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pareil miracle. Enfin tous les moyens d'avoir des provisions lui manquent. Il fort avec fa Garnifon prefque toute compofée d'Infanterie. Il emmène fes Bagages, fon Artillerie. Il a à craindre d'être pourfuivi par quinze ou vingt-mille Hommes de Cavalerie Légère. Il doit marcher dans la plus rigoureufe Saifon, depuis la Capitale d'un Royaume jufqu'aux frontières de ce même Royaume. Il eft obligé de camper pendant toute fa marche au milieu des Neiges; rien ne l'arrête. Il brave le danger, il le furmonte. Il réuffit dans fes projets. Il fauve l'honeur de fa Patrie; & il eft plus admiré de fes Ennemis qui connoiffent la grandeur de fon courage par la hardieffe de fon entreprise, qu'il n'eft loué de fes Concitoyens, dont une partie hair fon mérite. La Poftérité donnera aux actions de cet Homme les louanges qui lui font dues. A peine eft-il permis de les approuver aujourd'hui; & je ne fai pas, fi ce que je viens d'en dire, ne m'aura pas fait quelques Ennemis.

LE Sage doit prévenir les maux qui le menacent, mais ne pas en être épouvanté. Les Ames timides apprehendent les malheurs, lors même qu'ils font encore éloignés: elles s'en affligent d'avance. F 2

Ce

Cependant nos craintes font auffi fujettes à fe tromper que nos efpérances. Souvent le moment que nous avons regardé comme le commencement d'une grande infortune, eft celui d'une grande fortune. Il n'eft rien de fi fujet à l'erreur que la prudence humaine. Ce qu'elle espère & croit prévoir, n'arrive point. Ce qu'el le regarde comme impoffible, s'exécute. Il faut être bien ennemi de fon repos, pour fe rendre malheureux par la crainte d'u ne chofe qui n'arrivera point!

LA crainte pouffée à l'excès devient terreur. Alors elle fufpend en partie l'ufage des fens, & altère ces mêmes fens. On a vû des Gens qu'une terreur fubite a rendus fous; d'autres qu'elle a privés de l'ouye. Elle a caufé la mort à plu fieurs. Pour prévenir de pareils accidens, il faut s'accoutumer de bonne heure à nous représenter les dangers les plus effroyables où l'on peut tomber; réfléchir fur ceux où fe font trouvés les plus grands Hommes; examiner la conftance & la fermeté avec la quelle ils les ont foutenus, & nous convaincre par leur exemple que rien ne diminue plus le danger, que la fermeté qu'on lui oppose. Fin des Réfléxions diverfes jur les Paffions.

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DE

MADEMOISELLE CO**.

Sur les Réfléxions précédentes.

'AI lû avec plaisir vos Réfléxions. Elles me paroiffent vrayes & naturelles. Je les trouve inftructives. Mais permettez-moi de vous dire que vous avez oublié, & peut-être négligé de rar porter le meilleur moyen pour furmonter la violence des Paffions, & & pour refifter aux chagrins & aux douleurs qu'elles caufent. Ce moyen dont je vous parle, c'eft la perfuafion des points fondamentaux de la Religion universelle : l'existence de Dieu, & l'immortalité de l'Ame. Sans la croyance de ces deux vérités, l'Homme fait veinement des efforts pour vaincre fes Paffions; ils font inutiles, ou ne produifent qu'un effet très leger. Je crois que le fentiment que je foutiens peut fe prouver anffi évidemment qu'une démonftration Mathématique.

Il faut pofer comme un principe inconteftable, que la véritable félicité de l'Homme confifte dans un bien qui ne fauroit lui être enlevé malgré lui. Doiton regarder comme un bien folide une chofe qui peut nous être ravie à chaque inftant, & qu'il n'eft point en notre pouvoir de conferver? Cette Vertu, dans la quelle les anciens Philofophes, & plufieurs modernes ont fait confister la fé licité, eft impuiffante, & ne fauroit nous garantir du moindre mal. La fatisfaction qu'elle donne, n'eft qu'un orgueuil que la mort nous enlève avec tout le refte. Plufieurs Payens ont fenti eette vérité. Ils ont connu qu'il falloit chercher hors de cette vie des idées qui flattaffent l'Ame, & qui la recompenfaf fent des peines qu'elle effuyoit dans le Corps. Ceux même qui doutoient de l'im mortalité de l'Ame aimoient à fe perfuader que leur mémoire feroit éternelle, & convenoient que fans cette efpérance, la perte de la vie leur eut paru affreufe. La Mort, dit Cicéron, a quel que chofe de terrible pour ceux qui perdent tout en mourant; non pas pour ceux dont la gloire ne fauroit mourir. Voilà un fentiment naturel à l'Ame qui reclame cet

te

te immortalité qui eft fon partage, & fans l'idée de laquelle elle ne peut être heureufe. Quelle trifte reffource contre la néceffité de mourir, que cette prétendue gloire immortelle, qui ne confifte que dans les louanges que l'on nous donnera lorsque nous n'y ferons plus fenfibles! Que dis-je? Lorfque felon ces Philofophes nous ferons anéantis! Quel defefpoir, pour un Homme qui croit l'Ame mortelle, de favoir qu'il va mourir! S'il a été malheureux dans ce Monde quels regrets de ne pouvoir pas gouter dans l'autre quelque bonheur! Et s'il a été heureux, quels regrets encore de ne pouvoir pas jouir d'une immortalité heu-. reuse!

Tous les raifonnemens Philofophiques font de foibles fecours pour confoler de la mort. Epicure recommandoit avec vivacité, dans fes derniers momens, à fes Disciples d'avoir foin de publier, de répandre fes Ouvrages, & de les rendre immortels, s'il étoit poffible. Combien n'auroit-il pas été fatisfait, s'il avoit cru que fon Ame jouïroit de cette immortalité qu'il demandoit avec tant d'empreffement pour fes Ecrits?

LE defir d'éternifer fa mémoire, fi

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