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nous foyons; elle fert à notre bonheur; quelle que foit notre fituation, jamais elle ne fauroit nous être importune.

LA Nature a gravé elle-même l'amour de la Société dans le cœur des Hommes. Elle leur a donné cet amour comme un licn qui, en les uniffant les uns avec les autres, les porte à s'entraider mutuellement. Ceux qui favent profiter fa gement des impreffions de la Nature, ne fe contentent point de cette Société gé nérale qu'elle a formé entre les Hom mes, & qui eft d'une étendue infinie. Ils en établiffent une qui leur eft particuliè re, & de laquelle ils retirent des avanta ges très confidérables. Quelques Hypocondres fe figurent qu'un Homme féparé du refte des Mortels pouroit être vérita blement heureux. Ils font la dupe de leur imagination chagrine. Eux-mêmes qui femblent fuir le commerce du Monde mourroient bientôt de trifteffe, s'ils étoient privés entièrement de la Société. Un des plus grands Génies de l'Antiquité fortifie par fon autorité cette vérité. ,,Suppofons, dit Cicéron, un Homme , tranfporté par quelque Dieu dans une folitude inacceffible, où ce Dieu lui

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fourniffe en abondance tout ce que la Nature peut défirer; mais fans lui laiffer nul. moyen, ni nulle espérance de voir jamais aucun autre Homme. Je foutiens qu'il n'y a Perfonne qui puiffe fupporter une telle vie, & qu'une af,, freufe folitude ne rende infenfible à tous les plaifirs dont il fera environné, Il n'y a donc rien de plus vrai, que ce ,, que Architas de Tarente avoit accoutumé de dire, comme nous l'avons appris de nos Pères, qui l'avoient appris ,, eux-mêmes des leurs, qu'un Homme ,, qui feroit monté au Ciel, d'où il pou,, roit contempler à fon aife le fpecta

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cle admirable de l'Univers & de la Nature, & jouir de tout l'éclat & de ,, toute la beauté des Corps Céleftes, ,, roit auffi peu touché de ce plaifir-là, s'il étoit feul, que ce même plaifir lui ,, feroit doux, s'il avoit quelqu'un avec lequel il put s'entretenir.

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ON dira peut-être que plufieurs Chartreux & plufieurs Moines de la Trape font parfaitement heureux & fatisfaits, quoiqu'ils ayent renoncé à toute Société. Je réponds à cela que les Moines de la Trape font enfemble pendant toute la journée, travaillent à des Ouvrages com

muns

muns, parlent à leurs Supérieurs. Les Chartreux ont une heure dans la journée, & un jour dans la femaine, où il leur eft permis de parler & de commercer entre eux. Cette Société, quelque génante qu'elle foit, eft toujours une Société. La Religion fuplée à ce qui peut la rendre trop dure, & les confolations douces & pieufes que donnent fouvent les Supérieurs récompenfent de la contrainte où l'on eft obligé de vivre avec les autres. Malgré ces reffources, lorfque le fecours de la grace n'agit point efficacément, quelques-uns de ces Solitaires perdent le bon fens. Un de nos meilleurs Poëtes à dit dans une de fes ingénieufes Fables:

La raifon d'ordinaire

N'habite pas long-tems chez les Gens fequeftrés.

Il eft bon de parler, & meilleur de fe taire: Mais tous deux font mauvais, alors qu'ils font outrés.

S. VIII.

Des moyens pour trouver une bonne Société.

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L eft naturel qu'il foit plus aifé de trouver une Société qui nous con

vienne dans les grandes Villes que dans les petites. Le grand nombre fournit facilement ce que l'on ne rencontre pas dans un beaucoup moins confidérable. La bonne Société demandant une conformité d'humeur, il arrive quelquesfois que parmi quelques Perfonnes il n'en eft aucune dont le caractère & la façon de penfer nous convienne parfaitement. Cependant on peut remédier à cet inconvénient, en tâchant de fe conformer le plus qu'il eft poffible au génie des Gens qu'on veut fréquenter, & en fupléant foi-même à ce qu'on apperçoit de défectueux en eux, ou à ce qu'on fouhaiteroit de trouver. Tout le monde ne peut pas être auffi favant que Mairan, auffi ingénieux que Fontenelle, auffi aimable que Crébillon le Fils. Il feroit malheureux pour un Homme d'efprit de ne pouvoir fe lier qu'avec des Perfonnes qui euffent le mérite de celles que je viens de nommer. Il courroit rifque très fouvent d'être privé de la Société. La complaifance étant l'ame de la bonne Société, un Homme dont les talens font fupérieurs à ceux des autres, ne doit employer ces mêmes talens, qu'à faire briller

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ceux des honêtes Gens avec lefquels il veut vivre.

J'AI remarqué, dans toutes les Villes où j'ai été, un certain nombre de Gens aimables, quelquefois petit à la vérité, mais toujours affez confidérable pour for mer une Société gracieufe. On fe figu re en France, & fur-tout à Paris, qu'on ne fauroit vivre gracieufement dans les Pays étrangers. C'eft une erreur très grande. On vit à Turin, à Berlin, à la Haye, & dans plufieurs autres endroits, avec beaucoup de liberté, beaucoup d'aifance, & beaucoup de politeffe. Il eft peu de Villes en France, où il y ait des Femmes auffi aimables, qu'à Berlin. Plufieurs d'elles ont autant de vivacité & d'enjoûment, que nos Françoifes, & plus de lecture.

LORSQU'ON s'eft formé un caractère accommodant, on eft affuré de trouver à former une Société gracieuse, pourvû qu'on veuille fe donner la peine d'étudier pendant quelque tems le génie des Gens avec lefquels on veut vivre. L'ingénieux Ovide eut le moyen d'adoucir les chagrins que lui caufoit fon exil, par la fréquentation de quelques Panno

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