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la bannir, confulter la Raifon, l'écouter, & fonger que notre mélancolie ne peut remédier à ce qui nous afflige.

Il faut du tems pour guérir un cœur dont la Trifteffe s'eft emparée depuis long tems, & ce n'eft pas l'ouvrage d'un jour. Le fecours d'un Ami eft alors très néceffaire. Son habileté confifte à attacher peu-à-peu l'Efprit de la Perfonne qu'il veut tirer de la mélancolie fur des objets différens de ceux qui nouriffent fa Trifteffe. Il doit lui faire naître imperceptiblement les idées du plaifir, & fans qu'elle s'en apperçoive. Autrement elle ne pourroit les fouffrir. Ces idées ne produiroient aucun effet. Il faut dans ces occafions, dit Montagne, gauchir, décliner & rufer au mal.

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§. XII.

Sur la Compaffion.

E toutes les Paffions, la Compaffion eft fans doute la plus eftimable. Elle rend l'Homme véritablement Homme en le faifant fenfible aux maux des autres. Quiconque plaint les malheureux, & cherche à les foulager, connoit la véritable

vertu. Un Seigneur, auffi renommé par fa probité que par fon génie, écrivoit au Dauphin: Monfeigneur, vous avez pris Philisbourg. Il n'y a rien là de bien furprenant; vous aviez Vaubant & du canon. On dit que vous avez montré de la valeur. (Il y a peu de Grenadiers dans votre armée qui n'en aient fait paroitre. Mais on affure que vous avez témoigné de la pitié & de la compaffion pour les malheureux: je vous en félicite, Monfeigneur; continuez; voilà des vertus véritablement rares & dignes d'un grand Prince.

LA Compaffion pouffée trop loin, peut devenir vitieuse. On ne doit point l'étendre fur des Criminels qui méritent d'être punis. Une pareille Compaffion devient une foibleffe nuifible à la Société Civile. Avoir pitié d'un Affaffin, d'un Empoisonneur, c'eft proteger les crimes les plus énormes; c'eft facrifier les honêtes Gens aux Scélérats.

LA Compaffion déplacée eft ordinai rement le partage des Ames foibles. Les Femmes plaignent indiféremment ceux qui méritent d'être plaints, & ceux qui méritent d'être punis. Un Criminel qu'on exécute leur fait autant de peine à voir

par

mourir, qu'un Soldat qui perd la vie des bleffures reçues pour le fervice de fa Patrie, & de fon Prince.

. LA Compaffion chez les Ames foibles eft une foibleffe. Chez les fortes, c'est une vertu noble & compatiffante.

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S. XIII.

De la Crainte.

A crainte eft une prévoyance pref que toujours fâcheufe. Elle devance les malheurs dont la Fortune nous menace, & nous les fait fentir avant qu'ils foient arrivés. Cette Paffion eft de tous les maux le plus incommode; car les autres ne font réels, qu'autant qu'ils durent; & ils n'exiftent, qu'autant de tems qu'exifte leur caufe. Mais la Crainte eft occafionnée également, par ce qui eft, & par ce qui n'eft point, quelque-fois même par ce qui ne fera jamais, & qui ne peut jamais être. Combien ne doit-on pas chercher à fe guérir d'une Passion, qui forme d'un mal imaginaire un mal réel, & tire du bien même de quoi nous tourmenter?

LA Crainte produit fouvent les évè

nemens

hemens qu'elle appréhende, & qui fans elle n'auroient jamais eu lieu. Bien des Gens ont perdu leurs Amis, parce qu'ils s'en font défiés. Plufieurs Perfonnes ont eu des maladies, parce qu'ils les ont ap prehendées. Il y en a à qui la peur de la mort a couté la vie. Je le répète, la crainte ne fert ordinairement qu'à nous faire trouver ce que nous fuyons.

L'APREHENSION de perdre les biens qu'on poffède, empoifonne leur douceur, La vie même ne peut être regardée comme un bien: fi l'on craint fans ceffe de mourir, elle eft alors un fuplice. Je regarde un Homme toujours occupé de la frayeur de la mort comme un Criminel qui attend à chaque instant la lecture de l'arrêt qui doit le condamner.

LES effets que produifent les grandes craintes font fi violens, qu'ils privent quelque-fois de l'ufage de la raifon. On a vû très fouvent des Gens fuïr, quoique perfonne ne les poursuivit. On a vû des Généraux fe retirer, quoiqu'ils ne fuffent point inférieurs à ceux devant qui ils fuyoient,& qu'ils commandaffent à des Troupes remplies de bonne volonté. Enfin on a vû ces mêmes Généraux prendre tout à coup la furité, abandonner des Tome Places

F

Places de guerre prefque imprenables, laiffer hacher en pièces les Malades, perdre les équipages, jetter dans la rivière plufieurs millions de provifions, & ne commencer à reprendre leurs efprits, qu'après avoir mis un fleuve rapide entre eux & les Ennemis.

POUR bannir la crainte, fi tant eft qu'on la puiffe bannir, il faut fonger que bien des Gens ont évité les plus grands dangers en les méprifant. La Fortune aime les audacieux, & perd les timides. Celui qui craint un péril médiocre, périt: celui qui brave un péril éminent, Pévite & fe couvre de gloire. Un Homme fe trouve renfermé dans une Place immenfe avec les débris d'une Armée malheureuse. Il eft attaqué pas les Ennemis. Il leur épargne la peine d'approcher de la Ville. Il va lui-même les chercher dans leur tranchée. Il leur prend leur Canon leur ruine leur meilleure Infanterie. Après trois mois, ils font auffi peu avancés que le prémier jour. Rebutés d'une attaque auffi infructueuse, ils changent en Blocus un Siége dont ils connoiffoient l'inutilité. Cet Homme rare, dont je parle, trouve le moyen de faire fubfifter fes Troupes, fans qu'elles puiffent comprendre comment il peut operer un

pa

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