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Les pauvres habitants, dispersés dans l'espace,

Ne s'y disputent pas le soleil et la place,

Et chacun sous son chêne, au plus près de son champ,

A sa porte au matin et son mur au couchant.

Des sentiers où des bœufs le lourd sabot s'aiguiseta N

Mènent de l'un à l'autre, et de là vers l'église

Dont depuis deux cents ans à tous ces pieds humains

Le baptême et la mort ont frayé les chemins.

Elle s'élève seule au bout du cimetière

Avec ses murs épais et bas, verdis de lierre,
Et ses ronces grimpant en échelle, en feston,
Jusqu'au chaume moussu qui lui sert de fronton.
On ne peut distinguer cette chaumière sainte
Qu'au plus grand abandon du petit champ d'enceinte,
Où le sol des tombeaux, par la mort cultivé,
N'offre qu'un tertre ou deux tous les ans élevé,
Que recouvrent bientôt la mauve et les orties,/
Premières fleurs toujours de nos cendres sorties,
Et qu'à l'humble clocher qui surmonte les toits
Et s'ouvre aux quatre vents pour répandre sa voix.

Ma demeure est auprès; ma maison isolée
Par l'ombre de l'église est au midi voilée,
Et les troncs des noyers qui la couvrent du nord
Aux regards des passants en dérobent l'abord.
Des quartiers de granit que nul ciseau ne taille,
Tels que l'onde les roule, en forment la muraille :
Ces blocs irréguliers, noircis par les hivers,
De leur mousse natale y sont encor couverts;
La joubarbe, la menthe, et ces fleurs parasites
Que la pluie enracine aux parois décrépites,
Y suspendent partout leurs panaches flottants,
Et les font comme un pré reverdir au printemps.
Trois fenêtres d'en haut, par le toit recouvertes,
Deux au jour du matin, l'autre au couchant, ouvertes,
Se creusant dans le mur comme des nids pareils,
Reçoivent les premiers et les derniers soleils;
Le toit, qui sur les murs déborde d'une toise,
A pour tuiles des blocs et des pavés d'ardoise,
Que d'un rebord vivant le pigeon bleu garnit,
Et sous les soliveaux l'hirondelle a son nid.

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Pour défendre ce toit des coups de la tempête,
Des quartiers de granit sont posés sur le faîte,
Et, faisant ondoyer les tuiles et les bois,
Au vol de l'ouragan ils opposent leur poids.
bien que foron

201

Bien que si haut assise au sommet d'une chaîne,
Son horizon borné n'a ni grand ciel, ni plaine:- kick
Adossé au penchant d'un étroit mamelon,
Elle n'a pour aspect qu'un oblique vallon

ine

Qui se creuse un moment comme un lac de verdure,
Pour donner au verger espace et nourriture;
Puis, reprenant sa pente et s'y rétrécissant,
De ravins en ravins avec les monts descend.
Les troncs noirs des noyers, un pan de roche grise,
L'herbe de mon verger, les murs nus de l'église,
Le cimetière avec ses sillons et ses croix,
Et puis un peu de ciel, c'est tout ce que je vois.

Mais combien au regard du peintre et du poète,
En vie, en mouvement, la nature rachète
Ce qu'elle a refusé d'espace à l'horizon!
Une cascade tombe au pied de la maison,
Et le long d'une roche, en nappe blanche et fine,
Y joue avec le vent dont un souffle l'incline,
Y joue avec le jour dont le rayon changeant
Semble s'y dérouler dans ses réseaux d'argent,
Et, par dès rocs aigus dans sa chute brisée,
Aux feuilles du jardin se suspend en rosée.
Légère, elle n'a pas ce bruit tonnant et sourd
Qu'en se précipitant roule un torrent plus lourd ;
Elle n'a qu'une plainte intermittente et douce,
Selon qu'elle rencontre ou la pierre ou la mousse,
Que le vent faible ou fort la fouette à ses parois,
Lui prête ou lui retire ou lui rend plus de voix;
Dans les sons inégaux que son onde module
Chaque soupir de l'âme en note s'articule:
Harpe toujours tendue, où le vent et les eaux

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Rendent dans leurs accords des chants toujours nouveaux,
Et qui semble la nuit, en ces notes étranges,
L'air sonore des cieux froissé du vol des anges.

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FRENCH ANTHOLOGY

INVOCATION D'HAROLD MOURANT al

« Triomphe, disait-il, immortelle Nature,
Tandis que devant toi ta frêle créature
Élevant ses regards de ta beauté ravis,>
Va passer et mourir! Triomphe, tu survis!

