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croit que Dom Sanchez, féduit par Elvi re, eft réfolu à devenir Mahometan. Fuyez, partez, profitez de la nuit. Demain mon Père découvrant ma feinte en hâteroit plutôt votre perte.

PENDANT qu'Adelaïde parloit, Elvire & Dom Sanchez touchés de fa grandeur d'ame verfoient des larmes. Elle s'en apperçut, & leur dit: je vois couler vos pleurs, vous plaignez mon deftin; votre amitié en adoucit la rigueur. Adieu. Souvenez-vous quelques-fois de la trifte Adelaïde. Elvire, elle vous aime comme fa Sœur. Dom Sanchez, fi elle ne vous eut jamais vû, elle eut vécu heureufe.

ADELAIDE fe retira, fans attendre la réponse d'Elvire & de Dom Sanchez. L'Efclave chargé de les conduire leur fit figne de les fuivre. Il les mena à la faveur des ténèbres fur le bord de la Mer; & comme ils étoient prêts à s'embarquer, il remit à Dom Sanchez une caffette remplie d'or & de pierreries.

LE vent étoit favorable. A peine Elvire & fon Epoux furent-ils fur le Vaiffeau, que le Capitaine fit appareiller & faire voile.

PENDANT que Dom Sanchez pé

netré

netré des bontés d'Adelaïde s'éloignoit des côtes d'Afrique, cette infortunée Amante fe livroit à la douleur la plus profonde. L'effort qu'elle venoit de faire lui déchiroit le cœur. Elle avoit pour jamais perdu l'efpoir de revoir un Amant qu'elle adoroit. Elle avoit confervé cet Amant pour fa Rivale. Elle croyoit toujours le voir aux piés d'Elvire jurer à cette Epoufe un amour éternel. Cette image, qu'elle ne pouvoit éloigner, redoubloit tous fes maux. Dans les cœurs malheureux, la jaloufie eft le comble de l'infortune. Bien loin de diminuer l'amour, elle l'augmente; & le defefpoir d'être méprifée, au lieu d'infpirer de la haine, acroit la tendreffe. Effet bizarre & fingulier, mais qui n'en eft pas moins vrai; effet que tous les Amans qui ont eu des Rivaux ont éprouvé, & fur lequel peut-être ils n'ont pas également tous réfléchi. L'idée du bonheur dE'lvire étoit toujours préfent à l'efprit d'Ade laïde. Heureufe Elvire, difoit - elle, dans le moment que je répands des pleurs, tu goutes le plaifir d'être unie à Dom Sanchez Mon malheur fait ton bonheur. J'ai payé du repos de ma vie ton union avec ton Epoux. Sort cruel! M &

Def

Deftin fatal! Qu'avois-je fait, pour me reduire dans l'état le plus affreux ? Et toi, Dom Sanchez, la caufe & la fource de tous mes maux, je te pardonne la douleur que je fens. Je te pardonne ma mort. Hélas! peut-être m'as-tu déjà entièrement oubliée? Ha! du moins, fi mes bontés s'effacent de ta mémoire, fonges que tu tiens de ma main cette Elvire que tu adores, & qui caufe tout mon malheur.

ADELAIDE paffa le refte de la nuit à fe plaindre entièrement des rigueurs de la Fortune. A peine fut-il jour, que le Dei, qui venoit d'apprendre l'évafion de Dom Sanchez & d'Elvire, & qui croyoit que fa Fille l'ignoroit, entra dans fa Chambre pour lui annoncer cette nouvelle. A l'air pâle & défait d'Adelaïde, il comprit qu'elle devoit en être inftruite; mais il crut qu'on la lui avoit apprife dans le même tems qu'à lui, & il n'eut aucun foupçon qu'elle eut fait fauver elle-même Dom Sanchez & Elvire. Ma Fille, lui dit-il, je vois à ta douleur que tu es inftruite de la fuite de ces deux Chrétiens. Si tu avois voulu en croire un Père qui t'aime tendrement, tu ferois vangée, & je le ferois auffi; mais

je

je t'ai pardonné ta faute, & je ne veux plus te la reprocher déformais. Je ne cherche pas à aigrir ton chagrin, mais plutôt à le diminuer. Juge de ma tendreffe & de mon amitié par la complaifance que j'avois pour toi. Je confentois, pour fecher tes larmes & finir tes douleurs, de te donner un Efclave pour Epoux. J'élevois cet Efclave, malgré fa perfidie, à un rang qui le rendoit digne de l'honeur qu'il recevoit. La Fortune a voulu me fervir, malgré toi & malgré moi. Elle a épargné à tous les deux une démarche honteufe que l'amour faifoit faire à l'un, & l'amitié à l'autre. Oublie, Adelaïde, oublie un Miférable, un Ingrat, qui n'a jamais voulu fe fervir de ton amour, que pour te tromper. Je te jure fur tout ce qu'il y a de plus facré, que je n'ai aucune part à fa fuite. Ne penfe pas, que pour éviter de te tenir la parole que je t'avois donnée, j'aye contribué moi-même à l'évafion de ces deux Chrétiens. Dès que je l'ai apprife, jugeant quelle feroit ta douleur, & craignant pour tes jours, j'ai tout mis en ufage pour les faire arrêter, & pour découvrir ceux qui les avoient favorisé. Mes recherches ont été inutiles. J'ai feuM 3

le

lement appris que l'Efclave, à qui tu a vois toi-même confié la garde de ces Chrétiens, avoit difparu. Ils l'auront fans doute corrompu, & il fe fera fauvé avec eux. Mon Père, dit Adelaïde, fi ma douleur pouvoit recevoir quelque foulagement, ce feroit par les marques de tendreffe que vous me donnez. Mais dans l'état où je fuis, les confolations ne fervent qu'à augmenter mes chagrins. Souffrez que je me livre à ma trifteffe; elle a pour moi des charmes. Ne pouvant voir Dom Sanchez, les larmes que je repands pour lui me paroiffent douces; fon abfence me femblera moins cruelle, s'il m'eft permis d'en gemir avec liberté. N'impofez point, mon Père, à mon cœur la contrainte de chercher à fe guérir d'une paffion qu'il confervera toujours. Je fens que le tems ne fera qu'augmenter mon amour, & que l'abfence, au lieu de le détruire, lui donnera de nouvelles forces,

CE que difoit Adelaïde, arriva. Elle partit pour fe rendre à Tunis; & lorf qu'elle y fut, fa mélancolie s'accrut. On commença à défefpérer de ses jours. Le Dei étoit prefqu'aufli infortuné que fa Fille. Il faifoit tout ce qu'il pouvoit pour

fou

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