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à un Inftrument bien d'accord, qui auroit des clefs en dedans que le Muficien pouroit toucher, & d'autres en dehors fur les quelles d'autres Perfonnes pourroient jouer auffi, & que d'autres Corps pourroient remuer. Par les clefs intérieures cet Auteur entend les moyens par les quels les penfées de l'Entendement rejailliffent fur le Corps; c'est-à-dire comment les idées produites purement par l'Imagination fe communiquent au Corps; & par les clefs extérieures il vent marquer l'action par la quelle les fenfations du Corps paffent jufques à l'Ame. S'il y a de la confufion dans les mouvemens des clefs intérieures ou extérieures, l'inftrument ne rend plus une jufte harmonie. Ainfi dès que l'Ame eft affectée, ou par l'Imagination, ou par les fenfations du Corps d'une manière confuse, elle ne conferve plus fa tranquilité ordinaire. Nous voyons que les Malades attaqués d'une violente fiévre font fujets à des frénefies & à des tranfports; & que les gens dont l'imagination eft vive, reffentent des peines & des plaifirs que les au tres ignorent.

LES Paffions font plus ou moins violentes, felon que la caufe qui les produit

eft

eft plus ou moins forte. Leur durée eft encore reglée par cette même caufe. Tant qu'elle continue, les Paffions fubfiftent: dès qu'elle finit, elles s'éteignent. Si l'idée qui affecte l'imagination s'éva nouït, fi les parties du corps qui imprimoient à l'Ame un certain mouvement, fe rétabliffent, & ne lui communiquent plus la même impreffion, la Paf fion, dont elle étoit touchée, ceffe. Cet Homme qui aimoit fi vivement fa Maitreffe, eft devenu indifférent. Tous les véritables Amans le regardent avec, mépris; ils ont horreur de fon infidélité. Au lieu de le condamner avec tant de rigueur, ils devroient le plaindre; fa faute eft une fuite néceffaire de l'état nouveau dans lequel a paffé fon Ame. On devroitmoins en général accufer les Hommes, d'inconftance: ce n'eft point d'eux-mêmes qu'ils font inconftans, ce font les objets qui les affectent, qui les environnent, & & qui changent à leur égard. Toutes les Paffions qui font produites par des caufes dont la force fupérieure détermine la volonté, rendent les Hommes leurs, efclaves & leurs jouets infor

tunés.

LA Raifon peut quelques fois nous ai-
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der

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der à furmonter & à vaincre nos Paffions; mais elle n'eft jamais maitreffe que de celles qui ne font point assez violentes pour l'empêcher d'agir. Dans un délire caufé par une maladie, dans un abattement total de l'Efprit, dans un prémier mouvement, & j'ôferois prefque dire, dans une Paffion qui a jetté de profondes racines, la Raifon ne pouvant agir, devient inutile. On peut donc ranger les Paffions dans deux claffes différentes. Les moins fortes peuvent fe corriger & fe conduire par le raisonnement. Elles s'expriment par des paroles, par une joye modérée, par des larmes. Celles qui font extrêmes, étonnent l'Ame, l'accablent, l'empêchent d'agir, privent de l'ufage de la parole, & fouvent de celui de la Raifon.

LES Paffions font émuës par l'apparence, ou par la réalité d'un bien ou d'un mal. Si c'eft un bien réel dont

l'Ame jouïffe, ce bien s'apelle joye, plaifir. Si ce bien eft futur, qu'il ne confifte que dans l'efpérance, on le nomme defirs, fouhaits &c. Si au contraire c'est un mal réel, on l'apelle trifteffe, douleur chagrin &c. Si le mal n'eft qu'en perfpective, il produit la crainte, la timidité &c.

LE

LE bien & le mal que nous voyons dans les autres Hommes, nous occafionnent à peu près les mêmes l'affions que nous fentons pour ce qui nous regarde; mais elles font un peu moins fortes: ainfi un mal qui étant en nous nous cauferoit de la douleur, ne produit que de la pitié, quand nous l'appercevons dans Un évènement qui nous touche, nous fait treffaillir de joye: s'il n'eft que pour les autres, il nous cause une fimple fatisfaction.

un autre.

La fource de toutes les Paffions, foit vertueufes foit vitieufes, doit fe chercher dans l'Amour-propre bien ou mal entendu. Deux Hommes font ambitieux. L'un fait fervir fon Ambition à la vertu, l'autre au vice. Ils ont pourtant le même but, qui eft de fe diftinguer & de s'élever au deffus de leurs égaux. L'Amourpropre agit dans tous les deux ; mais l'Amour-propre de l'un eft conduit par la Raifon, & l'Amour-propre de l'autre par les préjugés, & par un jugement peu folide.

APRÈS avoir fait ces réflexions générales, je vais parcourir fuccinctement les principales Paffions, éxaminer ce qui peut les rendre utiles ou nuifibles, &

découvrir, s'il m'eft poffible, les bons & les funeftes effets qu'elles caufent, fui vant qu'elles font bien ou mal ménagées.

C

§. II.

De l'Ambition.

'EST dans l'Amour-propre, ainfi que je l'ai deja remarqué, qu'il faut chercher l'origine de l'Ambition. Cette Paffion eft une des plus fortes & des plus violentes: lorfqu'elle s'eft emparée d'un cœur, elle y regne avec un fouverain empire & en règle tous les mouvemens.

LES plus belles actions des grands Hommes doivent être attribuées à l'envie qu'ils ont eu d'immortalifer leur nom. Les forfaits des Tyrans les plus cruels ont été commis en partie par l'Ambition qu'ont eu ces mêmes Tyrans de regner defpotiquement, de s'élever au deffus des loix, de s'affranchir des règles qu'ils craignoient qu'on ne leur impofat. Titus fut ambitieux du nom de jufte: Louis douze de celui de Père de la Patrie: Tibère ambitionna d'élever fa Puiffance fur les débris de la liberté Romaine: il facrifia toutes les Vertus à fa Po

litique

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