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voir fa chère Elvire en danger, fans être elle-même malade de chagrin. Le Dei, qui aimoit fa Fille à l'excès, fut au defefpoir de fon incommodité; & comme il favoit que le fecret le plus für pour lui rendre la fanté, c'étoit de rétablir celle d'Elvire, il ordonna qu'on employât tous les moyens pour guérir cette Efclave. Les foins qu'on prit, produifirent quelque effet; mais le mal d'Elvire n'étoit point de ceux qui peuvent être guéris entièrement la fièvre ceffa, & la mélancolie continua. Le Dei craignit qu'Elvire ne fut bientôt auffi malade qu'elle l'avoit été ; & ne voulant plus expofer, s'il étoit poffible, la fanté de fa chère Fille Adelaïde, qui étoit entièrement rétablie depuis que les jours d'Elvire paroiffoient n'être plus en danger, il réfolut d'envoyer pour quelques femaines Adelaïde & Elvire dans une belle Maifon de Campagne, dont l'air étoit excellent, & beaucoup meilleur que celui de Tunis. Cette Maifon étoit fituée au bord de la Mer. Elle apartenoit à un Turc nommé Ofman favori du Dei. Toutes les années Adelaïde alloit y paffer une partie de l'Eté avec fes Efclaves & les Eunuques destinés à fa garde. Elle y Tome I. H jouïf

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jouïffoit cependant d'une liberté affez grande, & fon Père, qui cherchoit à lui procurer tout ce qui pouvoit lui faire plaifir, avoit permis qu'on la laiffat promener dans les Jardins, quoiqu'ils ne fuffent point fermés du côté du rivage de la Mer où ils aboutiffoient.

LE Dei ayant averti Adelaïde de fon deffein, elle en fut charmée, croyant que la liberté dont fa chère Elvire jouïroit à la Campagne diminueroit fa mélancolie. Elle fe hâta de partir le plutôt qu'elle put. Envain Ofman demanda quelque tems pour pouvoir mettre fa Maison dans un état convenable à y loger la Fille de fon Souverain. Adelaïde ne lui donna que trois jours, après lefquels elle partit pour la Campagne. Elvire la fuivit avec quelque plaifir. Elle ne fut point infenfible à la fatisfaction de fortir d'un Palais, où elle étoit enfermée depuis cinq mois. La liberté a des charmes, même pour les Coeurs les plus malheureux. Elvire efpéroit d'ailleurs y pouvoir trouver quelque occafion de s'informer de Dom Sanchez, & d'en apprendre des nouvelles. Cette idée étoit feule capable de diffiper fa mélancolie. Adelaïde s'aperçut dès le prémier jour qu'el

le

le fut arrivée dans fa nouvelle demeure, que fa chère Elvire étoit moins trifte. Elle lui en témoigna fa joye de la maniè re la plus tendre & la plus empreffée, & fit ce qu'elle put pour la perfuader de bannir de fon efprit toutes les idées qui pouvoient l'affliger.

CINQ ou fix jours s'étoient deja écoulés depuis qu'Adelaïde étoit dans cette Maifon de Campagne, fans que fa gayeté & fa bonne humeur paruffent diminuer. Un foir, après s'être promenée dans les Jardins affez long-tems, elle fe retira dans fon appartement plus réveufe qu'à l'ordinaire. Sa réverie ne diminua pourtant rien des careffes qu'elle avoit accoutumé de faire à Elvire. Elle l'embraffa plufieurs fois, & la ferrant dans fes bras, fes yeux fe remplirent de larmes. Envain elle voulut les cacher, Elvire s'en aperçut. Qu'avez-vous, belle Adelaïde, lui dit-elle, & que vous eft-il donc arrivé qui ait pu vous chagriner jufqu'à vous faire verfer des pleurs? Pourquoi voulez-vous me déguifer vos fentimens ? Vous avez quelque peine que j'ignore. Vous n'ôfez me la confier. Craignez-vous que je n'y prenne pas affez de part? Ha! les obligations H 2

que

que je vous ai, les bontés dont vous m'accablez journellement font trop gravées dans mon Coeur. Parlez-moi naturellement. On foulage fes chagrins en les racontant à des Perfonnes qui s'y intéreffent. Ne me déguifez rien. l'eutêtre pourai-je fervir à votre confolation. Nous fommes fouvent fi occupées de nos douleurs, que nous n'apercevons point les remèdes que nous pouvons y apporter. Les confeils de nos Amis moins prévenus, nous font très utiles dans ces momens. Un Cœur trop fenfible groffit toûjours les malheurs qui le touchent.

CES derniers mots arrachèrent un profond foupir à Adelaïde. Ha! dit-elle, en verfant quelques pleurs, mes maux font fans remède. J'avois refifté aux prémiers coups que m'avoit porté un Deftin barbare; mais ma constance s'est entièrement évanouïe aujourd'hui. Envain ai-je voulu appeller la raison & la gloire à mon fecours; un mouvement plus fort m'a entrainée; je n'ai pû resister à une impreffion qui m'a privée par fa force des reffources que j'ai cherchées inutilement dans les réfléxions que je faifois fur l'état affreux que je me préparois. J'AI

J'AI peine à vous comprendre, dit Elvire. Je ne fai comment expliquer vos difcours. Vous parlez comme une Perfonne dont l'amour cauferoit les malheurs; mais la manière dont nous vivons me fait fentir le faux de mes conjectures. Il faut voir pour aimer, & vous ne voyez ici Perfonne.

ELVIRE alloit continuer de parler, lorfqu'Adelaïde lui ferrant tendrement la main, lui dit d'une voix foible & tremblante. Hélas! ma chère, il n'eft que trop vrai ;j'aime, & pour toute ma vie. Mais c'eft peu de dire aimer; j'idolâtre l'Objet qui ma fû plaire. Je voudrois lui facrifier ma grandeur, mes richeffes, le rang de mon Père. Contente de fa tendreffe, l'état abjet dans le quel il eft me paroitroit plein de charmes; car enfin, ma chère Elvire, après vous avoir appris mes malheurs, je ne dois pas vous cacher mes égaremens. Cet Amant que j'aime avec tant de vivacité, n'eft qu'un fimple Efclave employé à la culture des Jardins de cette Maifon. Que me dites-vous, repartit Elvire, avec un air furpris? Est-il poffible!........ Arrêtez, Elvire, dit Adelaïde, en interrompant fa Confidente: je me fuis dit à moi-même H 3

tout

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