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La terre a vu passer leur empire et leur trône.
On ne sait en quel lieu florissait Babylone.
Le tombeau d'Alexandre, aujourd'hui renversé,
Avec sa ville altière a péri dispersé.

César n'a point d'asile où son ombre repose;

Et l'ami Pompignan pense être quelque chose!

LA TOLERANCE

Ce n'est plus aux hommes que je m'adresse; c'est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps: s'il est permis à de faibles créatures perdues dans l'immensité, et imperceptibles au reste de l'univers, d'oser te demander quelque chose, à toi qui as tout 10 donné, à toi, dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d'une vie pénible et pas- 15 sagère; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux et si égales devant toi; que toutes ces petites nuances qui 20 distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil; que ceux qui couvrent leur robe d'une toile blanche pour dire qu'il faut t'aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose 25 sous un manteau de laine noire; qu'il soit égal de t'adorer dans un jargon formé d'une ancienne ne langue, ou dans un jargon plus nouveau ;

que ceux dont l'habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d'un petit tas de la boue de ce monde et qui possèdent quelques fragments arrondis d'un certain métal, jouissent sans 30 orgueil de ce qu'ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie; car tu sais qu'il n'y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s'enorgueillir.

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Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères! qu'ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exé- 35 cration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de

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l'industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l'instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu'à la Californie, la bonté qui 5 nous a donné cet instant !

« Traité de la tolérance », Chap. XXIII

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Jean-Jacques Rousseau was born at Geneva in 1712. His mother died at his birth, and he was left in the hands of his father, a watchmaker by trade and a dancing master, an intelligent but more or less irresponsible man, who early instilled into his son a love for books, good and bad alike. In 1722 the father had to leave Geneva. He left the young Jean-Jacques behind, in the care of an uncle, who, after sending him to school for two years, apprenticed him first with a notary and then with an engraver. But a spirit of restlessness had already got hold of the boy, and in 1728, when he was sixteen years of age, tired of restraint and of the bad treatment of his master, he turned his back upon Geneva. He was directed by a priest he chanced to meet to Madame de Warens, a Catholic proselytizer, who in turn sent him to a seminary in Turin to be taught the doctrines of Catholicism. He then became successively a valet, a wandering showman, a student and teacher of music, and a private tutor. In the meantime he had made the home of Madame de Warens his headquarters, and spent most of his time with her, studying, at odd moments, philosophy and Latin, and always finding time to spend hours in the haunts he loved so well in field and forest.

Finally, in 1741, his wandering spirit took him to Paris, where he spent most of the next fifteen years. There, living from hand to mouth, mostly as secretary, but trying his hand also at the composition of operas, at writing comedies, and at copying music, he became acquainted with Diderot and Grimm and several of the other "philosophes."

The first success which brought him clearly before the public came when, in 1749, he was awarded the prize offered by the Academy of Dijon for the best dissertation on the subject: "Le rétablissement des sciences et des arts a-t-il contribué à épurer les mœurs?" He contended that man was naturally good and that civilization had tended to corrupt him. This theme thus accepted, runs through Rousseau's work and becomes somewhat of a fixed idea in his life. We see its constant development in the "Discours sur l'origine de l'inégalité" (1755), the "Lettre à D'Alembert sur les spectacles" (1758), the "Nouvelle Héloïse" (1761), the " Contrat social" (1762), the " Émile ou de l'éducation" (1762). From 1756 to 1762, while writing these masterpieces, Rousseau had been passing at Montmorency perhaps the happiest years of his life, first in one of the estates of Madame d'Épinay, then in one of the Maréchal de Luxembourg. But after the publication of the "Emile," which was condemned by the Parliament to be burned, he had to flee from France. He sought refuge in Switzerland, but his eccentricities and extremely sensitive nature made trouble for him wherever he found himself, and in 1766 he fled

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to England. A conviction that persecution was hounding his steps gave him no peace, however, and in less than two years he returned to France, wandering from place to place, until finally, in 1770, he came to Paris. There he spent the last years of his life, copying music as a profession, but meanwhile writing the " Dialogues de Rousseau, juge de Jean-Jacques" (1772-1776), and the "Rêveries d'un promeneur solitaire" (1777). In the spring of 1778 he retired to a cottage at Ermenonville, and died there on July 2 of the same year.

