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cœur amoureux y admet bientôt l'indifférence.

LA Jaloufie augmente l'Amour & lui donne de nouvelles forces. Il eft difficile à un Amant Jaloux de fe guérir de fa Paffion. Ce qui fembleroit devoir l'aider à rompre fes chaines, c'eft ce qui les rend plus fortes. L'Amour, dit le tendre & ingénieux Ovide, qui eft nouri par la défiance, dure long-tems. Si vous cherchez à vous en défaire, commencez par bannir la crainte. Celui qui appréhende de ne pas jouïr toujours de fa Maitreffe, & qu'un autre ne la lui enlève pouroit à peine être guéri par les remèdes de Machaon. Une Mère qui a deux Enfans, a d'ordinaire plus de tendresse & de crainte pour celui qui eft à la guerre.

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QUELQUE FOIS la Jaloufie n'est fondée que fur l'orgueil, & fur l'amour-propre. Il y a bien des Maris qui ne font point Amoureux, & qui cependant font très Jaloux. Ils craignent qu'on ne leur enlève le cœur de leur Femme, non pas à caufe qu'il leur eft cher, mais parce qu'ils croyent que leur honeur eft attaché à fa confervation. Une pareille Jaloufie peut aifément fe guérir par la réfléxion; & la

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raifon qui n'a prefqu'aucun pouvoir fur les Jaloux que fait l'Amour, en, a beaucoup fur ceux qui ne le font que par vanité.

TOUT Mari Jaloux doit penfer que la plus-part des grands Hommes font tombés dans le prétendu malheur qu'il craint. Lucullus, Céfar, Pompée, Caton, Antoine, & tant d'autres, dont les noms font prefqu'auffi fameux, ont été dans le cas des Maris trompés, fans que leur gloire en ait été diminuée. Le jugement de La Fontaine fur le Cocuage eft plus vrai qu'on ne pense.

Quand on le fait, c'est peu de chose;
Quand on l'ignore, ce n'eft rien.

LES Gens qui font Jaloux par vanité fondent ordinairement leur Jaloufie fur la néceffité d'éviter les plaifanteries qui fuivent le Cocuage. Foible prétexte que celui-là! puisque leur Jaloufie précipite le mal qu'ils craignent au lieu de l'empêcher, & ne fert qu'à le rendre plus connu. Charon dit dans fon vieux Langage quelque chofe de fort fenfé à ce fujet : mais le Monde le fait, en parle. Eh! de qui ne parle-t-on pas en ce fens? Du plus grand E 3

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au plus petit, on engage tous les jours tant d'honêtes Hommes en ce reproche en ta préJence. Si tu t'en remues, les Dames mêmes s'en moqueront. La fréquence de cet accident doit mès-bui en avoir moderé l'aigreur.

S. X.

De la Douleur & du Defefpair.

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EUX qui foutiennent dans leurs Difcours, ou dans leurs Ecrits, que Ja Douleur n'eft point un mal, & qui prétendent qu'il dépend du Sage de n'y être pas fenfible, ne difent point ce qu'ils en penfent; ou n'ayant jamais éprouvé que des douleurs très légères, ils n'ont aucune connoiffance des impreffions que font les fortes & les vives. Les difcours des Stoïciens étoient capables de perdre de réputation les Philofophes chez tous les Gens de bon fens. Comment auroientils pû gouter des idées fauffes que la feule vanité occafionnoit? La Raifon n'at-elle pas droit de traiter de folie une opinion qui met au faîte du bonheur un Homme accablé de maux, de douleur & d'infortunes? Cicéron a beau dire qu'il n'a jamais trouvé la condition de Régu

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lus ni malheureufe, ni fâcheufe, ni digne de pitié; que les Carthaginois pûrent fe faifir de fon Corps, lui faire fouffrir ce qu'ils voulurent; mais que fon Ame munie en cette occafion de toutes les vertus refta hors d'atteinte. Ce grand raisonnement ne me fera jamais comprendre qu'un Homme à qui l'on fait fouffrir les plus cruels fuplices, foit fort heureux, & que fon Ame ne foit pas forcée de participer aux maux du Corps. Vainement elle fe guinde, s'élève & fe livre aux plus grands fentimens. Il faut qu'elle fubiffe les Loix générales de l'Ame dans le Corps, & qu'elle prenne part aux douleurs que le Corps reffent. Toute la vertu Philofophique n'empêche point qu'on ne foit très réellement malheureux, lorfque l'on fouffre & que l'on meurt. C'étoit une plaifante & fingulière folie que celle des Stoïciens. Il n'y a peut-être pas de Créature deftinée par fon effence à plus de maux que l'Homme; & ces Philofophes en vouloient faire une espèce de Divinité exempte de la douleur & de l'infortune. Ce qui les avoit jettés dans une erreur auffi groffiere, c'étoit l'idée fauffe & chimérique qu'ils s'étoient fait de leur Sage, à qui ils acE 4

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cordoient toutes fortes de privilèges. Il étoit, felon eux, riche, puiffant, beau, heureux; enfin il réuniffoit en lui tous .es diférens biens attachés à l'humanité, & il poffedoit ces biens dans quelque état qu'il fe trouvât. Horace fe moquant du Sage des Stoïciens lui accorde toutes les qualités & tous les avantages qu'ils lui attribuoient. I dit enfuite, qu'il jouït toujours d'une parfaite fanté, fi ce n'est lors qu'il a la pituïte.

PAR le même principe que les Stoïciens vouloient qu'un Homme fage fut toujours heureux, ils prétendoient auffi fauflement qu'un Homme vitieux ne pouvoit gouter de plaifir. Ils difoient qu'il étoit pauvre au milieu des richeffes; qu'il étoit malade jouïffant de la fanté; enfin ils en faifoient le contraire parfaitde leur Sage. Comme il n'y a point, dit Cicéron, d'état heureux pour ceux qui font dépourvûs de Jagelle & de vertu, de même il n'y en peut avoir de mauvais ni de malheureux pour ceux qui ont de la Vertu, de la Jageffe, & de la force.

ON voit combien fauffes étoient les idées des plus févères Philofophes de l'Antiquité fur la douleur. Les Epicuriens au contraire raifonnoient très fen

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