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l'art de cultiver les fleurs. Le Corfaire, avoit un fort beau jardin. Dom Sanchez en prit foin, & réuffit fi bien, que Benazira (c'étoit ainfi qu'on appelloit fon Patron) l'aima bientôt véritablement. Ce fut une confolation pour Dom Sanchez. Il en avoit befoin dans l'état où il fe trouvoit. Il avoit écrit en Espagne, & ne recevoit point de nouvelles. Il ne favoit à quoi attribuer le filence des Parens de fon Epoufe; car pour les fiens ils n'étoient point en état de pouvoir fournir fa rançon. Il fe trouvoit dans cette trifte fituation, lorfqu'un nouveau malheur vint fe joindre à tous ceux qui l'accabloient déja. Il apprit que le Père de fon Epoufe avoit eu des démêlés a vec un Prêtre pour des affaires d'intérêt, & que l'ayant fait condamner par les Juges féculiers, le Prêtre de qui il avoit été autrefois intime Ami, & qui connoiffoit fes fentimens & le fond de fon cœur, l'avoit accufé à l'Inquifition d'avoir tenu des propos licentieux fur la Religion. On l'avoit arrêté, condamné à deux ans de prifon, & à une amende fi confidérable, qu'elle excédoit la valeur de tout fon bien. Par ce funefte accident, Dom Sanchez perdoit prefque l'efpoir de for

tir d'efclavage. Près de quatre mois s'étoient écoulés depuis qu'il étoit à Portofarino. Ces quatre mois lui avoient paru quatre Siécles de tourmens & de peines. Son Maître qui n'ignoroit pas le fujet de fa trifteffe, tâchoit de la diminuer par les bonnes manières qu'il avoit pour lui. Il le confidéroit plutôt comme un Ami, que comme un Efclave. Il ne l'employoit uniquement qu'à cultiver les fleurs de fon jardin. Quelque doux que fut cet emploi, il devoit cependant paroître dur à un Homme tel que Dom Sanchez. On conçoit fans peine qu'un Officier élevé & nourri parmi des Gens de diftinction qui ont accoutumé de regarder avec mépris les Perfonnes destinées à fervir les autres par le malheur de leur naiffance, fouffre toujours de fe trouver dans un état qu'il confidère comme honteux. Les feuls vrais Philofophes peuvent fuporter tranquillement une pareille difgrace. Ils fe font fait un ufage de regarder tous les Hommes comme égaux. Ils font auffi fermes, auffi grands, auffi généreux dans les fers, qu'ils le feroient fur le Thrône. L'Amour. fit pour Dom Sanchez ce qu'auroit pu faire la Philofophie. La tendreffe qu'il reffen

toit pour fa chère Elvire, le rendoit infenfible à toute autre chofe. Il ne s'apercevoit qu'il étoit Efclave, que parce qu'il fe trouvoit éloigné d'elle, & qu'il craignoit de ne plus la revoir. Ce n'étoit ni les grandeurs, ni les richesses, ni l'Espagne qu'il regretoit; c'étoit fa chè re Elvire. Ceux qui ont reffenti de grandes Paffions, & qui ont aimé avec cette vivacité qui fait le caractère de la véritable tendreffe, fe font fans doute apperçûs plus d'une fois, que toutes leurs actions tendoient uniquement à ce qui avoit quelque raport à l'Objet qu'ils aimoient. Un cœur où l'Amour regne en maitre, ne voit, n'agit, ne parle, que par les impreffions qu'il reçoit de ce même Amour. L'Ambition dans ce cœur n'eft plus une Paffion de s'élever audeffus des autres par le plaifir de leur commander; c'eft une envie de paroître plus eftimable & d'être plus confideré de fa Maitreffe. 1 en eft de même des autres Paffions: elles deviennent dans un Homme véritablement amoureux des defirs qui tendent tous au même but.

PENDANT que Dom Sanchez infenfible à tous fes maux n'étoit tourmenté que de celui d'être éloigné de fa chère Elvire,

Elvire, cette tendre Epoufe éprouvoit le même fort. Elle avoit d'abord plû à la Fille du Dei qui l'avoit traitée avec toute l'amitié poffible. Elle avoit obtenu de fon Père qu'elle feroit toujours avec elle. Elvire ne fentoit pas le poids de l'esclavage; mais elle étoit accablée par la douleur que lui caufoit l'abfence de Dom Sanchez. Elle ignoroit ce qu'il étoit devenu. Renfermée dans le fond d'un Palais, elle n'avoit vû depuis qu'elle y étoit, que des Femmes captives comme elle, & que des Eunuques destinés à les garder, & à leur interdire tout commerce avec le refte des Humains. Ses chagrins étoient trop violens pour qu'elle pût fe contraindre. Elle verfoit fouvent des larmes qu'effuyoit la belle Adelaïde. C'étoit ainfi qu'on apelloit la Fille du Dei. Je vous aime, difoit-elle à Elvire, autant que fi vous étiez ma Sœur. Calmez votre douleur: je tâcherai de rendre votre féjour dans le Serrail le moins trifte qu'il fera poffible. Quelque fois Adelaïde demandoit à Elvire la caufe de fes chagrins; mais elle croyoit ne devoir point découvrir fa naiffance & fa condition, craignant que le Dei ne vint à en avoir connoiffance, & qu'il ne

de

demandât une rançon trop confidérable. Elle n'ofoit pas même dire que c'étoit l'amour qui faifoit couler fes larmes. Si les Eunuques l'euffent appris, ils auroient redoublé leur vigilance, & lui auroient peut être ôté le peu de liberté dont elle jouïffoit. Elle avoit la permiffion de se promener dans les jardins du Serrail, ce qui étoit pour une Efclave comme elle une faveur fingulière.

LA trifteffe d'Elvire augmentoit cha que jour. Depuis près de cinq mois, elle n'avoit reçu aucune nouvelle ni de Dom Sanchez, ni de fa Famille. Elle craignoit quelque fois que fon Epoux ne fut mort. Elle ne pouvoit déviner le malheur qui étoit arrivé à fon Père; & comme elle ne doutoit point que s'il avoit été inf truit de fon Efclavage, il n'eut pris des mefures pour le finir, elle en concluoit qu'il devoit être arrivé quelque nouvel accident à Dom Sanchez. Cette idée cruelle la frappa fi fort, que peu s'en fallut qu'elle ne fut la caufe de fa mort. Elle tomba dans une fi grande mélanco lie, que la fièvre qui s'y joignit, la mit bientôt à l'extrémité.

L'AMITIÉ d'Adelaïde étoit déjà fi forte, que cette belle Africaine ne put

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