Page images
PDF
EPUB

un plaifir dont je ne démêlai point d'abord la caufe. Je reftai près d'un quart d'heure à le confidérer fans fortir de la place où j'étois. Je craignois, fi je venois à marcher, fi je faifois le moindre bruit, qu'il ne m'aperçut, & qu'apréhendant d'être puni pour s'être rencontré dans le même lieu où j'étois, il ne fe retirât. Cependant plus je le voyois, & plus je trouvois du plaifir à le voir. Je ne pus resister à la tentation de m'avancer un peu plus vers lui pour le mieux examiner. Je me gliffai derrière les arbres, & je m'approchai affez près pour avaler à longs traits le poifon qui s'eft répandu dans mon cœur. Ha! ma chère Elvire, que cet Efclave me parut aimable! J'aurois paffé le refte de la journée à le contempler; mais l'idée de le revoir tous les jours au même endroit fans qu'il s'en aperçut, m'obligea à me retirer le plus doucement qu'il me fut poffible pour n'être point découverte. Je ne manquai pas le lendemain à la mème heure de me rendre dans le Bofquet. Je le vis encore ; je le considérai attentivement; je le trouvai plus beau que le premier jour. Mon Amour prit de nouvelles forces. Je commençai à

con

connoitre mon égarement. J'en rougis de honte & de dépit; je voulus fuir, mais il n'étoit plus tems; je ne pus jamais m'arracher du Bofquet; je m'y arrêtai beaucoup plus que la prémière fois. Enfin, que vous dirai-je, belle Elvire? Je n'ai jamais manqué un feul jour d'aller admirer mon Amant. Mais hier l'Amour acheva de me priver de ma raifon. Je trouvai l'Efclave affis, regardant le Ciel triftement, & verfant des larmes. Il me fembla l'ouïr parler; mais je ne pus entendre ce qu'il difoit. Sans doute il fe plaignoit du fort qu'il éprouve. Si quelqu'un fut jamais fait pour n'être point Efclave, c'eft lui. Il femble être né pour donner des fers, & non pour en porter. Si j'ôfois, ma chère Elvire, vous ouvrir le fond de mon cœur; fi j'ôfois vous déclarer des fentimens que je crains que vous ne condamniez. Mais pourquoi appréhenderois-je de vous dire mes plus fecrettes penfées? N'êtes-vous pas cette Elvire qui m'a juré une amitié éternelle, cette Elvire qui a pitié de l'état où elle me voit? Oui, ma chère, je ne veux rien vous cacher. Si vous voulez m'aider, & que le Ciel favorife mes deffeins, je romprai les fers de mon

Amant,

Amant, je vous rendrai la liberté, & je deviendrai la Perfonne du monde la plus heureuse. Vous m'avez fi fouvent parlé du bonheur dont jouïffoient les Femmes Européennes. Ce bonheur, fi je pouvois le partager avec mon Avant, me paroîtroit cent fois plus précieux, que l'état où je vis aujourd'hui. Je fuis Fille de Souverain, il est vrai; mais je n'en fuis pas moins Efclave. Mes jours s'écoulent dans une trifte folitude. Si je reste dans ce Pays, je deviendrai un jour le partage d'un Mari jaloux, barbare; qui partagera fon cœur entre moi & un nombre de Rivales; peut-être me donnera-t-il la douleur de me préferer la dernière de fes Efclaves. D'ailleurs, le cœur plain d'une Paffion auffi forte que l'eft celle que je fens, je ne regarderois jamais un Époux que comme un Tyran odieux. Croyezmoi, chère Elvire, profitons de l'occafion: faififfons le moment, vous de recouvrer votre liberté, & moi de poffeder pour toujours mon Amant. Nous fommes encore dans cette Maison pour fix femaines: employons-les à notre bonheur. Parlez à mon Amant; fondez-le; voyez fi nous pouvons compter fur lui. Affurezle que je l'adore. Quand un cœur aime auffi

ten

tendrement, auffi fortement que le mien, la contrainte n'eft plus de faifon, & le déguisement est un crime. S'il veut m'enlever, je lui en donnerai les moyens. Nous partirons tous trois pour l'Espagne. J'emporterai affez d'or & de diamans pour vous rendre riches tous deux.

ELVIRE avoit été agitée de tant de différens mouvemens en entendant par ler Adelaïde, qu'elle n'avoit point fongé à l'interrompre. L'idée de retourner en Efpagne, de pouvoir apprendre des nouvelles de fon cher Epoux; l'espoir de lui rendre la liberté, & d'être réunie avec lui; tout cela l'avoit d'abord affectée au point qu'elle n'auroit pas balancé d'accepter le parti qu'on lui offroit. Mais des réfléxions fâcheufes fuccedoient à fes defirs flatteurs. Elle trembloit qu'un projet auffi hardi que celui de s'enfuir ne fut découvert; qu'elle n'effuyât toute la rigueur du courroux du Dei; & que la tentative qu'elle feroit pour fe procurer la liberté, ne rendit inutiles les foins qu'elle penfoit que Dom Sanchez devoit fe donner pour la lui procurer. Elle n'avoit eu aucune connoiffance du malheur arrivé à fon Père; elle efpéroit toujours que fes maux finiroient. L'embarras

où étoit Elvire dura encore quelques inftans, après qu'Adelaïde eut ceffé de parler. Cette belle Africaine attendoit en tremblant & les yeux baiffés la réponse de fa Confidente. Elle lui fut plus favorable qu'elle n'avoit ôfé le penfer. L'empreffement de revoir Dom Sanchez l'emporta enfin dans le cœur d'Elvire fur la crainte. Elle ne pouvoit plus fuporter l'abfence de fon Epoux. La mort lui paroiffoit plus douce que l'état où elle fe trouvoit. Elle fe réfolut d'employer tous les moyens pour en fortir, & accepta ceux que lui offroit Adelaïde. Je veux, lui dit-elle, tout ce que vous voulez. Je n'ignore point le danger où nous allons nous expofer; mais enfin quelque foit le fort que le Ciel nous referve, il ne fauroit être plus trifte que celui que nous éprouvons. Vous ignorez encore la moitié de mes malheurs, & lorfque je vous aurai appris ce que je vous ai caché jufques-ici, vous verrez bien que l'esclavage n'étoit pas le plus grand de mes maux.

ADELAIDE fut fi charmée des prémières paroles d'Elvire, qu'elle fit peu d'attention aux dernières. Dans un autre tems elle eut voulu favoir quels étoient ces maux dont fon Amie fe plai

« PreviousContinue »