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Cependant, les juges, un moment décontenancés, s'étaient remis et raffermis. L'évêque de Beauvais, s'essuyant les yeux, se mit à lire la condamnation. Il remémora à la coupable tous ses crimes, schisme, idolâtrie, invocation de démons, comment elle avait été admise à péni5 tence, et comment, «séduite par le prince du mensonge, elle était retombée, ô douleur! comme le chien qui retourne à son vomissement. Donc, nous prononçons que vous êtes un membre pourri, et, comme tel, retranché de l'Église. Nous vous livrons à la puissance séculière, la priant toutefois de modérer son jugement, en vous évitant Io la mort et la mutilation des membres. >>

...

Délaissée ainsi de l'Église, elle se remit en toute confiance à Dieu. Elle demanda la croix. Un Anglais lui passa une croix de bois, qu'il fit d'un bâton; elle ne la reçut pas moins dévotement, elle la baisa et la mit, cette rude croix, sous ses vêtements et sur sa chair. . . . Mais elle 15 aurait voulu la croix de l'église, pour la tenir devant ses yeux jusqu'à la mort. Le bon huissier Massieu et frère Isambart firent tant, qu'on la lui apporta de la paroisse Saint-Sauveur. Comme elle embrassait cette croix, et qu'Isambart l'encourageait, les Anglais commencèrent à trouver tout cela bien long; il devait être au moins midi; 20 les soldats grondaient, les capitaines disaient: «Comment! prêtre, nous ferez-vous dîner ici? . . . » Alors, perdant patience et n'attendant pas l'ordre du bailli, qui seul pourtant avait autorité pour l'envoyer à la mort, ils firent monter deux sergents pour la tirer des mains des prêtres. Au pied du tribunal, elle fut saisie par les hommes d'armes, 25 qui la traînèrent au bourreau, lui disant : « Fais ton office. . . . » Cette furie des soldats fit horreur; plusieurs des assistants, des juges même, s'enfuirent, pour n'en pas voir davantage.

Quand elle se trouva en bas dans la place, entre ces Anglais qui portaient les mains sur elle, la nature pâtit et la chair se troubla; elle cria 30 de nouveau: «O Rouen, tu seras donc ma dernière demeure! . . . » Elle n'en dit pas plus, et ne pécha pas par ses lèvres, dans ce moment même d'effroi et de trouble. . . .

Elle n'accusa ni son roi ni ses saintes. Mais parvenue au haut du bûcher, voyant cette grande ville, cette foule immobile et silencieuse, 35 elle ne put s'empêcher de dire: «Ah! Rouen, Rouen, j'ai grand'peur que tu n'aies à souffrir de ma mort! » Celle qui avait sauvé le peuple et que le peuple abandonnait n'exprima en mourant (admirable douceur d'âme !) que de la compassion pour lui. . . .

Elle fut liée sous l'écriteau infâme, mitrée d'une mitre où on lisait :

« Hérétique, relapse, apostate, ydolastre. » ... Et alors le bourreau mit le feu.... Elle le vit d'en haut et poussa un cri. . . . Puis, comme le frère qui l'exhortait ne faisait pas attention à la flamme, elle eut peur pour lui, s'oubliant elle-même, et elle le fit descendre. . . .

La flamme montait. Au moment où elle la toucha, la malheureuse 5 frémit et demanda de l'eau bénite; de l'eau, c'était apparemment le cri de la frayeur. . . . Mais, se relevant aussitôt, elle ne nomma plus que Dieu, que ses anges et ses saintes. Elle leur rendit témoignage : « Oui, mes voix étaient de Dieu, mes voix ne m'ont pas trompée ! . . . » Que toute incertitude ait cessé dans les flammes, cela doit nous faire 10 croire qu'elle accepta la mort pour la délivrance promise, qu'elle n'entendit plus le salut au sens judaïque et matériel, comme elle avait fait jusque-là, qu'elle vit clair enfin, et que, sortant des ombres, elle obtint ce qui lui manquait encore de lumière et de sainteté.

Cette grande parole est attestée par le témoin obligé et juré de la 15 mort, par le dominicain qui monta avec elle sur le bûcher, qu'elle en fit descendre, mais qui d'en bas lui parlait, l'écoutait et lui tenait la croix.

Nous avons encore un autre témoin de cette mort sainte, un témoin bien grave, qui lui-même fut sans doute un saint. Cet homme, dont 20 l'histoire doit conserver le nom, était le moine augustin déjà mentionné, frère Isambart de la Pierre; dans le procès, il avait failli périr pour avoir conseillé la Pucelle, et néanmoins, quoique si bien désigné à la haine des Anglais, il voulut monter avec elle dans la charrette, lui fit venir la croix de la paroisse, l'assista parmi cette foule furieuse, et sur 25 l'échafaud et au bûcher.

