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tout ce que vous pouriez me dire. Si vous m'aimez, n'augmentez point ma douleur. Je fuis déja affez infortunée, fans que vous m'accabliez par des reproches. Je ne vous demande point que vous preniez pitié de mon fort; je n'exige point que vous ferviez ma tendreffe, que vous flattiez ma paffion. Je veux mourir; le fort en eft jetté; & vous ignoreriez un fecret que j'empor terai dans le tombeau, fi vous ne me l'aviez arraché. Cependant je vous deman de par toute l'amitié que vous m'avez jurée, par celle que j'ai pour vous, de ne jamais me reprocher ma foibleffe. Il feroit inutile que vous effaiaffiez de la guérir. Le trait dont je fuis frapée eft trop enfoncé dans mon cœur ; la mort feule peut l'en arracher.

ECOUTEZ-moi, Adelaïde, dit Elvi

,

écoutez-moi. Ce n'eft point contre vous que je me recrie, c'eft contre un Sort cruel qui pourfuit obftinément les cœurs les plus vertueux. Ha! fouffrez qu'en vous plaignant, je condamne ce Deftin fatal qui répand un poison dangereux fur vos plus beaux jours. Quoi! la folitude profonde dans la quelle nous vivons n'a pu garantir votre cœur d'une

paffion

paffion violente! Barbare Fortune, il falloit donc qu'Adelaïde fut auffi malheureufe qu'Elvire! En finiffant ces mots, l'idée de Dom Sanchez l'affecta fi fort, que les fanglots lui coupèrent la parole: elle vouloit parler, & elle ne pouvoit retrouver l'ufage de la voix.

ADELAIDE étoit dans un état auffi douloureux que celui d'Elvire. Ces deux aimables Perfonnes fe regardoient, s'embraffoient de tems en tems, fondoient en larmes, & ne fe difoient rien. Enfin Adelaïde rompit la prémière le filence. Ceffez, dit-elle à Elvire, d'augmenter mon affliction par la vôtre. Je fuis fenfible autant qu'on le peut être aux marques d'amitié que vous me donnez. Ne craignez point que j'en abufe. Je ne vous prefferai jamais de fervir ma paffion, & je fuis trop contente que vous me plaigniez, & que vous ayez affez de complaifance pour excufer ma foibleffe. Vous n'aurez pas long tems à fouffrir mes égaremens. Je fens qu'il m'eft impoffible de réfifter au chagrin qui me dévore; & j'ai réfolu de finir par le fer ou par le poifon une vie qui m'est à charge. Jufte Ciel ! quel deffein, s'écria Elvire! Ha! je ne fouffrirai point que H 4

vous

vous l'exécutiez. Eft-ce là l'amitié que vous m'avez promife? Vous voulez donc abandonner aux maux les plus cruels votre chère Elvire? Que deviendra-t-elle, dès qu'elle ne vous aura plus ? Dans quels nouveaux malheurs ne va-t-elle pas être plongée? Mais que voulez-vous que je faffe, repliqua Adelaïde? J'aime, & rien ne peut me guérir de mon amour, L'idée de mon Amant eft toujours préfente à mon efprit; fans ceffe je le vois, je le confidère, je le fuis des yeux; chaque moment augmente ma tendreffe. Si vous faviez combien il m'a couté de peines & de foins de me contraindre depuis quelques jours. Hélas! lorfque je vous paroiffois gaye & enjouée, je venois un inftant auparavant de me baigner dans mes larmes. Enfin le feu dont je fuis dévorée prenant toujours de nouvelles forces, il m'a été impoffible de vous cacher plus long-tems mon trouble. Vous voulez que je vive. Quels tristes jours vont donc être les miens! Pouvezvous demander que je fouffre un mal qui m'accable, & auquel je ne vois aucun remède? Laiffez-moi mourir: votre pitié & votre amitié exigent que vous me rendiez ce fervice. C'eft le plus grand

que

que je puiffe attendre de vous. Non, vous ne mourrez point, dit Elvire, vous vivrez, & vous vivrez pour être heureufe. Vous ne pouvez vous deffendre d'aimer: aimez donc, Si l'Amour est une foibleffe, l'excès la juftifie. Vous fuivez une impreffion à la quelle votre raison n'a pû refifter. Vous devriez rougir de votre paffion, fi vous aviez cedé fans combattre; mais vous obéissez à un = pouvoir fuprême. Vivez, vivez, Adelaïde, & perdez pour toujours la funefte envie de finir de fi beaux jours. Mais ces jours, repliqua Adelaïde, en vivant & en aimant ne feront-ils pas toujours remplis d'amertume? Eft-il un fort plus cruel que celui d'aimer fans efpoir d'être aimée? He! pourquoi ne ferez-vous point aimée, reprit Elvire? N'êtes-vous pas faite pour l'être? Fille de Souverain, belle, charmante, vous craignez de ne pouvoir plaire à un fimple Efclave? Perdez un fentiment auffi peu vrai-femblable, & ne vous forgez point des maux imaginaires. Mon cœur, dit Adelaïde, écoute avidement des difcours qui raviffent mon Ame. Je viverai, puifque vous le voulez, & je vivrai contente, fi vous H 5

m'ai

m'aidez de vos confeils, & fi vous me confervez votre amitié.

ELVIRE embraffa tendrement Adelaïde, & après l'avoir affurée d'une amitié éternelle, & d'un zèle que rien ne pouroit diminuer; puis-je, lui dit-elle, vous prier de m'apprendre par quel hazard l'Amour a féduit votre cœur? Je vais, lui répondit Adelaïde, vous raconter l'Hiftoire la plus fingulière, & qui peut fervir de preuve qu'il n'eft point de cœur, quelque précaution que l'on prenne, qui foit à l'abri des traits de l'Amour. Vous vous rapellerez fans dou te que le fecond jour que nous fumes arrivées dans cette Maifon de Campagne, j'allai me promener toute feule dans le Bofquet qui termine les Jardins du coté de la Mer? J'apperçus un Ef clave qui arrofoit des fleurs. Sa phifionomie me frappa. Il eft fait, belle Elvire, pardonnez ces expreffions à ma tendreffe, comme on dépeint l'Amour. Sa phifionomie eft douce & fpirituelle, fes yeux font remplis de feu, fes traits font réguliers, fa taille eft avantageufe, l'habillement d'Efclave n'ôte rien à la nobleffe de fon air. Je le regardai avec

un

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