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commun aux Philofophes & aux Hommes illuftres, ne peut foutenir l'examen de la Raifon. Elle démontre bientôt que la paffion d'être loué après la mort, n'est qu'une fuite d'un orgueil, & d'un amour propre que cette même mort détruit. Eft-il fage & raifonnable de fouhaiter avec fureur une chofe dont nous n'aurons aucune connoiffance, & qui nous fera auffi indiférente que nous l'étoient les êtres qui ont exifté avant notre naiffance? Mais je vais plus loin, & je fouriens qu'il n'eft aucun Homme de bon fens qui puiffe fe perfuader, quelque mérite qu'il ait, que fa mémoire fera éternelle chez les Hommes.

LES Héros, les Conquerans, les Rois ne font connus dans la Poftérité, que par ce qu'en ont écrit les Gens de Lettres. On ignoreroit qu'il y ait eu un Achille, un Agamemnon, un Alexandre, un Miltiade, un Thémiftocles, un Alcibiade, fans les Auteurs Grecs. Horace remarque fagement qu'il y avoit eu avant Agamemnon plufieurs Héros qui étoient inconnus, parce qu'ils n'avoient pas trouvé un Poëte tel qu'Homère qui les eut fait connoître. En montrant qu'il eft impoffible que les meilleurs Auteurs

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aillent à l'immortalité, on prouve évidemment que ceux dont ils parlent ne peuvent jouir de cette même immortalité. Or en fuppofant qu'un Auteur écrive des Ouvrages dignes d'être lus dans fon Siècle, qui peut affurer que chaque jour ils ne perdront point de leur prix, le goût des Hommes étant fi fujet aux changemens? On ne peut nier qu'Ho mère ne foit moins eftimé en général, qu'il ne l'étoit du tems de la Grèce floriffante, & même du tems des prémiers Empereurs Romains. Puis qu'Homère femble avoir perdu quelque chofe par l'éloignement qu'il y a des mœurs & des ufages qu'il nous peint à ceux du Siècle où nous vivons, qui peut fe flater de toujours plaire? Mais fuppofons que les Ecrits d'un Auteur auront une longue durée. De combien d'années fera-t-elle ? De dix mille? Où eft l'Ouvrage qui ait furmonté tant de Siècles? Peut-on citer l'exemple d'un feul qui ait vaincu la durée de quatre mille ans? Homère n'en a point encore trois mille. Cependant admettons qu'un Auteur dure dix mille ans. Qu'eft-ce que dix mille ans pour quelqu'un qui vife à l'immortalité? Ce n'eft rien.. Ce tems, eu égard à ce que F 5 peut

peut durer le Monde, doit à peine être confideré comme un grain de fable comparé à ceux qui bordent les rivages immenfes de la Mer. Et fi l'on approche l'idée de ce même tems avec l'idée de ce que l'on doit entendre par l'immortalité, les dix mille ans ne paroiffent pas plus confidérables qu'un inftant. Čes deux efpaces de tems, qui femblent fi différents, font égaux, lorfqu'on les compare à l'Eternité.

L'ENVIE d'immortalifer fon nom n'eft donc qu'une chimère, dont on se démontre l'impoffibilité, dès qu'on la confidère attentivement ; & l'on eft forcé de convenir que ceux qui ne croyent pas l'immortalité de l'Ame, ne peuvent jamais trouver une véritable confolation dans la trompeuse espérance d'éternifer leur mémoire. Ils ne font pas plus fatisfaits des autres chofes fur les quelles ils fon dent leur confolation; car leurs espérances, leurs penfées, leurs jugemens n'ayant aucune ftabilité, ils n'ont rien qu'ils fe puiffent promettre de conferver un jour entier. Leur prévoyance n'a pour ob jet que les chofes préfentes, & à leur égard tout est à la merci de la Fortune, jufqu'à leur Raifon même, puisqu'elle n'eft

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occupée que des chofes dont le Destin fe jouë. Ils vivent, comme l'on dit, du jour à la journée, fans fonger aux maux qui peuvent leur arriver. N'eft-il pas naturel que des Gens qui penfent de cette façon ne faffent que de médiocres efforts pour dompter leurs Paffions? Si ces efforts font plus pénibles que les chagrins que peuvent leur procurer ces Paffions ils doivent felon leur fifthême céder à tous les mouvemens qu'elles leur infpirent. Ils ne font occupés que du moment préfent. C'eft affez pour eux de rendre ce moment le moins malheureux qu'ils peuvent.

UN Homme, qui croit l'immortalité de l'Ame, cherche, non feulement à fe guérir de fes Paffions pour être tranqui le dans ce Monde; mais encore pour être heureux dans l'autre. Un Avare, qui dompte l'Amour qu'il a pour les richeffes, confidère qu'il ne doit pas craindre de perdre des biens paffagers pour en recouvrer d'éternels. Le Pauvre, qui est dans l'indigence, prend patience, & fuporte fa mifère; il ne fonge point à la faire finir par quelque mauvaife action, parce qu'il efpère que fon malheur sera fuivi d'une félicité qui durera toujours.

Un

Un Vindicatif tâche d'oublier l'offence qu'on lui a faite, & fait fes efforts pour donner des bornes à fa Paffion, parce qu'il attend la récompenfe des foins qu'il prend pour arrêter les mouvemens qui portent à la vengeance. Enfin tout Homme qui 'croit l'immortalité de l'Ame a un but bien plus attrayant, que celui qui ne vife qu'à une vertu humaine, & qui ne travaille que pour un moment.

MAIS, dira-t-on, nous voyons plufieurs Perfonnes qui croyent l'immortalité de l'Ame, & qui cependant ne penfent point à dompter leurs Paffions. Je réponds que parmi les Gens qui difent être perfuadés de l'immortalité de l'Ame, il y en a beaucoup, qui en étant foiblement convaincus, cherchent à en douter. Leur mauvaise conduite les anime à cultiver & à fomenter leurs doutes. Il y en a d'autres qui s'étourdiffent, & qui cherchent à étouffer les remords dont ils font déchirés. Enfin il y en a quelques uns en qui la raison agit fi foiblement, que les fecours qu'on retire de la croyance de l'immortalité de l'Ame leur font moins utiles qu'aux autres. Mais, parce que certains Malades ne fe ferviroient point par entêtement, par caprice d'un remède excellent &

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