprits, mais il ne fut pris aucune mesure bien hardie. On fit subir toutefois un dégrèvement aux vins de France et des réductions à l'excise; on assimila les produits des Indes orientales à ceux des Indes occidentales; on révisa la charte 2 SÉR. T. III. 15 Juillet 1854.

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de la Compagnie des Indes; des négociations commerciales furent poursuivies dans toute l'Europe. Vers la fin de la période, eurent lieu l'enquête sur le tarif d'importation (1840), et une nouvelle enquête sur l'exportation des machines (1841), question ajournée du temps d'Huskisson. En 1844, poussé par la crise commerciale et l'opinion publique agitée par l'Association à Manchester, le cabinet Melbourne proposa une timide réforme sur les céréales, les sucres et les bois de construction, pour laquelle les whighs ne surent pas garder la majorité; ce qui ramena les tories aux affaires, et à leur tête Robert Peel, à qui il était réservé d'accomplir la réforme.

L'administration de Peel et les travaux de la ligue contre la législation sur les céréales (anticorn-law league) constituent la troisième période historique de la réforme commerciale, qu'a voulu raconter M. Richelot, et occupent les cinquième et sixième (dernier) chapitres de son premier volume. Après avoir dit quelques mots des antécédents de Robert Peel, l'auteur expose d'abord les mesures préliminaires habilement obtenues, et non moins habilement appliquées par l'illustre homme d'Etat, de 1841 à 1845: taxe sur le revenu, remaniement des tarifs (1842), acte sur le blé du Canada, levée de la prohibition des machines (1843), divers dégrèvements de douanes et loi sur les sucres (1844); remaniement considérable des tarifs en 1845. Il fait ensuite l'histoire de la ligue, des meetings et autres travaux de cette association formidable, pendant huit années, depuis sa naissance, en 1838, jusqu'au meeting solennel de juin 1845; meetings et travaux sur lesquels la collection du Journal des Economistes contient de nombreux et intéressants détails. (Voy. la table des matières.)

Pour achever l'analyse sommaire du volume que nous examinons, nous devons ajouter que la dernière partie contient quatre annexes importantes et précieuses pour beaucoup de lecteurs. Ces annexes sont: premièrement, un précis chronologique de la législation de douane et de navigation du Royaume-Uni, depuis 1815, classé méthodiquement par ordre de matières générales; un tableau indiquant, en francs, le montant des réductions opérées et des augmentations d'impôts, obtenues en Angleterre depuis 1814; - le tarif des droits d'importation du RoyaumeUni, mis au courant jusqu'à 1853; et enfin, une table des rapports des mesures, monnaies et poids anglais en mesures, monnaies et poids français, pour faciliter les conversions et les appréciations.

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Voilà le contenu du livre. Disons maintenant quelque chose de la manière dont l'auteur a traité son sujet et de l'esprit qui l'a guidé.

Nous commencerons par regretter que M. Richelot n'ait pas pris son sujet à une époque antérieure à 1814. Assurément, c'est là une date importante de l'histoire de la protection, puisque c'est celle de la loi des céréales qui proclame, comme le dit M. Richelot (p. 6), une prohibition nouvelle, la plus odieuse des prohibitions, celle des grains. Mais son

livre eût assurément gagné en importance et en intérêt, s'il avait raconté les épisodes de la législation douanière pendant la Révolution et l'Empire. Il aurait été conduit à tirer cette conséquence que plusieurs aggravations de tarifs, que plusieurs augmentations d'entraves, entre la France et l'Angleterre notamment, avaient eu des motifs guerriers que la protection s'est plus tard appropriés ; et si, remontant plus haut, il nous avait raconté les discussions auxquelles donna lieu la négociation du célèbre traité de 1786, il aurait eu occasion d'apprécier ce même traité, résultat des idées libérales de l'école physiocratique, qui avaient fait des partisans parmi les hommes d'Etat d'Angleterre, et contre lesquelles on invoquait alors, au sein du Parlement, ces mêmes arguments que les protectionistes de nos jours ont retournés contre le free trade. Le fameux Timeo Danaos et dona ferentes, si souvent reproduit contre la perfide Albion, c'est un enfant de cette perfide Albion, qui le lançait, dans le sein de la Chambre des communes, contre les négociateurs français qui invoquaient les principes de la liberté commerciale entre les deux pays. « A défaut des moyens de conquêtes de Louis XIV, disait Fox, la France veut y suppléer par un traité plein d'embûches. Timeo Danaos, etc. »« La France est profondément perfide, s'écriait Burke; ses industriels se soumettent à des pertes temporaires devant la supériorité de vos fabriques, afin d'absorber plus tard vos capitaux: Hoc ligno occultantur Achivi 2. »