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Qu'importe ? Dans ton sein; que tant de vie inonde,ita cime

L'être succède à l'être, et la mort est féconde!"
Le temps s'épuise en vain à te compter des jours;
Le siècle meurt et meurt, et tu renais toujours!
Un astre dans le ciel s'éteint? tu le rallumes!
Un volcan dans ton sein frémit? tu le consumes!
L'océan de ses flots t'inonde? tu les bois !
Un peuple entier périt dans les luttes des rois ?
La terre, de leurs os engraissant ses entrailles,
Sème l'or des moissons sur le champ des batailles !
Le brin d'herbe foulé se flétrit sous mes pas,
Le gland meurt, l'homme tombe, et tu ne les vois pas !
Plus riante et plus jeune au moment qu'il expire,
Hélas! comme à présent tu sembles lui sourire,
Et, t'épanouissant dans toute ta beauté,
Opposer à sa mort ton immortalité !

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«Quoi donc ! N'aimes-tu pas au moins celui qui t'aime ?
N'as-tu point de pitié pour notre heure suprême ?
Ne peux-tu, dans l'instant de nos derniers adieux,
D'un nuage de deuil te voiler à nos yeux ?

Mes yeux moins tristement verraient ma dernière heure
Si je pensais qu'en toi quelque chose me pleure,
Que demain la clarté du céleste rayon

lui!

Viendra d'un jour plus pâle éclairer mon gazon,
Et que les flots, les vents et la feuille qui tombe,
Diront: « Il n'est plus là; taisons-nous sur sa tombe.»
Mais non: tu brilleras demain comme aujourd'hui !
Ah! si tu peux pleurer, Nature, c'est pour
Jamais être formé de poussière et de flamme
A tes purs éléments ne mêla mieux son âme;
Jamais esprit mortel ne comprit mieux ta voix,
Soit qu'allant respirer la sainte horreur des bois,
Mon pas mélancolique, ébranlant leurs ténèbres,
Troublât seul les échos de leurs dômes funèbres;
Soit qu'au sommet des monts, écueils brillants de l'air,
J'entendisse rouler la foudre, et que l'éclair,

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S'échappant coup sur coup dans le choc des nuages,
Brillât d'un feu sanglant comme l'œil des orages;
Soit que, livrant ma voile aux haleines des vents,
Sillonnant de la mer les abîmes mouvants,
J'aimasse à contempler une vague écumante
Crouler sur mon esquif en ruine fumante,
Et m'emporter au loin sur son dos triomphant,
Comme un lion qui joue avec un faible enfant.
Plus je fus malheureux, plus tu me fus sacrée !
Plus l'homme s'éloigna de mon âme ulcérée,
Plus dans la solitude, asile du malheur,

Ta voix consolatrice enchanta ma douleur.

Et maintenant encore . . . à cette heure dernière . . .
Tout ce que je regrette en fermant ma paupière,
C'est le rayon brillant du soleil du midi

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— « Le dernier chant du pélerinage d'Harold »

Qui se réfléchira sur mon marbre attiédi! »

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ALFRED DE VIGNY

Loches, 1797-1863, Paris

Alfred de Vigny was born at Loches in 1797. At the age of sixteen he enlisted, and retained his connection with the army for about fourteen years. Meanwhile, in 1822, he published a little collection of "Poèmes," worked over and supplemented, under the title of " Poèmes antiques et modernes," in 1826, 1829, and 1837. His "Cinq-Mars," a historical romance after the manner of Scott, appeared in 1826. His other romances were "Stello" (1832), and the "Servitude et grandeur militaires," a collection of sketches (1835). "Chatterton" (1835), De Vigny's best drama, was preceded by "Othello" (1829), a free translation of Shakespeare's "Othello," and "La maréchale d'Ancre" (1831).

Essentially a serious, melancholy, and solitary genius, De Vigny was, for a time, somewhat attached to the Romantic movement. During the latter half of his life he lived in retirement, publishing from time to time, in the "Revue des deux mondes," poems which were collected in a small volume in 1863 under the title of "Destinées." On his poems, some thirty in number, his reputation mainly rests. They show considerable depth of thought, a fine sense of proportion, and are expressed in language of noble and dignified simplicity.

LE COR

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I

J'aime le son du Cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille,
Et
que le vent du nord porte de feuille en feuille.

Que de fois, seul, dans l'ombre à minuit demeuré,
J'ai souri de l'entendre, et plus souvent pleuré !
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques
Qui précédaient la mort des Paladins antiques.

O montagne d'azur! ô pays adoré!

Rocs de la Frazona, cirque du Marboré,1
Cascades qui tombez des neiges entraînées,
Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées;

1 Both Frazona and Marboré are in the central Pyrenees.

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