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yeux, les tourna foiblement vers fon Epoux, & ne pouvant retrouver l'ufage de la parole, elle pouffa un foupir. Ce foupir fut fuivi de quelques pleurs qui fembloient s'échaper involontairement. Dans le prémier moment d'une douleur telle que celle d'Elvire, le cœur faigne, &

les

yeux pleurent fort peu. Ce n'eft qu'après un certain intervalle entre l'accablement & la douleur, que les larmes coulent en abondance. Elvire refta encore quelques momens fans paroître auffi affligée qu'elle l'étoit; mais enfin, lorfqu'elle eut recouvré entiérement l'usage des fens & de la voix, elle s'écria en jettant un bras au cou de fon Epoux: c'en eft donc fait ! Je vous perds, & je vous perds pour toujours! Ha! voyage fatal, funefte envie de vous fuivre ! C'est moi qui fuis la caufe de notre malheur. Je vous ai preffé de me conduire à Ceuta. Hélas! infortunée que je fuis, pour n'avoir pas voulu refter une année fans vous voir, je vais être féparée de vous pour jamais! A ces mots, Elvire fut encore prête à perdre la connoiffance: une nouvelle pâleur fe répandit fur fon vifage. Dom Sanchez l'embraffant & mêlant fes larmes aux fiennes, lui dit: non, belle Elvire, nous

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ne fommes point féparés pour toujours, Je vais écrire en Espagne. Vos Parens auront foin de payer notre rançon. Nous retournerons encore dans notre Patrie. J'en ai une certitude intérieure qui fufpend une partie de ma douleur. Ha! dit Elvire, & fi le Maitre que je vais avoir, prend du goût pour moi? Si ce peu de beauté qu'on me trouve, & que je déteste aujourd'hui, vient à lui plaire? Qu'allons-nous devenir malheureux Dom Sanchez? Ah! laiffez-moi mourir: je ne puis fuporter cette idée; elle m'accable, elle me defefpère. Au nom du Ciel, Madame, repliqua Dom Sanchez, ne frappez point mon cœur par l'endroit le plus fenfible, & n'offrez point à mon Ame une image qui la tuë. Efpérons un fort moins cruel que celui que vous craignez. Puifqu'il est une Providence qui conduit & qui règle tout, comptons fur fon fecours. Deux cœurs auffi vertueux & auffi tendres que les nôtres, ne font point faits pour fervir d'exemple de la grandeur des maux que peut caufer la plus rigoureufe Fortune. J'entrevois déjà dans notre fort, continua Dom Sanchez, une efpèce de bonheur. Vous reftez à Tunis, & l'on poura plus aifément a

voir de vos nouvelles en Espagne. Vous êtes, il est vrai, Esclave du Dei; mais il vous deftine à être auprès de fa Fille. Je l'ai appris de ceux à qui il a donné l'ordre de vous conduire, & vous n'êtes point dans l'appartement de fes Fem

mes.

CETTE dernière circonftance calma un peu le defefpoir d'Elvire. Quand les chagrins font parvenus au plus haut point, & qu'on croit être perdu fans reffource, une foible lueur d'efpérance produit alors un effet pareil à celui que feroit une confolation plus réelle dans une autre fituation. Eh bien donc, dit Elvire, je vivrai, puifque vous me l'ordonnez ; je ferai plus, j'espèrerai. Mais vous, qu'al lez-vous devenir? Je l'ignore, répondit Dom Sanchez, & je ne fai entre les mains de qui je tomberai; mais ne craignez rien pour moi, puifqu'aïant la liberté de fortir, il me fera aifé, quelque Maître que j'aie, de donner de nos nouvelles en Espagne. Que fais je? Peutêtre en attendant notre liberté trouveraije le moyen d'avoir des vôtres? L'amour eft ingénieux. Efpérons tout de lui.

ELVIRE alloit répondre, mais les Gens destinés à la conduire chés le Dei,

la preffèrent de partir. Cet ordre renouvella fes douleurs. Le peu de confolation qu'elle avoit reçuë fe diffipa. Elle fe jetta au cou de Dom Sanchez. Non, dit-elle, j'aime mieux mourir dans ce moment, que de me féparer de vous. Les Gens que le Dei avoit chargés, d'amener Elvire, étoient fi touchés de fa douleur, qu'ils n'ôfoient agir de force pour l'arracher des bras de fon Epoux. Dom Sanchez s'aperçut de leur embarras. Il craignit qu'appréhendant de déplaire à leur Maitre, ils n'agiffent de force, & que cela n'aigrit & n'augmentat le defefpoir de fa chère Epoufe. Il vit qu'il étoit tems de faire un effort fur lui-même. Adieu, dit-il, belle Elvire, en ceffant de la tenir dans fes bras. La fin de notre malheur ne peut venir que de notre conftance. Commençons donc dès ce moment à nous roidir contre les coups de la Fortune. Confervez votre vie. Songez que les jours d'un Epoux qui vous adore, font attachés aux vôtres,& que notre feul desespoir peut nous empêcher de nous réunir. A ces mots, Dom Sanchez s'éloigna d'Elvire. Les Domesti ques du Dei l'emmenèrent fondante en larmes. Elle tint les yeux attachés fur

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Dom

Dom Sanchez jufqu'au moment qu'elle ceffa de le voir.

APRÈS le départ d'Elvire, Dom Sanchez resta immobile, & entiérement abforbé dans fon defefpoir. On fit le partage des Prifonniers, fans qu'il s'en apperçût, quoiqu'il y fut préfent. Il n'en eut connoiffance que, lorfqu'étant échu à un Pilote Corfaire qui demeuroit ordinairement à Portofarino, Port de Mer à huit ou dix-mille de Tunis, fon nouveau Maître l'avertit de fe tenir prêt à partir le lendemain. Dom Sanchez fut fâché d'être obligé de s'éloigner de Tunis, Il laiffoit dans cette Ville ce qu'il avoit de plus cher au Monde. Mais fachant qu'il n'auroit pu voir. Elvire, quoiqu'il eut vécu dans le même endroit qu'elle, & confiderant qu'il étoit encore plus à portée d'avoir des nouvelles d'Efpagne dans la Ville où il alloit, qu'il ne l'auroit été à Tunis, il fe confola de ce nouveau défagrément que lui caufoit fa mauvaise fortune, tous les autres Efpagnols, hors lui feul, étant reftés à Tunis.

LORSQUE Dom Sanchez fut arrivé à Portofarino, il tâcha d'adoucir la rigueur de fon efclavage en gagnant l'amitié de fon Maître. Il entendoit parfaitement

l'art

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