Vingt ans après, les deux vénérables religieux, simples moines, voués à la pauvreté et n'ayant rien à gagner ni à craindre en ce monde, déposent ce qu'on vient de lire : « Nous l'entendions, disentils, dans le feu, invoquer ses saintes, son archange1; elle répétait le 30 nom du Sauveur.... Enfin laissant tomber sa tête, elle poussa un grand cri: «Jésus ! »

«Dix mille hommes pleuraient. . . . » Quelques Anglais seuls riaient ou tâchaient de rire. Un d'eux, des plus furieux, avait juré de mettre un fagot au bûcher; elle expirait au moment où il le mit, il se 35 trouva mal; ses camarades le menèrent à une taverne pour le faire boire et reprendre ses esprits; mais il ne pouvait se remettre : « J'ai vu, disait-il, hors de lui-même, j'ai vu de sa bouche, avec le dernier 1 St. Michael.

soupir, s'envoler une colombe. » D'autres avaient lu dans les flammes le mot qu'elle répétait : « Jésus!» Le bourreau alla le soir trouver frère Isambart; il était tout épouvanté; il se confessa, mais il ne pouvait croire que Dieu lui pardonnât jamais. . . . Un secrétaire du 5 roi d'Angleterre disait tout haut en revenant : « Nous sommes perdus ; nous avons brûlé une sainte ! »

— «Histoire de France », Book X, chap. 4

LA BRETAGNE

Asseyons-nous à cette formidable pointe du Raz,1 sur ce rocher miné, à cette hauteur de trois cents pieds, d'où nous voyons sept lieues de côtes. C'est ici, en quelque sorte, le sanctuaire du monde 10 celtique. Ce que vous apercevez par delà la baie des Trépassés, est l'île de Sein, triste banc de sable sans arbres et presque sans abri; quelques familles y vivent, pauvres et compatissantes, qui, tous les ans, sauvent des naufragés. Cette île était la demeure des vierges sacrées qui donnaient aux Celtes beau temps ou naufrage. Là, elles célé15 braient leur triste et meurtrière orgie; et les navigateurs entendaient avec effroi de la pleine mer le bruit des cymbales barbares. Cette île, dans la tradition, est le berceau de Myrdhyn, le Merlin du moyen âge. Son tombeau est de l'autre côté de la Bretagne, dans la forêt de Brocéliande, sous la fatale pierre où sa Vyvyan l'a enchanté. Tous ces 20 rochers que vous voyez, ce sont des villes englouties; c'est Douarnenez, c'est Is, la Sodome bretonne; ces deux corbeaux, qui vont toujours volant lourdement au rivage, ne sont rien autre que les âmes du roi Grallon et de sa fille; et ces sifflements, qu'on croirait ceux de la tempête, sont les crierien, ombres des naufragés qui demandent la 25 sépulture.

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A Lanvau, près Brest, s'élève, comme la borne du continent, une grande pierre brute. De là, jusqu'à Lorient, et de Lorient à Quiberon et Carnac, sur toute la côte méridionale de la Bretagne, vous ne pouvez marcher un quart d'heure sans rencontrer quelques-uns de

1 The extreme western point of the Finistère (finis terrae). Beyond it lies the Ile de Sein.

2 The Merlin of the Arthurian cycle was enchanted by Vivian.

8 The modern Douarnenez is a town of 12,000 inhabitants in the Finistère. It has been believed that an older town near by had been engulfed.

4 A legendary town believed to have been engulfed because of the sins of its inhabitants.

Legendary king of Cornwall.

