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les remèdes les plus infaillibles pour éteindre une Paffion malheureufe. Si on les trouve trop durs & trop amers on doit fonger que l'on endure le fer & le feu pour le rétabliffement de fa fanté. Pour guérir les maux de l'Esprit, ne doit-on pas fouffrir autant que pour faire finir ceux du Corps?

pas

LES Amans haïs ne font les feuls que l'Amour rende infortunés: il en eft plufieurs qui font aimés tendrement, & qui font malheureux par certaines circonftances qu'ils ne fauroient empêcher, & aux quelles ils ne peuvent remédier. La fituation d'un Amant aimé est souvent auffi cruelle que celle d'un Amant haï. Telle eft celle où il voit fa Maitreffe paffer dans les bras d'un Rival par l'autorité d'un Père, ou par un autre pouvoir au quel il ne peut s'oppofer. Pour un Cœur véritablement tendre, la mort de l'Objet qu'il aime a fouvent moins d'horreur,que la douleur de la ceder à fon Rival. Ce fentiment eft fur-tout affez commun chez les Femmes. Racine l'a fort bien dévelopé dans ces Vers. C'est Athali de qui parle à Bajazet.

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Il eft vrai, je n'ai pû concevoir fans effroi, Que Bajazet put vivre, & n'être plus à moi. Et lorfque quelquefois de ma Rivale heureufe Je me repréfentois l'image douloureufe Votre mort (pardonnez aux fureurs des Amans)

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Ne me paroiffoit pas le plus grand des

tourmens.

LA dureté & l'entêtement des Parens font bien fouvent la caufe des travers dans les quels donnent les jeunes Gens. Les Pères violentent par caprice, par ambition, par intérêt les inclinations de leurs Enfans. Ils les mettent mal à propos dans la trifte néceffité de décider entre l'obéïffance qu'ils leur doivent, & l'Amour violent dont leur cœur eft rempli. L'Amour l'emporte, & la néceffité leur fait faire enfuite mille démarches, qui perdent également & les Pères & les Enfans. Il y a des Pères affez bizarres (& le nombre n'en eft pas petit) qui fe figurent que leurs Enfans font faits uniquement pour eux. On ne fauroit affez exhorter les Gens de cette espèce à lire la Fable quinzième du troisième Li

vre de Phædre. Ils y trouveront leur Portrait, & y verront que ce fage Auteur y établit avec raifon, que c'eft l'amour paternel qui fait l'effence des Parens, & non pas la naiffance qu'ils donnent à leurs Enfans. Un de nos meilleurs Auteurs François a dit dans fa Tragédie de Radamifte:

Pères cruels! Vos droits ne font-ils pas les nôtres ?

Et nos devoirs font-ils plus facrés que les vôtres ?

Nous avons une Comédie intitulée : Les Fils ingrats. Ne pouroit-on pas en faire une fous le titre des Pères Tyrans? Le Sujet me paroitroit affez abondant. J'ai connu dans ma vie beaucoup d'Enfans dont la conduite étoit blâmable. Je crois que j'ai vû autant de Pères, à qui l'on pouvoit faire le même reproche. Puis qu'ils étoient également Hommes, ne devoient-ils pas être également fujets à l'humanité? Je ne doute pas que ce ne foit cette réfléxion qui ait porté nos Jurifconfultes modernes à diminuer cette puiffance outrée & fans bornes que les anciens Romains avoient accordée

aux Pères. Les Loix qui établissent & maintiennent le refpect qu'un Fils doit à fon Père, font excellentes. Celles qui empêchent que le Fils ne foit le jouet & la victime des caprices d'un Père, ne le font pas moins.

J

§. IV.

Sur l'Avarice & la Prodigalité.

E n'ai jamais été étonné qu'il y ait des

Gens qui recherchent les richesses pour s'en fervir, & pour fe procurer, non feulement toutes les commodités de la vie, mais encore les chofes fuperfluës. Quoique cette conduite ne paroiffe pas raisonnable, on voit cependant fur quoi elle eft fondée. Le plaifir entraine fouvent les Hommes hors des bornes de la Raifon. Le même plaifir veut de l'argent, & ne peut exifter fans lui. Mais qu'un Homme amaffe des thréfors avec avidité, qu'il facrifie pour les avoir le bonheur de fa vie, & qu'il n'en faffe d'autre ufage que de les enterrer; cela me paroîtra toujours incompréhenfible; & cependant rien n'eft fi commun.

E ne fai quelque-fois, fi l'on doit re

garder

garder l'Avarice comme une paffion ou comme une folie. Lorfque j'examine un Homme qui devient volontairement l'efclave d'une chofe qui lui eft inutile dont il ne fait aucun ufage, qu'il cache fouvent dans le fond de la Terre; que puis-je penfer d'un tel Homme ? Si ce n'eft qu'il a perdu la Raifon, & qu'il eft auffi infenfé que ces Indiens qui font enterrer avec eux des hardes, des provifions, de l'or & de l'argent, pour les befoins qu'ils peuvent avoir dans l'autre Monde.

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L'AVARICE prive les Hommes de tous les fentimens d'honeur & de probité, dès qu'elle s'empare de leur cœur. Un Avare n'eft ni Parent ni Ami, ni Citoyen, ni Chrétien. Il ceffe même très fouvent d'être Homme. Le GenreHumain comparé à fon profit & à l'augmentation de fes richeffes, ne lui paroît mériter aucun égard; & la Paffion de l'or eft dans lui un oubli total de l'honeur, de la gloire, de l'amitié, & de la reconnoiffance.

LA folie des Avares prend tous les jours de nouvelles forces. Cette foif de l'or, eft une espèce d'hydropifie, qui eft augmentée par ce qui fembleroit devoir

C 3

l'ap

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