One of his greatest works, in fact the most remarkable production of the kind in literature, the "Confessions," he left in manuscript. Though completed before 1770, their extremely personal character did not permit their publication until after the author's death. The first complete edition appeared in 1788.

1755

ORIGINES DE LA SOCIÉTÉ HUMAINE

Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, 5. arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables: « Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne! » Mais il y a grande apparence qu'alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient : car cette idée 10 de propriété, dépendant de beaucoup d'idées antérieures qui n'ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d'un coup dans l'esprit humain: il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l'industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d'âge en âge, avant que d'arriver à ce dernier terme de l'état de nature. Reprenons donc les 15 choses de plus haut, et tâchons de rassembler sous un seul point de vue cette lente succession d'événements et de connaissances dans leur ordre le plus naturel.

Le premier sentiment de l'homme fut celui de son existence; son premier soin celui de sa conservation. Les productions de la terre lui 20 fournissaient tous les secours nécessaires; l'instinct le porta à en faire usage....

Telle fut la condition de l'homme naissant; telle fut la vie d'un animal borné d'abord aux pures sensations, et profitant à peine des dons que lui offrait la nature, loin de songer à lui rien arracher. Mais 25 il se présenta bientôt des difficultés; il fallut apprendre à les vaincre : la hauteur des arbres qui l'empêchait d'atteindre à leurs fruits, la

concurrence des animaux qui cherchaient à s'en nourrir, la férocité de ceux qui en voulaient à sa propre vie, tout l'obligea de s'appliquer aux exercices du corps; il fallut se rendre agile, vite à la course, vigoureux au combat. Les armes naturelles, qui sont les branches d'arbres et les pierres, se trouvèrent bientôt sous sa main. Il apprit à surmonter les 5 obstacles de la nature, à combattre au besoin les autres animaux, à disputer sa subsistance aux hommes mêmes, ou à se dédommager de ce qu'il fallait céder au plus fort.

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A mesure que le genre humain s'étendit, les peines se multiplièrent avec les hommes. La différence des terrains, des climats, des saisons, 10 put les forcer à en mettre dans leurs manières de vivre. Des années stériles, des hivers longs et rudes, des étés brûlants, qui consument ́ tout, exigèrent d'eux une nouvelle industrie. Le long de la mer et des rivières ils inventèrent la ligne et l'hameçon, et devinrent pêcheurs et ichthyophages. Dans les forêts ils se firent des arcs et des flèches, et 157 devinrent chasseurs et guerriers. Dans les pays froids ils se couvrirent des peaux des bêtes qu'ils avaient tuées. Le tonnerre, un volcan, ou quelque heureux hasard, leur fit connaître le feu, nouvelle ressource contre la rigueur de l'hiver : ils apprirent à conserver cet élément, puis à le reproduire, et enfin à en préparer les viandes qu'auparavant ils 20 dévoraient crues.

Cette application réitérée des êtres divers à lui-même, et des uns aux autres, dut naturellement engendrer dans l'esprit de l'homme les perceptions de certains rapports. Ces relations que nous exprimons par les mots de grand, de petit, de fort, de faible, de vite, de lent, de 25 peureux, de hardi, et d'autres idées pareilles, comparées au besoin, et presque sans y songer, produisirent enfin chez lui quelque sorte de réflexion, ou plutôt une prudence machinale qui lui indiquait les précautions les plus nécessaires à sa sûreté.

Les nouvelles lumières qui résultèrent de ce développement aug- 30 mentèrent sa supériorité sur les autres animaux en la lui faisant connaître. Il s'exerça à leur dresser des pièges, il leur donna le change en mille manières; et quoique plusieurs le surpassassent en force au combat, ou en vitesse à la course, de ceux qui pouvaient lui servir ou lui nuire, il devint avec le temps le maître des uns et le fléau 35 des autres. C'est ainsi que le premier regard qu'il porta sur lui-même y produisit le premier mouvement d'orgueil; c'est ainsi que sachant encore à peine distinguer les rangs, et se contemplant au premier par son espèce, il se préparait de loin à y prétendre par son individu. . . .

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