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LE COMTE

Oui.

DON RODRIGUE

Parlons bas; écoute.

Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu,

La vaillance et l'honneur de son temps? le sais-tu ?

Peut-être.

LE COMTE

DON RODRIGUE

Cette ardeur que dans les yeux je porte,

Sais-tu que c'est son sang? le sais-tu ?

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Je suis jeune, il est vrai; mais aux âmes bien nées
La valeur n'attend point le nombre des années.

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Au seul bruit de ton nom pourrait trembler d'effroi.
Les palmes dont je vois ta tête si couverte

Semblent porter écrit le destin de ma perte.

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J'attaque en téméraire un bras toujours vainqueur;
Mais j'aurai trop de force, ayant assez de cœur.
A qui venge son père il n'est rien impossible.
Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.

LE COMTE

Ce grand cœur qui paraît aux discours que tu tiens,
Par tes yeux, chaque jour, se découvrait aux miens;
Et croyant voir en toi l'honneur de la Castille,

Mon âme avec plaisir te destinait ma fille.

Je sais ta passion, et suis ravi de voir

Que tous ses mouvements cèdent à ton devoir;
Qu'ils n'ont point affaibli cette ardeur magnanime;
Que ta haute vertu répond à mon estime;

Et que voulant pour gendre un cavalier parfait,
Je ne me trompais point au choix que j'avais fait ;
Mais je sens que pour toi ma pitié s'intéresse ;
J'admire ton courage, et je plains ta jeunesse.
Ne cherche point à faire un coup d'essai fatal;
Dispense ma valeur d'un combat inégal;
Trop peu d'honneur pour moi suivrait cette victoire :
A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
On te croirait toujours abattu sans effort;
Et j'aurais seulement le regret de ta mort.

DON RODRIGUE

D'une indigne pitié ton audace est suivie .
Qui m'ose ôter l'honneur craint de m'ôter la vie?

Retire-toi d'ici.

LE COMTE

DON RODRIGUE

Marchons sans discourir.

LE COMTE

Es-tu si las de vivre?

DON RODRIGUE

As-tu peur de mourir?

LE COMTE

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CINNA

Auguste, Cinna1

AUGUSTE

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Prends un siège, Cinna, prends, et sur toute chose
Observe exactement la loi que je t'impose :
Prête, sans me troubler, l'oreille à mes discours;
D'aucun mot, d'aucun cri, n'en interromps le cours ;
Tiens ta langue captive; et si ce grand silence
A ton émotion fait quelque violence,

Tu pourras me répondre après tout à loisir :
Sur ce point seulement contente mon désir.

CINNA

Je vous obéirai, Seigneur.

AUGUSTE

Qu'il te souvienne

De garder ta parole, et je tiendrai la mienne.

Tu vois le jour, Cinna; mais ceux dont tu le tiens
Furent les ennemis de mon père, et les miens:
Au milieu de leur camp tu reçus la naissance;
Et lorsqu'après leur mort tu vins en ma puissance,
Leur haine enracinée au milieu de ton sein
T'avait mis contre moi les armes à la main;
Tu fus mon ennemi même avant que de naître,
Et tu le fus encor quand tu me pus connaître,
Et l'inclination jamais n'a démenti
Ce sang qui t'avait fait du contraire parti :
Autant que tu l'as pu, les effets l'ont suivie.is
Je ne m'en suis vengé qu'en te donnant la vie ;
Je te fis prisonnier pour te combler de biens:
Ma cour fut ta prison, mes faveurs tes liens;
Je te restituai d'abord ton patrimoine;
Je t'enrichis après des dépouilles d'Antoine,
Et tu sais que depuis, à chaque occasion,
Je suis tombé pour toi dans la profusion.
Toutes les dignités que tu m'as demandées,
Je te les ai sur l'heure et sans peine accordées;

C)

1 At the instigation of Émilie, whom he loves, Cinna has formed a conspiracy to kill the emperor Auguste, his benefactor. The conspiracy has been discovered, and Auguste has summoned Cinna to him.