Aujourd'hui on nous affirme ici que ce traité de 1786, qui n'a d'ailleurs. duré qu'un instant, a ruiné la France; que c'est à l'aide des embûches qu'il renfermait que l'Angleterre a absorbé les capitaux français ! Il y aurait eu profit et plaisir à voir l'honnête érudition de M. Richelot aux prises avec cette grossière argumentation.

A côté de ce regret, nous en placerons un autre ; c'est que M. Richelot se soit, comme à dessein, abstenu de citer les sources où il a puisé. C'est là, nous le savons, le procédé habituel de quelques écrivains; mais ce procédé n'est pas complétement d'accord avec la probité scientifique, et ûte à un ouvrage une partie de son utilité pour les hommes d'étude, qui après avoir coupé et lu un livre, le reprennent en sous-œuvre pour l'étudier et le consulter. Il enlève également aux opinions et à tout le travail de l'écrivain un certain degré de confiance. On aime à savoir, quand on s'occupe d'un sujet, quelles sont les sources où l'auteur a recueilli les faits qu'il énonce, et quelle confiance ces faits peuvent inspirer. Les indications que nous réclamons ne sont point un étalage de vaine érudition; elles sont, selon nous, une partie très-essentielle des travaux historiques.

M. Richelot dit, en commençant, qu'il s'est servi exclusivement des

1 Hansards parliamentary debats, janvier 1787, p. 402.

2 Ibid.,

p.
488.

sources anglaises, en rangeant dans cette catégorie la Revue Britannique. Cette indication est loin de suffire; on aimerait à savoir, nous le répétons, quelles sont ces sources anglaises; et il y a vraiment un peu d'égoïsme à les passer sous silence. Au reste, cette prétention de l'auteur au début (p. 3) a dû se modifier, surtout en écrivant l'histoire de la ligue, à propos de laquelle ce qu'ont publié quelques économistes français semble avoir servi (et nous trouvons cela fort légitime) à l'auteur, et n'a pas été suffisamment ou même pas du tout rappelé par lui; car assurément, sans ces écrits, M. Richelot n'aurait pas rédigé aussi complétement, ou au moins aussi facilement, la dernière partie de son volume contenant l'histoire de la ligue. Ce silence dédaigneux n'est pas le seul acte d'hostilité de M. Richelot envers les défenseurs de la liberté commerciale, en France. Nous allons en signaler un autre.

M. Richelot, la première fois qu'il a pris la plume pour s'occuper de questions économiques, il y a de cela dix ans, dans son écrit de l'Association douanière allemande 1, s'est posé en adversaire de la doctrine libérale d'Adam Smith. Nous avons fait, à cette époque, nos réserves contre cette direction et cette prétention de son esprit 2. Depuis il a traduit le Système national d'économie politique de List, à propos duquel une vive polémique s'est élevée, dans ce même recueil, entre lui et M. Blanqui. Mais déjà, dans l'introduction et les notes de cette traduction, M. Richelot nous paraissait avoir fait des progrès notables dans l'économie politique libérale, vers laquelle, quoi qu'il en dise, la logique et l'étude des faits l'entraînent. Nous avons déjà constaté dans le Dictionnaire d'économie politique (art. List., bibliographie), que, tout en professant une admiration outrée, selon nous, pour List, il prend souvent la défense des fondateurs de l'économie politique contre ses exagérations et ses erreurs. Enfin, dans ce dernier livre, dont nous rendons compte au lecteur, nous constatons que M. Richelot a traité son sujet avec impartialité. Il se montre, depuis le commencement jusqu'à la fin, l'approbateur des doctrines libérales dont il raconte l'histoire; et on sent, en le lisant, qu'il est sensible à la gloire d'Huskisson, à celle de Robert Peel et des ligueurs de Manchester, tout comme l'eût été un économiste pur-sang.

