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rieufes fur les inconvéniens que la Hai ne entraine après elle, ils banniroient bientôt de leur cœur une Paffion qui em poisonne les plus beaux momens de leur vie. Loin de nuire ordinairement à ceux que nous haïffons, nous nous nuifons à nous-mêmes. Le dépit dont nous fommes dévorés, nous tourmente fans ceffe, & nous effuyons les chagrins que nous voudrions faire retomber fur les autres. Ceux qui ne veulent pas fe guérir de leur Haine par l'amour de la Vertu, devroient chercher à l'éteindre pour leurs propres intérêts. Un excellent Auteur, c'est Charon, a dit, en parlant de la Haine: Que par cette Paffion nous mettons en la puillance de ce que nous haillons de nous affliger & vexer. La vue nous en emut les fens, la fouvenance nous en agite l'Ef prit & veillant, & dormant. Le baineur eft en tourment; le haï eft à fon aife. Il ne dépend pas de nous d'aimer & d'eftimer une Perfonne que nous avons fujet de haïr; mais nous pouvons changer en pitié ou en mépris la Haine que nous avons pour elle. Un Homme m'offenfe. Pourquoi me punirois-je moi-même de fa fottife? C'eft m'en punir, que de garder profondément le fouvenir de cette

fottife, & d'en être affecté, de façon que je ne fonge qu'aux moyens de m'en venger, moyens que je ne trouverai peut-être jamais.

LE mépris punit fouvent, & mieux & plus fûrement une injure, que la vengeance. Bien des Gens ne craignent point d'être hais: il n'eft Perfonne qui ne foit fâché & mortifié d'être méprifé. LES grands Hommes fe font diftingués par la manière généreufe dont ils ont agi avec leurs Ennemis, lors qu'ils étoient en leur puiffance. Céfar, après avoir vaincu les fiens, leur pardonna. Titus fit grace aux Conjurés qui avoient voulu lui ôter l'Empire & la vie. Tout le Monde fait le beau mot de Louis XII. On vouloit qu'il fe vengeat de quelques Perfonnes qui lui avoient nui, lorfqu'il n'étoit encore que Duc d'Orleans. Il répondit fagement à ceux qui le preffoient de faire une action qui eut fletri fa gloire: un Roy de France ne venge point les injures d'un Duc d'Orleans. Henri IV. parvenu à la Couronne oublia toutes les offenfes qu'il avoit reçûes.

JOSERAile dire, l'Hiftoire ancienne & moderne ne nous a pas confervé la mémoire d'un Homme véritablement Tom. I. grand,

D

grand, qu'elle ne nous ait donné en même tems des preuves qu'il avoit un cœur incapable de haine & de vengeance.

ON demande, s'il dépend de nous de ne point haïr. Oui fans doute, il dépend de nous. Quand on forme la ferme réfolution de ne point nuire à une Perfonne dont on croit avoir raifon de fe plaindre, on ceffe bientôt de la haïr. La Haine ne fe nourit que par l'efpoir de la vengeance. Lorfque le defir de la vengeance eft étouffé, la Haine s'éteint peu après, & l'indifférence lui fuccède.

LES plus grands maux qui ont accablé le Genre-Humain, n'ont eu ordinairement d'autre origine, que la haine perfonelle de quelques Particuliers. Les démêlés de Pâris & de Ménelas armè rent la Grèce pendant dix ans. La divifion de Pompée & de Céfar mit le Monde en feu. La haine des Guifes & des Condés inonda la France de fang. Celle de Guelfes & des Gibelins bouleverfa 'Italie. Les Anglois ont penfé envahir entièrement la France, & ont été Maitres de Paris, par la haine de la Maifon 'de Bourgogne contre celle d'Orleans.. De dix guerres, il y en a cinq, où la haine particulière de deux ou trois Perfon

nes

nes a autant de part, que toutes les raifons politiques. Pauvres Humains, infortunés Mortels, quel eft votre fort! Vos biens, vos vies dépendent de la haine d'un Souverain, du caprice d'une Maitreffe outragée, de la colère d'un Miniftre. Ces Gens ne font pourtant, ainfi que vous, que de fimples Mortels, fouvent moins juftes & moins équitables.

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§. VII.

De l'Envie & de l'Emulation.

'ENVIE eft la Sœur de la Haine. Elle caufe dans les cœurs les mêmes égaremens & les mêmes tourmens.

L'ENVIE eft encore plus contraire au repos & à la tranquilité de l'Esprit, que ne l'eft la Haine; car elle s'afflige é galement du mal & du bien. La Haine ne tombe que fur quelques Perfonnes, dont on croit avoir fujet de fe plaindre. L'Envie s'étend en général fur tout le Monde. Elle n'épargne pas même les Gens les plus vertueux; & fouvent ce font ceux-là contre lefquels elle s'exerce avec le plus de force.

LES Génies faibles font prefque tou D 2 jours

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jours envieux. Quiconque fent qu'il a un mérite réel, n'eft point jaloux de celui des autres, Racine, ne cherchoit point à abaifler la gloire de Sophocle & d'Euripide; il étoit au contraire leur admirateur. Boileau fut le deffenfeur zélé de Virgile & d'Homère. Monfieur de Turenne étoit l'admirateur du grand Condé; & le grand Condé eftimoit infiniment M. de Turenne. Ces deux Hommes illuftres avoient été dans des partis ennemis & oppofés. La diverfité de leurs intérêts n'empêchoit pas qu'ils ne fe rendiffent mutuellement la juftice qui leur étoit due. Qu'on examine, dans tous les différens états de la vie, ceux qui fe font véritablement diftingués; on verra que leur cœur a prefque toujours été exempt d'envie.

Il ne faut point confondre l'Envie avec l'Emulation. Le dernier fentiment eft auffi noble, que l'autre eft bas. Un Guerrier peut fouhaiter d'égaler la gloire de Cefar, un Poëte celle d'Horace, fans qu'il y ait dans leur cœur une Envie maligne contre la réputation de Céfar d'Horace. Thucidide, par exemple, n'étoit point fâché des honeurs qu'on rendoit à Hérodote; mais il auroit fou

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