Page images
PDF
EPUB

me paroît de toutes les Paffions la moins fenfée. Les Gens affez malheureux pour attacher le contentement de leur Efprit aux fentimens du Vulgaire, reffemblent à des Fous qui prennent l'ombre pour le corps, & qui courent fans ceffe après une chimère. Peut-on, dès qu'on fait ufage de fa Raifon, renoncer entière. ment à fa liberté, pour fe conformer uniquement aux volontés des autres; ceffer d'être libre, pour devenir captif? Les Gens attachés par leur état à la Cour font les efclaves des Princes & des Miniftres. I.es Ambitieux le font de tout l'Univers. Je ne connois rien de plus trifte que le fort d'un Homme qui n'aime la Vertu, qu'autant qu'elle plait au Vulgaire; qui ne fait pas le bien par l'amour du bien, mais par une vaine oftentation. Un Ambitieux reffemble à un tonneau: on ne fauroit en faire fortir la liqueur qu'il contient, qu'on ne lui donne du vent: avec ce même vent, on obtient ce qu'on veut des Ambitieux: ils ne feront point une bonne action qu'ils croiront devoir refter dans le filence: ils executeront les plus belles chofes, dès le moment qu'ils penferont qu'elles feront louées.

LA Vertu feroit une chofe bien médiocre, ou bien peu recommandable, fi elle n'étoit eftimable que par les fentimens du Vulgaire. Elle eft trop noble par elle-même, pour mandier une telle récompenfe. Elle ne cherche point pour fe faire voir, un Théâtre plus grand que le cœur de celui dans lequel elle regne. Le véritable prix des belles actions, c'eft de les avoir faites. La Vertu ne fauroit trouver hors d'elle-même un prix qui puiffe l'honorer.

Dès qu'on confulte fenfément fes véritables intérêts, on bannit auffi-tôt toutes les idées d'Ambition: on fe contente d'une fortune médiocre dans laquelle on vit tranquille, & l'on fuit une vaine gloire qui nous ôte pour toujours le repos. Les louanges qu'on recherche avec tant d'avidité, ne peuvent jamais contenter véritablement; mais la Vertu aimée pour elle-même fatisfait entièrement, & répand dans les cœurs un charme fecret.

LES Ambitieux , pour excufer leur conduite, difent que l'Ambition fert d'aiguillon à la Vertu; qu'elle la pique, la reveille, & lui donne un nouveau luftre. La Vertu n'a pas befoin d'un pareil B 2 aiguil

aiguillon; elle fait le bien fans égard à la gloire. Cet Homme charitable qui affifte les malheureux, n'attend pas, pour répandre fur eux fes largeffes, qu'on puiffe s'en apercevoir. Le Citoyen fidelle fert fon Prince, parce qu'il eft de fon devoir de le fervir, & non pas dans le deffein de faire une fortune brillante.

PLUSIEURS Perfonnes prétendent que l'Ambition corrige quelque-fois les vices. Quant à moi, je crois qu'elle les cache, mais qu'elle ne les détruit point. Elle pouffe les Ambitieux à de grandes actions qui font utiles au Public. Ceux qui les font, ne font pas pour cela plus vertueux. Les actions glorieufes, font des fujets de la Paffion, & non pas de la Vertu. Les défauts d'un Ambitieux qui fait fe contraindre, ne reftent cachés, que jufques à ce qu'il fe foit élevé à un point, où il puiffe les faire paroitre publiquement & impunément.

IL eft une certaine Ambition tempérée, & conduite pour ainfi dire par la Vertu, à laquelle je donne le nom de véritable gloire. Vouloir regner fur les Hommes en les rendant malheureux c'eft avoir de l'Ambition. Aimer à gagner les cœurs & à les rendre heureux, c'eft

c'eft allier à la Vertu l'idée de la véritable gloire.

Le

L'AMBITION porte ordinairement avec elle fon châtiment; elle ne peut jamais être entiérement fatisfaite. Courtifan, le Guerrier, l'Eccléfiaftique, l'Homme de Robe ont toûjours dans leurs états quelques nouveaux defirs qu'ils ne peuvent contenter, & qui les tourmentent. Quiconque ne fait pas borner fes defirs, eft le jouet éternel des caprices de fon imagination. Combien peu d'Hommes y a-t-il qui fachent fe contenter de leur fortune? Nous vivons dans un Siécle, où les Grands & les Petits prouvent par leur conduite, qu'ils cherchent dans toutes les occafions à fortir des règles que femble leur prefcrire leur état. La Fontaine a eu raifon de dire.

Tout petit Prince a des Ambaffadeurs.
Tout Marquis veut avoir des Pages.

[blocks in formation]

S. III.

Sur l'Amour.

'AMOUR a cela de commun avec l'Ambition, qu'il porte également aux plus belles actions & aux plus mauvaifes. L'Amour dans un cœur vertueux, eft une Paffion qui excite à la gloire à la pitié, à la générofité, à la reconnoiffance. Dans un cœur criminel, c'est une fureur qui pouffe à la vengeance, à la cruauté, à la jaloufie, à la diffimulation. L'Hiftoire nous fournit mille exemples d'Amans qui ont exécuté les plus fages entreprifes, pour mériter l'eftime de leur Maitreffe, & pour fe rendre plus dignes d'en être aimés. Cette même Hiftoire nous a confervé le fouvenir d'un nombre de crimes que l'Amour a fait commettre.

ON ne peut nier que l'Amour ne foit plus utile que nuifible au Genre-Humain. C'est lui qui eft le plus ferme noeud de la Société: il lie les cœurs par une douce fimpathie: il met le comble au bonheur des Gens heureux, & repare une partie des maux des malheu

« PreviousContinue »