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ΙΟ

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Je t'ai préféré même à ceux dont les parents
Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs,
A ceux qui de leur sang m'ont acheté l'empire,
Et qui m'ont conservé le jour que je respire.
De la façon enfin qu'avec toi j'ai vécu,

Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu.
Quand le ciel me voulut, en rappelant Mécène,
Après tant de faveur montrer un peu de haine,
Je te donnai sa place en ce triste accident, malon
Et te fis, après lui, mon plus cher confident.
Aujourd'hui même encor, mon âme irrésolue
Me pressant de quitter ma puissance absolue,
De Maxime et de toi j'ai pris les seuls avis,
Et ce sont, malgré lui, les tiens que j'ai suivis.
Bien plus, ce même jour je te donne Émilie,
Le digne objet des voeux de toute l'Italie,

Et qu'ont mise si haut mon amour et mes soins,
Qu'en te couronnant roi je t'aurais donné moins.

Tu t'en souviens, Cinna: tant d'heur et tant de gloire
Ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire;
Mais ce qu'on ne pourrait jamais s'imaginer,
Cinna, tu t'en souviens, et veux m'assassiner.

CINNA

Moi, seigneur ! moi, que j'eusse une âme si traîtresse ;
Qu'un si lâche dessein . . .

AUGUSTE

Tu tiens mal ta promesse
Sieds-toi, je n'ai pas dit encor ce que je veux;
Tu te justifieras après, si tu le peux.
Écoute cependant, et tiens mieux ta parole.

fatal;

Tu veux m'assassiner demain, au Capitole,
Pendant le sacrifice, et ta main pour signal
Me doit, au lieu d'encens, donner le coup
La moitié de tes gens doit occuper la porte,
L'autre moitié te suivre et te prêter main-forte.
Ai-je de bons avis, ou de mauvais soupçons?
De tous ces meurtriers te dirai-je les noms ?
Procule, Glabrion, Virginian, Rutile,
Marcel, Plaute, Lénas, Pompone, Albin, Icile,
Maxime, qu'après toi j'avais le plus aimé;

Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé :
Un tas d'hommes perdus de dettes et de crimes,
Que pressent de mes lois les ordres légitimes,

2.44

Et qui désespérant de les plus éviter, MS
Si tout n'est renversé, ne sauraient subsister.

Tu te tais maintenant, et gardes le silence,
Plus par confusion que par obéissance.
Quel était ton dessein, et que prétendais-tu
Après m'avoir au temple à tes pieds abattu?
Affranchir ton pays d'un pouvoir monarchique!
Si j'ai bien entendu tantôt ta politique, *<*,
Son salut désormais dépend d'un souverain
Qui pour tout conserver tienne tout en sa main ;
Et si sa liberté te faisait entreprendre,

Tu ne m'eusses jamais empêché de la rendre;
Tu l'aurais acceptée au nom de tout l'État,
Sans vouloir l'acquérir par un assassinat.

Quel était donc ton but? D'y régner en ma place?
D'un étrange malheur son destin le menace,
Si pour monter au trône et lui donner la loi

Tu ne trouves dans Rome autre obstacle que moi,
Si jusques à ce point son sort est déplorable,
Que tu sois après moi le plus considérable,
Et que ce grand fardeau de l'empire romain

Ne puisse après ma mort tomber mieux qu'en ta main.
Apprends à te connaître, et descends en toi-même :
On t'honore dans Rome, on te courtise, on t'aime,
Chacun tremble sous toi, chacun t'offre des vœux,
Ta fortune est bien haut, tu peux ce que tu veux;
Mais tu ferais pitié même à ceux qu'elle irrite,
Si je t'abandonnais à ton peu de mérite.
Ose me démentir, dis-moi ce que tu vaux,
Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux,
Les rares qualités par où tu m'as dû plaire,
Et tout ce qui t'élève au-dessus du vulgaire.

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Ma faveur fait ta gloire, et ton pouvoir en vient:
Elle seule t'élève, et seule te soutient;

C'est elle qu'on adore, et non pas ta personne

Tu n'as crédit ni rang qu'autant qu'elle t'en donne,
Et pour te faire choir je n'aurais aujourd'hui
Qu'à retirer la main qui seule est ton appui.

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