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litique ambitieufe. La même Paffion. fit de Cromwel un grand & illuftre fcélérat. Prefque tous les Hommes ont de de l'Ambition, parce qu'ils ont de l'amour propre. On peut appliquer à cet te Paffion les vers de, Malherbe fur la mort.

Le Pauvre en fa cabane, où le chaume le

couvre,

Eft fujet à fes Loix,

Et la Garde qui veille aux barrières du Louvre se

N'en défend pas nos Rois.

L'AMBITION de Jules-Céfar, qu'il porta jufqu'au point de vouloir être le maître de la République, ne différe de celle d'un Bourgeois, qu'en ce que celuici n'étend ses vues, qu'à fe rendre maî tre dans le Confeil de la Maifon de Vib le. Quant au-refte, tout eft égal entre le Dictateur Romain & le Bourgeois. Ils font foigneux de faifir à propos toutes les occafions qui peuvent augmen ter leur puiffance & les conduire à leur buc. Ils haïffent ceux qui s'opposent à leurs deffeins; ils fongent à fe faire des Créatures; à prévenir les entreprises de

leurs

leurs Ennemis. Ils font de leur élévation leur principale occupation, & l'Empire Romain ne touche pas davantage le cœur de Céfar, que la direction des affaires de la Ville celui du Bourgeois. Nos Paffions fe conforment à nos jugemens;' nos jugemens font produits par nos idées, & nos idées le font par les objets qui nous frapent &, qui nous environnent. Parlez de la puiffance d'un Empereur à un Paifan, il en eft moins touché, que de celle du Subdelegué de l'Intendant, qui l'oblige toutes les années à payer les impots, & le fait mettre en prifon lorsqu'il n'a pas de quoi le faire. Ce n'eft pas la grandeur de l'objet que nous fouhaitons, qui fait la mefure de notre Am. bition, c'est l'envie que nous avons de poffeder cet objet. Concluons donc de la que l'Ambition eft également forte dans les Gens d'un état très disproportionné, puifqu'ils defirent avec la même vivacité de parvenir à leur but.

L'AMBITION agit chez les Hommes par divers moyens, & aboutit au mê me point par différentes routes. Il y a un chemin battu, droit, uni, & connu généralement de tout le monde, c'est celui dans lequel ont marché les Alexan

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dres,

dres, les Céfars, les Thémiftocles, les Auguftes, & tous ceux qui les ont imités. Il y en a un autre oblique, détourné & couvert, qui a été pratiqué par les Socrates, les Diogènes, les Zénons, & par tous les Philofophes, les Théologiens, & autres Perfonnages renommés qui ont écrit & parlé très fortement contre la gloire. Ces Gens reflemblent aux rameurs qui s'avancent vers le port en lui tournant le dos. Leur conduite eft très fenfée, & il y a plus de grandeur à méprifer les dignités & les richeffes, qu'à les defirer & à en jouïr. Un excellent Auteur & contemporain de Montagne a eu raifon de dire que l'Ambition ne fe con duifoit jamais mieux, que par une voye égas rée & inufitée.

CEUX qui prétendent que l'Ambition eft la plus forte des Paffions, & qu'elle maitrife, pour me fervir des termes de Charron, toutes les autres Paffions & cupidités, même celles de l'Amour, qui femble toutes fois contefter de primauté avec celle-ci; ceux,dis-je, qui foutiennent cette opinion, fe trompent étrangement. Toutes les Paffions font égales: ce qui fait leurs différens degrés de force, c'eft le plus ou le moins d'empire qu'elles ont dans les Cœurs.

Cours. La gloire a beaucoup moins d'appas, qu'uh tréfor pour un Avare. La bonne chère paroit plus douce à un Gourmand, que la réputation la plus brillan te. S'il y a une Paffion qui foit fupérieure aux autres, fans doute c'eft l'Amour. Mais, dira-t-on, Alexandre, Scipion, Céfar, Pompée ont facrifié l'Amour à leur gloire. Je réponds à cela, que c'eft parce qu'ils aimoient foiblement. Si l'Amour avoit été auffi fort chez eux que l'Ambition, cette dernière Paffion auroit cédé à la prémière. Antoine n'avoit-il pas de l'Ambition? L'Amour lui couta l'Empire de la moitié du Monde. Ofman Empereur des Turcs perdit le Throne & la vie, pour avoir époufé une Efclave qu'il aimoit. On prétend que le Mariage du feu Roy de Sardaigne fut une des principales caufes de fa renonciation au Thrône. Combien de particuliers n'y a t-il pas eu, & n'y a-t-il pas encore au jourd'hui, qui ont, quoi qu'ambitieux, facrifié leur fortune à leur Amour? Si l'Ambition a produit de grands évèneméns dans le Monde, fi elle a été la caufe de la deftruction de plufieurs Em+ pires; l'Amour leur a occafionné ces mêmes effets. Horace nous apprend, que

bien avant Hélène, les Femmes avoient été le fujet & la caufe de plufieurs guerres fanglantes; elles l'ont été de plufieurs autres après le Siége de Troye, & le feront encore à l'avenir.

POUR prouver que l'Ambition a plus. de force fur les Coeurs que les autres Paffions, on dit qu'on lui facrifie fon repos & fa tranquilité; mais ne facrifie-t-on pas ce repos & cette tranquilité à d'autres Paffions? Quels travaux ne fuporte pas un Avare pour acquerir de nouvelles richeffes ? Quelles peines ne foufre pas un Amant pour plaire à fa Maitreffe? Quels affronts n'effuye pas un Parafite pour attraper un bon repas? Quelles difficultés ne furmonte point un Vindicatif pour contenter fa haine? L'Ambition, ajoute-t-on, nous fait méprifer la vie. L'amour ne produit-il pas le même effet? L'Avarice ne conduit-elle pas le Marchand au travers des plus grands périls jufques dans le fond des Indes? Celui qui tue fon Ennemi, ne brave-t-il pas les Loix qui le condamnent à la mort ? Je le répète, il n'eft aucune Paffion qui par fon effence foit plus forte que les autres.

L'AMBITION, j'entends le defir démefuré des grandeurs & des louanges,

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