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ne idée de la probité, & ils fe figurent que les autres Hommes penfent comme eux. Ils confidèrent les bonnes actions qu'ils leur voyent faire comme des pièges qu'on veut leur tendre, & attribuent à la diffimulation ce qui vient de la vertu. Le crédit qu'eut Germanicus d'appaifer les Légions, & la grandeur d'ame qu'il fit paroître en refufant l'Empire que ces mêmes Légions lui offroient lui coutèrent la vie. Tibère également lâche & cruel fut moins ému de la foumiffion de Germanicus, que de la crainte qu'il n'acceptât l'Empire, fi on le lui offroit une feconde fois: il fit réflexion que celui qui avoit fû ramener les Troupes à leur devoir, pouroit les en faire fortir, s'il le vouloit. Caligula fut encore plus timide que Tibère; il fut auffi plus cruel. Néron fut le plus lâche & le plus cruel des Hommes. Qu'on par coure l'Hiftoire ancienne & moderne on trouvera prefque toujours la cruauté alliée avec la timidité. Il s'eft pourtant trouvé quelque fois des Ames cruelles, qui méprifoient lé danger; mais fi l'on examine attentivement quelle étoit leur Bravoure, on verra que la fureur, l'avarice, la haine, ou quelqu'autre Paffion

violente avoient plus de part à leur va leur qu'un courage véritable.

LA cruauté fe trouve encore unie très fouvent avec la fuperftition. Elle eft alors d'autant plus dangereufe, qu'elle croit avoir une excufe légitime. Quelles horreurs, quels meurtres, quels aflaffinats n'a-t-on pas commis dans les Guerres civiles? Le Fils égorgeoit le Père, le Père maffacroit le Fils, & ces actions qui font frémir la Nature, étoient confacrées fous le voile de la Religion. Les meurtres commis fans nombre dans l'exécrable nuit de la St. Barthelemi, & les maffacres faits par les Proteftans dans cent occafions, n'ont été exécutés, que par la cruauté conduite & animée par la fuperftition.

LA cruauté n'eft point incompatible avec la fauffe dévotion. Il eft des Gens cruels par tempérament & réligieux par crainte, qui accommodent leur Religion à leur caractère fanguinaire. Bran tôme nous a confervé la Prière que faifoit Louis XI. devant l'Autel de NotreDame de Cleri pour obtenir le pardon de la mort de fon Frère. Cette Prière eft fingulière. Ah! ma bonne Dame, ma petite Maitreffe, ma grande Amie, en qui

j'ai toujours eu mon renconfort, je te prie de fuplier Dieu pour moi & être mon Avocate envers lui; qu'il me pardonne la mort de mon Frère que j'ai fait empoisonner par ce méchant Abhé de St. Jean. Je m'en confeffe à Toi comme à ma bonne Maitresse. Le même Louis XI. baifoit fort humblement une Image qu'il portoit attachée à fon chapeau, toutes les fois qu'il faifoit périr quelqu'un pour fatisfaire à fa cruelle Politique.

LES Tyrans portent ordinairement la peine de leur cruauté. Plufieurs ont péri d'une mort violente. Les commencemens de l'Empire Romain furent fertiles en Tyrans. Ils le furent auffi en Révolutions. Le Peuple & les Soldats paffant tout-à-coup de la fervitude à la fureur, maffacrèrent quelques uns de ces Souverains Barbares, & en forcèrent quelques autres de fe donner eux-mêmes la mort. L'Hiftoire moderne nous offre plufieurs exemples des Catastrophes des Princes cruels, & les Siècles avenir n'en feront pas plus exempts, que ceux qui fe font écoulés. Quelque puiffance qu'ait un Souverain, il est toujours très dangereux pour lui de reduire le Peuple à la dure extrémité de fouffrir

les

les maux les plus grands, ou de fe revol

ter.

LA cruauté a fes différents degrés. Elle ne fe porte pas d'abord au dernier point chez les Particuliers, ni chez les Princes. Les plus méchants Hommes ont commencé par l'être médiocrement, & le font devenus entièrement par l'habitude qu'ils fe font faite du crime. Les prémières années de Néron furent dignes du Règne de Titus. Racine a eu raifon de dire.

Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes.

Quiconque a pû franchir les bornes légi

times,

Peut violer enfin les droits les plus facrés.
Ainfi que la vertu, le crime a fes degrés;
Et jamais on n'a dû la timide innocence
Paffer fubitement à l'extrême license.
Un feul jour ne fait point d'un Mortel

vertueux

Un perfide Affaffin, un lâche Incestueux.

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LA cruauté des Tyrans augmente néceffairement. Les premiers forfaits qu'ils commettent, les conduifent. malgré eux à de plus grands: Comme celui qui of

fenfe

fenfe eft le premier à haïr, les Sujets deviennent odieux à un Tyran par le mal qu'il leur fait. Plus il les outrage, plus il les perfécute; plus il les craint, plus il veut les détruire. Enfin il ne fe contraint plus, & les traite comme fes plus cruels ennemis, parce qu'il leur a donné fujet de le devenir. On ne doit donc pas s'étonner que certains Princes que l'Hiftoire nous dépeint comme bons dans les premières années de leur Règne ayent pû tomber enfuite dans les excès les plus affreux. Je citerai encore ici Racine. Lorfqu'il s'agit de peindre les mouvemens & les Paffions, peut-on prendre un meilleur guide?

Toujours la Tyrannie a d'heureuses prémices. De Rome pour un tems Caius fut les délices; Mais la feinte bonté Je changeant en fureur, Les délices de Rome en devinrent l'horreur.

Il eft rare que les Gens qui ont pouf fé la cruauté jufqu'à un certain point, puiffent redevenir vertueux, & avoir horreur de leur crime. Comme ils ont violé toutes les loix & tous les principes de l'humanité, il leur eft très difficile de reprendre des fentimens humains. C'eft

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