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sur la pointe des herbes, l'alouette de bruyère qui se posait sur un caillou, me rappelaient à la réalité ; je reprenais le chemin du manoir, le cœur serré, le visage abattu.

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Les jours d'orage en été, je montais au haut de la grosse tour de 5 l'ouest. Le roulement du tonnerre sous les combles du château, les torrents de pluie qui tombaient en grondant sur le toit pyramidal des tours, l'éclair qui sillonnait la nue et marquait d'une flamme électrique les girouettes d'airain, excitaient mon enthousiasme: comme Ismen sur les remparts de Jérusalem,' j'appelais la foudre; j'espérais qu'elle 10 m'apporterait Armide.

Le ciel était-il serein, je traversais le grand Mail, autour duquel étaient des prairies divisées par des haies plantées de saules. J'avais établi un siège, comme un nid, dans un de ces saules: là, isolé entre le ciel et la terre, je passais des heures avec les fauvettes; ma nymphe 15 était à mes côtés. J'associais également son image à la beauté de ces nuits de printemps toutes remplies de la fraîcheur de la rosée, des soupirs du rossignol et du murmure des brises.

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D'autres fois je suivais un chemin abandonné, une onde ornée de ses plantes rivulaires; j'écoutais les bruits qui sortent des lieux infré20 quentés; je prêtais l'oreille à chaque arbre; je croyais entendre la clarté de la lune chanter dans les bois; je voulais redire ces plaisirs, et les paroles expiraient sur mes lèvres. . . . mide colt hast Plus la saison était triste, plus elle était en rapport avec moi: le temps des frimas, en r rendant les communications moins faciles, isole 25 les habitants des campagnes; on se sent mieux à l'abri des hommes. Un caractère moral s'attache aux scènes de l'automne: ces feuilles qui tombent comme nos ans, ces fleurs qui se fanent comme nos heures, ces nuages qui fuient comme nos illusions, cette lumière qui s'affaiblit comme notre intelligence, ce soleil qui se refroidit comme 30 nos amours, ces fleuves qui se glacent comme notre vie, ont des rapports secrets avec nos destinées.

Je voyais avec un plaisir indicible le retour de la saison des tempêtes, le passage des cygnes et des ramiers, le rassemblement des corneilles dans la prairie de l'étang, et leur perchée à l'entrée de la nuit sur les 35 plus hauts chênes du grand Mail. Lorsque le soir élevait une vapeur bleuâtre au carrefour des forêts, que les complaintes ou les lais du vent gémissaient dans les mousses flétries, j'entrais en pleine possession

1 See Canto XII of the "Gerusalemme liberata" of Tasso. Armide is the heroine.
2 I.e. the lady of his dreams.

des sympathies de ma nature. Rencontrais-je quelque laboureur au bout d'un guéret, je m'arrêtais pour regarder cet homme germé à l'ombre des épis parmi lesquels il devait être moissonné, et qui, retournant la terre de sa tombe avec le soc de la charrye, mêlait ses sueurs brûlantes aux pluies glacées de l'automne: le sillon qu'il creusait était 5 le monument destiné à lui survivre. . . .

...

Le soir je m'embarquais sur l'étang, conduisant seul mon bateau au milieu des joncs et des larges feuilles flottantes du nénuphar. Là se réunissaient les hirondelles prêtes à quitter nos climats. Je ne perdais pas un seul de leurs gazouillis. . . . Elles se jouaient sur l'eau au 10 tomber du soleil, poursuivaient les insectes, s'élançaient ensemble dans les airs, comme pour éprouver leurs ailes, se rabattaient à la surface du lac, puis se venaient suspendre aux roseaux que leur poids courbait, et qu'elles remplissaient de leur ramage confus.

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La nuit descendait; les roseaux agitaient leurs champs de que- 15 nouilles et de glaives, parmi lesquels la caravane emplumée, poules d'eau, sarcelles, martins-pêcheurs, bécassines, se taisait; le lac battait ses bords; les grandes voix de l'automne sortaient des marais et des bois; j'échouais mon bateau au rivage et retournais au château. Dix heures sonnaient. A peine retiré dans ma chambre, ouvrant mes 20 fenêtres, fixant mes regards au ciel, je commençais une incantation. Je montais avec ma magicienne sur les nuages: roulé dans ses cheveux et dans ses voiles, j'allais, au gré des tempêtes, agiter la cime des forêts, ébranler le sommet des montagnes, ou tourbillonner sur les 25

mers....

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ALPHONSE DE PRAT DE LAMARTINE

Mâcon, 1790-1869, Paris

After a youth in which the influence of his mother and sisters was more felt than that of harsher schoolmasters, Lamartine had his deepest emotions aroused by the death (1818) of a young lady whom he loved. These emotions of love and sorrow he expressed in the "Méditations" (1820) with that depth and spontaneity, that truth and sincerity, which French poetry had scarcely known since the sixteenth century. With the "Méditations starts a new era in lyric poetry, not yet in the form, for Lamartine did not invent new forms, but in the subject matter, which was the spontaneous outburst of a man's innermost self.

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The "Nouvelles méditations" (1823) and the "Harmonies poétiques et religieuses" (1830) continued to increase his fame, but did not strike a deeper or truer note than the first " Méditations." He was received into the Academy in 1830. But poetry seemed to him an "accident," an aventure heureuse " in his life; his ambitions were political rather than literary. After the publication of the " Méditations" he served in the diplomatic corps for some years, retired when Louis-Philippe came to the throne, but was elected deputy in 1833, before his return from the Orient. In the Chamber of Deputies he had an opportunity to display the remarkable powers of his oratory. His "Histoire des Girondins" (1847) had much to do with the fall of the July monarchy, and for a time after its downfall Lamartine found himself at the head of the provisional government. But with the establishment of Napoleon III, Lamartine retired to private life. During the remaining years of his life financial distress forced him to turn out volume after volume of fiction, history, and literary criticism, which added nothing to his fame. He died in 1869.

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Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes

Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.

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Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon;

Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.

Cependant, s'élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs:
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique

Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

7 Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports;

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Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante:

Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis: «Nulle part le bonheur ne m'attend. >>

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !)

Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un œil indifférent je le suis dans son cours;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien à l'immense univers.

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ΙΟ

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Que ne puis-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes vœux, m'élancer jusqu'à toi!
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.

Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons!

1817

LE LAC1

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« Méditations poétiques »

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, /¿
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,

Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?

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O lac! l'année à peine a fini sa carrière,

Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !

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Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

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« O temps, suspends ton vol! et vous, heures propices,

Suspendez votre cours!

1 Lamartine met "Julie," Madame Charles, in 1816, and with her had often loitered around and on Lake Bourget. His deep bereavement at her death in 1818 appears in some of the "Méditations." The "Lac" was written in 1817, before her death.

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