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ne lui eut pas beaucoup couté de vous dire que la conquête de votre cœur étoit l'unique bien qui pouvoit me plaire. Que j'étois prête à lui facrifier la grandeur de mon Père, celle à la quelle je puis afpirer. Une Européenne croiroit manquer à ce qu'elle fe doit, en vous faifant un aveu pareil la prémière fois qu'elle vous parleroit. Mais je rends gracés au Ciel dans ce moment d'être née Africaine, pour ne point contraindre = par la feinte & par la diffimulation les mouvemens d'un cœur qui vous adore. Ouï, Dom Sanchez, je vous aime plus que moi-même. Mon amour est né, dès le prémier moment que je vous ai vû: il s'eft accru dans le filence. Ne foyez donc pas étonné de fa vivacité. Je vous avouerai naturellement que s'il avoit dépendu de moi de l'éteindre, vous n'en auriez jamais eu connoiffance. Mon cœur a combattu long-tems entre mon Père & vous. Ne me fachez point mauvais gré des efforts que j'ai faits pour furmonter une paffion que mon état & ma raifon fembloient condamner. Ces efforts n'ont fervi, qu'à rendre votre triomphe plus parfait, & ma paffion plus forte:

ADE.

ADELAIDE s'arrêta à ces mots; & Dom Sanchez, les yeux baiffés vers la terre pour cacher fon trouble, ne répondant point affez-tôt, elle reprit la parole, & lui dit d'un air tendre, mais inquiet: vous semblez furpris de ce que je vous dis: vous ne répondez point. A quoi doisje attribuer votre filence? Dom Sanchez étant un peu plus raffuré, tourna les yeux vers Adelaïde, & lui répondit affez naturellement. Madame, l'excès des bontés dont vous me comblez me rend confus. Comment pourai-je jamais vous prouver combien je fuis fenfible aux graces dont vous m'accablez? Ma vie ne fuffiroit pas pour m'acquiter de la plus legère. Jugez de ma reconnoiffance par la grandeur de vos bienfaits. Ils ne fortiront jamais de ma mémoire, & je chérirai éternellement la main dont je les tiens.

QUOIQUE la réponse de Dom Sanchez ne fut qu'un fimple compliment, il apréhendoit cependant d'avoir parlé trop tendrement. Il tâchoit de démêler dans les yeux d'Elvire fi elle ne trouvoit point qu'il en eut trop dit. Cette chère Epoufe au contraire craignant toujours les foupçons de l'Amoureufe Africaine,

eut

eut fouhaité que Dom Sanchez fe fut exprimé plus vivement. Mais Adelaïde donna aux paroles de fon Amant un fens bien plus étendu qu'elles n'avoient. Elle crut y découvrir la déclaration d'amour la plus forte, & une proteftation d'une fidélité éternelle. L'efprit se perfuade aifément ce qu'il fouhaite, fur-tout quand le cœur le conduit. Dans ces fituations, le prémier eft prefque toujours la dupe de l'autre, qui fe laiffe entrainer par fes mouvemens. Adelaïde fuivit ceux de fon cœur. Elle répondit à Dom Sanchez: vous ne me devez rien: c'est moi qui vous dois tout, puifque vous acceptez ce que je vous offre. Votre reconnoiffance eft d'un prix ineftimable à mes yeux. Je fuis à vous pour toujours, Dom Sanchez. Vous n'avez qu'à prendre les mesures que vous trouverez néceffaires pour notre départ. J'entrerai aveuglément dans tous vos projets. Je vous fais dès à préfent le Maître de mes jours, de mon bien, de mon bonheur comme vous l'êtes de mon cœur. J'aurai foin de vous faire remettre par Elvire l'argent qui vous fera néceffaire : elle vous verra tous les jours. Quant à moi, je ne pourai vous parler auffi fouTom. I. K

vent

vent que je le fouhaiterois : je fuis trop obfervée; & je renverferois tous vos deffeins, fi j'étois découverte. Mais je vous verrai; & c'eft pour moi un bonheur que j'acheterois aux dépens de ma vie. Vous viendrez tous les matins, fous prétexte de cultiver le Parterre qui eft fous mes fenêtres, & je ferai à mes jaloufies. Je m'y plaindrai de la gêne qui m'empêchera de vous parler. L'efpérance qu'elle finira bientôt, me confolera; & le plaifir de vous voir, me rendra heureufe en dépit de la barbare contrainte dans la quelJe la coutume de ce Païs ordonne que je vive. Adieu, Dom Sanchez; il eft tems de nous féparer. Je m'arrache à regret d'auprès de vous. Un jour viendra (& faites que ce jour ne foit pas éloigné) où rien ne poura plus me forcer de me féparer de ce que j'aime. A ces mots, Adelaïde tendit la main à Dom Sanchez. I héfita s'il la prendroit. Elvire qui connut fa penfée, & qui craignit fes vains fcrupules, prit la parole, & lui dit: mon Frère, quand deux cœurs font épris l'un de l'autre, le refpect ne doit plus avoir part à leurs mouvemens. Dom Sanchez fentit ce que vouloit Elvire. Il baifa en mettant un genouil en terre la

main d'Adelaïde. Levez-vous, dit cette
belle Africaine. Votre Sœur a préve
nu mes defirs.
Il n'eft plus question

entre nous, Dom Sanchez, d'inégalité de rang. Je ne fuis plus pour vous la Fille de votre Souverain. Vous n'êtes plus pour moi un Efclave. C'eft à mon Amant, c'eft à mon futur Epoux que je tends la main. L'amour & l'amitié fuyent également ces diftinctions embarraffantes. L'union peut-elle être véritablement parfaite entre deux cœurs, dont l'un conferve fur l'autre une fupériorité génante, qui tot ou tard devient odieufe? Promettez-moi donc, cher Sanchez, avant de nous féparer, que vous oublierez pourtoujours la distance que le Sort a mis entre votre état & le mien. Adelaïde tendit encore la main à Dom Sanchez. la baifa moins refpectueufement que la prémière fois, & répondit à la belle Africaine vos bontés pouront m'enhardir à vous montrer dans toutes les occafions l'excès de mon zèle; mais, fans = manquer aux fentimens que je fens pour vous, fouffrez que je conferve éternellement le refpect que je vous dois. Ade laïde charmée de la réponse de fon AEmant, lui repliqua en fouriant: non, je K 2

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