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dans le moment qu'on alloit livrer Ba taille, qu'il l'étoit auprès de fa Maitreffe. Le grand Turenne n'avoit jamais témoi gné aucun mouvement de Colère. La veritable valeur agit fans fureur, fans emportement, La timidité revoltée cherche un appui dans la Colère qui lui cache une partie du danger. Un Hom me véritablement brave, n'eft point en Colère même au milieu des Combats: il eft animé, mais il eft à lui-même: il est conduit par la gloire, par l'amitié, par le devoir; mais jamais par la fureur, par la frénefie & par la rage.

RIEN n'eft plus capable de corriger les Hommes du penchant qu'ils ont à s'emporter, que de les faire refléchir fur les objets qui les font fortir fi fouvent des bornes de la modération. Les Gens qui ne domptent point le penchant qu'ils ont à la Colère, viennent infenfiblement au point d'entrer en fureur pour les plus légères bagatelles. La perte d'un Chien, d'un Oifeau, d'un Verre, d'une Image arrache certaines Gens à eux-mêmes.

ON a dit avec raifon, qu'il feroit impoffible qu'un Homme pût fe livrer à la Colère, fi, lorsqu'il fent les accès de cette Paffion, il se regardoit dans un mi,

roir. Il auroit honte de lui-même, & jugeroit de l'état où doit fe trouver fon Ame, par celui où il verroit fon Corps. Les fimptômes de la Colère approchent affez de ceux de la rage. Ils changent le vifage, enflamment les yeux, rendent le regard furieux, la bouche écumante, la langue béguayante, les dents ferrées, la voix forte & enrouée, privent de l'ouye, & répandent un feu violent dans toutes les parties du Corps. Quelle doit être la fituation de l'Esprit dans un Corps agité de mouvemens auffi convulfifs!

IL n'eft aucune mauvaife action que la Colère ne puiffe faire commettre, & quelle ne faffe exécuter quelques fois. Les meurtres, les affaffinats en font les fuites funeftes. Aveugle comme elle eft, elle bleffe quelque-fois les Amis, les Parens, les Bienfaicteurs, & ne conferve aucun égard pour ce qu'il y a de plus faint & de plus facré,

Si la Colère eft dangereufe dans tous les Hommes, elle l'eft encore plus dans les Grands, & fur-tout dans les Souverains. Homère a dit plufieurs fois que la Colère des Rois eft terrible. Il avoit raison. Elle l'eft d'autant plus, qu'on ne peut ni la pu

nir, ni l'arrêter. Elle a porté quelquefois les plus grands Princes à des crimes odieux, & le repentir qu'ils ont eu de leur emportement, n'a pû en réparer ni le dommage, ni la honte.

Si quelque chofe rend la puiffance Souveraine dangereufe, c'eft lors qu'elle eft entre les mains d'un Prince colérique. Le pouvoir dont il jouït, peut être justement comparé à une épée qu'on confie à un Furieux. Que de maux n'a pas caufé la Colère de quelques Princes! Elle ne s'eft pas bornée à la perte de plufieurs Particuliers; elle a détruit des Villes, défolé des Provinces, ruiné des Royaumes. On ne fauroit s'empêcher de déplorer l'état malheureux des Hommes, lorfqu'on en voit plufieurs millions devenir les victimes innocentes de la fureur d'un feul.

CEUX qui font chargés de l'éducation des Princes doivent leur inspirer, autant qu'il eft poffible, de l'horreur pour une Paffion qui peut ternir à jamais leur réputation. Les Hiftoriens chargés de transmettre à la Poftérité les mauvaises actions des Souverains, leurs ver

tus,

& leurs défauts, ne fauroient peindre avec des couleurs trop fortes les

excès que la Colère leur a fait com

mettre.

JE ne puis m'empêcher de condamner la fauffe délicateffe de quelques Perfonnes, qui blâment les Hiftoriens qui ont rapporté avec naïveté les débauches & les crimes de plufieurs Princes, dont les vices ont étonné l'Univers. J'ai lu dans les Boeleana, qu'on a imprimés dans la dernière Edition des Oeuvres de Defpreaux, que Mr. Colbert ne pouvoit fouffrir Suétône, parce qu'il avoit rapporté avec fincérité les vices des Empereurs dont il avoit parlé. Il prétendoit que l'exemple de cet Historien étoit dangereux. Je penfe au contraire qu'il eft fort utile, & pour les Princes & pour les Peuples. Les defcriptions des Infamies les plus criantes ne fervent de rien aux mauvais Souverains; & c'est peutêtre la feule chofe qui puiffe encore les retenir. Il n'eft point de Tyran qui ne craigne les reproches que lui fera la Poftérité, lorfqu'il voit les Portraits odieux que Suétône & Tacite ont fait de quelques Empereurs Romains, & qui ne frémiffe, en fongeant jufqu'à quel point il fera détesté. Quoi! un Prince fe livrera à la Colère, fera tuer des Innocens dans

fon

fon emportement, outragera la Vertu bravera les Loix divines & humaines & l'on trouvera mauvais qu'on le cite à un autre Prince comme un exemple des défauts qu'il doit fuïr? On blâmera qu'on puniffe le vice, afin qu'il ne fe perpétue pas? S'il y a jamais eu de fauffe délicateffe, c'eft celle que je condamne dans ce moment.

Si la Colère des Princes fe portoit toûjours à des effets, dont le mal ne retombât que fur eux, je confentirois, fi on l'exigeoit, que l'Hiftoire en fuprimât le recit. Mais Horace a eu raifon de dire que les Grecs portoient la peine de T'emportement & de la Colère de leurs Rois. Tous les Peuples font dans le même cas; & fi le courroux d'Achille a fourni le fujet de l'Iliade, il n'y a point de Siècle où l'on ne puiffe faire plus d'un Poëme Epique fur un fujet pareil.

S. VI.

De la Haine & de la Vengeance.

Si les les Hommes, qui cherchent natu

rellement ce qui peut les rendre heureux, faifoient quelques réfléxions fé

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