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reux. Quel eft l'Homme véritablement Amoureux & véritablement aimé de fa Maîtreffe, qui ne fupporte avec patience les caprices & les rigueurs de la Fortune? Dans un cœur dont l'Amour eft le maître abfolu, les autres Paffions fefont à peine fentir. Dès le moment que notre imagination n'eft point frappée vivement par des objets qui émeuvent en nous des Paffions que nous ne pouvons contenter, nous ne fommes plus malheureux. Qu'on parle à un Amant des grandeurs, des richeffes, de la bonne chère; tout cela l'affectera beaucoup moins qu'un autre Homme.Pour l'émouvoir vivement, il faut quelque chofe qui ait un rapport réel à fa Maitreffe.

LES Poëtes ont dit fouvent que le fort de deux véritables Amans étoit celui des Dieux. L'expreffion eft trop Poëtique pour être adoptée par les Philofophes. Mais ceux qui connoiffent le Cœur Humain ne craindront pas de foutenir, que le fort de deux Perfonnes qui s'aiment, & qui peuvent le faire fans contrainte, eft très heureux.

IL n'eft Perfonne qui ait été amoureux, qui n'ait éprouvé que les chagrins B 4

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les plus cuifans font fufpendus par les careffes & les confolations de fa Maitreffe. Le refte de l'Univers n'eft rien pour un Amant eu égard à l'Objet qu'il aime. Quand on eft confolé par quelqu'un qu'on prife cent fois plus que ce que l'on perd, on eft bientôt tranquille.

IL eft un nombre de Gens qui fans l'Amour auroient été les Mortels les plus à plaindre. Il fembloit que la Fortune eut pris plaifir à les accabler. Ils étoient pauvres, rien ne leur réuffiffoit. Les Grands les opprimoient, leurs égaux les fuyoient, de crainte qu'ils ne leur fuffent à charge. Ils aimoient, ils étoient aimés; à peine faifoient-ils attention à leurs maux. Je confeillerai toujours aux malheureux de chercher quelque confolation dans l'Amour. Ils trouveront en lui des reffources qu'ils ne peuvent espérer d'aucun autre endroit.

LA Raifon ne confole point les cœurs auffi promptement & auffi fûrement que l'Amour. Une Perfonne malheureufe qui, pour furmonter fa douleur, apelle la Raifon à fon fecours, peut être comparée à un Homme dont on penfe la bleffure d'une manière qui la fait fai

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gner long-tems, avant qu'elle foit fermée. Celui qui fe fert de l'Amour au-lieu de la Raifon, applique fur fa playe une pou dre qui la confolide & la ferme d'abord. La Raifon n'agit fur nous que par les réfléxions; & les réflexions chez un Homme malheureux, font toujours douloureuses, même celles qu'il fait pour vaincre fon chagrin. Car enfin, il ne peut fonger à vouloir le vaincre, qu'il ne pense à ce qui le caufe, & qu'il ne fe retrace l'image de fon infortune. Mais l'Amour guérit fans qu'on s'en apperçoive. Ce n'eft pas parce qu'une Maitreffe nous dit d'oublier nos malheurs, que nous les oublions; c'est parce que, dès que nous fommes auprès d'elle, nous ceffons d'être malheureux. Horace, ce Poëte amoureux & Philofophe raifon de dire en parlant de fa Maitreffe: En quelqu'endroit que l'on me place, fut-ce dans ces climats engourdis par le froid, où la Nature languit, où jamais les Zephirs n'animèrent les arbres par leurs tiédes haleines, où Jupiter a relegué pour toujours les glaces & les frimas; fut-ce dans ces Régions trop voifines de la route du Soleil, où l'air embrafé par des foufles de feu, refuse tout accès aux Humains; j'aimerai toujours

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ma chére Lalagé, & je ferai toujours charmé de l'entendre parler & de la voir fourire avec grace. Je ne me fuis jamais trouvé auprès du Pole, ou fous la Ligne avec ma Maitreffe. J'ai été dans plufieurs occafions plus malheureux que fi j'avois habité de pareils climats, & mes maux se font évanouïs, quand je les ai vû plaints par une Perfonne que j'aimois.

QUE l'on confidère d'un œil Philofophe tous les différens états de la vie; l'on conviendra bientôt que le feul Amour peut en faire le véritable bonheur. Le Grand, quelque puiffant, quelque riche, quelqu'élevé qu'il foit, ne goute. que des plaifirs médiocres, fi l'Amour ne lui donne les fiens. Il a des thréfors, des charges, des honeurs; il efpère de nouvelles dignités : foible fecours pour être heureux! Nous avons vû que l'Ambition ne fert qu'à tourmenter les cœurs. Cet Homme de Lettres acquiert une grande réputation. Ce Bourgeois forme un héritage confidérable. Ce n'eft pas là le véritable bonheur. Ce n'eft qu'une image trompeufe. Tous ces préténdus biens entrainent après eux la crainte, l'envie, la haine, l'avidité; mais le plaifir d'être.

aimé tendrement d'une Femme qu'on aime & qu'on eftime, porte avec foi une fatisfaction pure & fans mêlange qui contente notre Amour - propre, & flatte également notre Cœur & notre Efprit.

Il n'eft aucun don que le Ciel ait fait aux Hommes, qui ne leur devienne quelque fois pernicieux. Tel eft le trifte fort de l'Humanité. Les chofes qui paroiffent lui être les plus favorables & même les plus néceffaires, lui font fouvent les plus nuifibles. L'Amour eft une Paffion donnée aux Humains pour les rendre heureux en général; elle produit fur plufieurs un effet contraire. Rien n'eft fi trifte que le fort d'un Amant malheureux. On peut confidérer ce fort fous deux points de vuë différents. Le premier offre un Amant aimé, mais éloigné de fa Maitreffe, contraint dans l'Amour qu'il a pour elle craignant de la voir foumife à la puiffance d'un Rival. Le fecond préfente un Amant qui n'eft point aimé, livré à la douleur, à la jaloufie & au défefpoir qu'infpire un Amour méprifé. Ces deux états font à plaindre: l'un l'eft ordinairement beaucoup plus que l'autre.

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