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l'appaifer, de même que l'eau, accroit l'altération des Hydropiques. Plus un Avare a de richelles, plus il veut les augmenter, & plus il employe de mauvais moyens pour en acquerir. Il fent que ceux qui font permis pour amaffer du bien, ne font pas fuffifans pour entafler des thréfors. Il joint fans fcrupule la friponnerie à l'induftrie. Dans toutes les Conditions, dit la Bruyere, le Pauvre est bien proche de l'Homme de Bien, & l'Opulent n'est guère éloigné de la friponnerie. Le favoirfaire & l'habileté ne mènent pas jufqu'aux énormes richelles.

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I n'y a jamais eu d'Avares qui ayent mérité l'eftime des honêtes Gens, Si l'on dit que Vefpafien étoit un grand Homme, & qu'il fut cependant avaricieux; je nierai ce fait. Cet Empereur Romain eut véritablement de très grandes vertus, mais il n'amalla point de richeffes pour les enfouir. Il est vrai qu'il les chercha avec empreffement; mais Suétône nous apprend que ce fut pour en faire part à fes Amis, aux malheu. reux, & à tous ceux qui en avoient befoin. Aimer les richeffes pour en faire un bon ufage, pour les répandre à propos; c'eft agir très fenfément; c'eft

imiter les Intelligences céleftes qui fe fervent de leur puiffance pour faire du bien aux Hommes.

IL y auroit de la folie à deffendre aux Gens vertueux de poffeder des richeffes & de les conferver. Ils doivent feulement prendre garde de ne les acquerir que par des moyens licites & honêtes. Ils font obligés de s'en fervir pour aslifter ceux qu'ils croyent mériter de l'être. Le Sage, dit Sénèque, ne refufera point les biens de la Fortune. Pourquoi ne voudroit-il pas qu'ils fuffent dans un bon lieu? Il ne s'en glorifiera pas mal à propos. Il ne les enfouira pas; mais il en fera un bon ufage. Se glorifier des richeffes, c'eft le défaut d'une Ame foible; les enfermer, c'est le vice d'une Ame baffe & fervile; les employer à propos, c'eft le partage d'un cœur noble & vertueux.

LES richeffes mal répanduës, ne rendent guère plus heureux, que fi on les tenoit enfouïes. Un Homme peut avoir une bonne Table, habiter dans un Hotel meublé fuperbement, rouler dans un Caroffe doré, donner des Fêtes & des Bals, jetter de l'argent dans les rues; & ne reffentir aucun contentement dans lui-même de fes libéralités. Un BourC 4

geois

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geois qui prêtera vingt louïs dans le befoin à fon Ami, & qui lui rendra un fervice effentiel, fera fatisfait & goutera le plaifir d'être utile. La raifon en eft fort naturelle. La Vertu guide le dernier; la Prodigalité & l'Oftentation conduifent le prémier. Quelques grandes que foient les actions des Hommes, dès le moment que la Vertu n'y a aucune part, elles ne contentent jamais le cœur. Il y refte toûtjours un vuide, que rien ne peut remplir que la véritable probité.

LA Prodigalité est une espèce de fureur, caufée par une vaine gloire. On ne s'apperçoit du mal qu'elle nous cause, que lorsqu'il n'y a plus moyen de le reparer. S'il y a de la folie à ne pas fe fervir de fes richeffes, il n'y en a pas moins à les diffiper pour fatisfaire la vanité, ou pour contenter des defirs déreglés.

LES Gens qui ont été affez fous pour fe ruiner par leur prodigalité, font cent fois plus malheureux dans l'indigence que ceux qui étant nés Pauvres, font reftés Pauvres. Le fouvenir de leur bonheur paffé les tourmente fans ceffe. Le tems, qui adoucit toutes les autres afflic

tions, aigrit la leur. Ils fentent à tout moment dans le cours de leur vie l'utilité dont leur feroit le Bien qu'ils ont perdu. Vains regrets! Ils font condamnés fans efpoir de retour; & pour comble de maux, ils font tournés en ridicules par les Avares qu'ils avoient plaifantés dans le tems de leur fplendeur, & méprifés par ceux qui leur ont aidé à manger leur Bien. Les honêtes Gens les plaignent: trifte confolation dans un état qui demande quelque chofe de plus que la compaffion!

IL eft dangereux qu'un Prodigue ruiné ne devienne fripon. La coûtume qu'il avoit de contenter tous fes defirs, eft un aiguillon qui le pouffe fans ceffe à la friponnerie.

ment.

J. V.

De la Colère.

A Colère eft de toutes les Paffions celle qui nous agite le plus violemElle ofufque notre Ame par d'épaiffes vapeurs, & nous prive quelquefois entièrement de l'ufage de la Raifon. Je regarde la Colère comme une courte

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rage

rage,

& comme une frénefie paffagére. Les Gens d'un génie foible font beaucoup plus colériques, que ceux dont l'efprit eft mâle & vigoureux. C'est ce qu'on voit par expérience. Les Femmes, les Vieillards, les Enfans, les Malades font plus fujets à la Colère, que les au tres Hommes, parce qu'ils font dans un état plus débile.

C'EST une erreur de penfer que la Colère eft une marque de courage. Les mouvemens violens de l'Efprit marquent toujours fa foibleffe. Lorfqu'il eft ferme & courageux, il refifte à ces impreffions qui le font fortir malgré lui de fon affiète naturelle. La tranquilité eft la plus effentielle des qualités de l'Ame. Sans elle, l'Imagination est toujours agi, tée; elle ne peut fe fixer à rien de bon, de fage, de durable. La Colère change, pour ainfi dire, l'effence de l'Efprit la Raifon & le Jugement conftituent fa nature. Cette Raifon & ce Jugement s'évanouiffent dans les accès de Colère.

C'EST dans les occafions où les Ames foibles fe laiffent emporter, que les fortes en affectent de conferver toute leur tranquilité. Céfar étoit auffi férein

dans

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