Toutefois, on dirait que vers la fin de son livre l'auteur a craint qu'on ne l'accusat de trop de libéralisme et de trop d'enthousiasme pour les auteurs des grandes réformes qui l'ont touché; en effet, il fait quelques efforts dans ses dernières pages, écrites en manière de conclusion, pour rétrécir le caractère de la réforme commerciale en Angleterre et rapetisser la physionomie des hommes qui l'ont conquise. Hâtons-nous de dire qu'il n'y parvient pas, et que sa plume semble protester contre sa préoccupation.

1 L'association douanière allemande, Paris, Capelle, 1846, 1 vol. in-8. Voir volume XII, p. 250.

Après avoir été conduit à dire que le triomphe de la ligue a tenu à deux conditions nécessaires du succès, la bonté de la cause et le mérite des hommes, il ajoute ce correctif: « Ce n'est pas que, par une admiration aveugle, il faille voir en elle une apparition soudaine, une sorte de révélation, chercher sous sa bannière les champions de l'économie politique, les avocats des classes laborieuses, les apôtres de l'émancipation des peuples et de la paix universelle. » Pour développer ces divers points, il s'attache à établir que les ligueurs n'ont fait que continuer un mouvement commencé avant eux; qu'ils n'ont professé de respect pour Adam Smith que parce qu'ils ont trouvé des arguments dans son livre ; que la paix présentée par eux comme conséquence du libre échange leur fournissait de beaux effets oratoires et de magnifiques péroraisons, mais, qu'au fond, ils pensaient à élargir les débouchés, et poursuivaient un but manufacturier plutôt qu'un but cosmopolite; - comme si, de l'aveu même de M. Richelot, la phase de la ligue n'était pas la plus brillante de toutes celles qui composent le développement successif de la liberté commerciale; comme s'il ne suffisait pas que leur thèse fût l'expression pure de la vérité scientifique et en parfait accord avec les intérêts des classes ouvrières et l'intérêt de l'humanité tout entière, pour réduire à moins que rien la singulière polémique de l'historien, fort embarrassé de nier en quatre pages les conséquences qui ressortent de tout le livre.

Après cet effort sans succès, M. Richelot énumère d'autres défauts des ligueurs : « La déclamation, une jactance immodérée, l'exclusivisme le plus absolu et le plus tranchant, la violence effrénée d'invectives, qui ne respectaient pas même Wellington, le demi-dieu de l'Angleterre. » Que M. Richelot nous permette de le lui dire, ceci est loin d'être exact. Il a pu y avoir parmi les orateurs de second ordre de la ligue, comme il y en a partout, des déclamateurs, des bavards et d'ennuyeux personnages; les prédications de la ligue ont pu être parfois passionnées et peu respectueuses pour lord Wellington, grand propriétaire, tory et protectioniste; mais à coup sûr, la lecture des discours des Cobden, des Bright, des Fox, des Villiers, des Thompson, etc., ne peut laisser l'impression que nous venons de transcrire.

Nous ne saurions non plus être de l'avis de M. Richelot, qui reprochait aux ligueurs d'avoir répandu dans le pays une agitation morale qui aurait pu se tourner en agitation brutale, et d'avoir affaibli, en diminuant l'aristocratie foncière, un principe essentiel de la puissance et de la prospérité nationales. Il y aurait trop à dire sur ces deux points; nous ne les mentionnons que pour compléter la pensée de l'auteur.

Après avoir cherché à amoindrir les chefs de la ligue, dont il appelle cependant les travaux une « héroïque Iliade, » M. Richelot trouve une autre compensation dans la critique des essais tentés en France pour faire triompher la liberté commerciale.

« La ligue, dit-il, a eu le sort de ce qui brille et de ce qui réussit : elle

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