du

ces monuments informes qu'on appelle druidiques. Vous les voyez souvent de la route dans des landes couvertes de houx et de chardons. Ce sont de grosses pierres basses, dressées et souvent un peu arrondies par le haut; ou bien, une table de pierre portant sur trois ou quatre pierres droites. Qu'on veuille y voir des autels, des tombeaux, 5 ou de simples souvenirs de quelque événement, ces monuments ne sont rien moins qu'imposants, quoi qu'on ait dit. Mais l'impression en est triste, ils ont quelque chose de singulièrement rude et rebutant. On croit sentir dans ce premier essai de l'art une main déjà intelligente, mais aussi dure, aussi peu humaine que le roc qu'elle a façonné. 10 Nulle inscription, nul signe, si ce n'est peut-être sous les pierres renversées de Loc-Maria-Ker, encore si peu distincts qu'on est tenté de les prendre pour des accidents naturels. Si vous interrogez les gens pays, ils répondront brièvement que ce sont les maisons des Korrigans, des Courils, petits hommes lascifs qui, le soir, barrent le chemin, 15 et vous forcent de danser avec eux jusqu'à ce que vous en mouriez de fatigue. Ailleurs, ce sont les fées qui, descendant des montagnes en filant, ont apporté ces rocs dans leur tablier. Ces pierres éparses sont toute une noce pétrifiée. Une pierre isolée, vers Morlaix, témoigne du malheur d'un paysan qui, pour avoir blasphémé, a été avalé par la lune. 20 Je n'oublierai jamais le jour où je partis de grand matin d'Auray, la ville sainte des chouans,1 pour visiter, à quelques lieues, les grands monuments druidiques de Loc-Maria-Ker et de Carnac. Le premier de ces villages, à l'embouchure de la sale et fétide rivière d'Auray, avec ses îles du Morbihan,2 plus nombreuses qu'il n'y a de jours dans 25 l'an, regarde par-dessus une petite baie la plage de Quiberon, de sinistre mémoire. Il tombait du brouillard, comme il y en a sur ces côtes la moitié de l'année. De mauvais ponts sur des marais, puis le bas et sombre manoir avec la longue avenue de chênes qui s'est religieusement conservée en Bretagne; des bois fourrés et bas, où les 30 vieux arbres même ne s'élèvent jamais bien haut; de temps en temps un paysan qui passe sans regarder; mais il vous a bien vu avec son œil oblique d'oiseau de nuit. Cette figure explique leur fameux cri de guerre, et le nom de chouans, que leur donnaient les bleus. Point de maisons sur les chemins; ils reviennent chaque soir au village. Par- 35 tout de grandes landes, tristement parées de bruyères roses et de

ས་གཉ

1 The name of the Bretons who, in 1793, revolted against the Republic. The republicans were called the bleus.

2 The Morbihan is southeast of the Finistère

diverses plantes jaunes; ailleurs, ce sont des campagnes blanches de sarrasin. Cette neige d'été, ces couleurs sans éclat et comme flétries d'avance, affligent l'œil plus qu'elles ne le récréent, comme cette couronne de paille et de fleurs dont se pare la folle d'Hamlet. En avan5 çant vers Carnac, c'est encore pis. Véritables plaines de roc où quelques moutons noirs paissent le caillou. Au milieu de tant de pierres, dont plusieurs sont dressées d'elles-mêmes, les alignements de Carnac n'inspirent aucun étonnement. Il en reste quelques centaines debout; la plus haute a quatorze pieds.

ΙΟ Le Morbihan est sombre d'aspect et de souvenirs; pays de vieilles haines, de pèlerinages et de guerre civile, terre de caillou et race de granit. — « Histoire de France », Book III, Tableau de la France

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Détournez les yeux de Paris, et contemplez, je vous prie, si votre regard peut l'embrasser, l'immense, l'inconcevable grandeur du mouve15 ment. Six cent mille volontaires inscrits veulent marcher à la frontière. Il ne manque que des fusils, des souliers, du pain. Les cadres sont tout préparés; les fédérations 1 pacifiques de 1790 sont les bataillons frémissants de 1792. Les mêmes chefs souvent y commandent ; ceux qui menèrent le peuple aux fêtes vont le guider aux combats. . . . Ces innombrables volontaires ont gardé tous un caractère de l'époque vraiment unique qui les enfanta à la gloire. Et maintenant, où qu'ils soient, dans la mort ou dans la vie, morts immortels, savants illustres, vieux et glorieux soldats, ils restent tous marqués d'un signe qui les met à part dans l'histoire. Ce signe, cette formule, ce mot qui 25 fit trembler toute la terre, n'est autre que leur simple nom: Volontaires de 1792.

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Leurs maîtres, qui les instruisirent et disciplinèrent leur enthousiasme, qui marchèrent devant eux comme une colonne de feu, c'étaient les sous-officiers ou soldats de l'ancienne armée, que la Révo30 lution venait de jeter en avant, ses fils qui n'étaient rien sans elle, qui par elle avaient déjà gagné leur plus grande bataille, la victoire de la liberté. Génération admirable, qui vit en un même rayon la liberté et la gloire, et vola le feu du ciel.

1 Associations formed throughout France to defend the principles of liberty. They united in one grand national federation on July 14, 1790, at Paris. This same popular patriotic spirit inspired numberless citizens to enlist when danger threatened the country.

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