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avec, tu ne l'aurais pas : j'aimerais mieux te voir mort, il n'y aurait pas grande perte; et souviens-toi seulement que c'est aujourd'hui la Saint-Mathieu bon jour, bonne œuvre; ne l'oublie pas. Et laisse venir demain; tu verras comme il sera fait. C'est moi qui te le dis, 5 qui ne suis pas une chiffonnière, mais bel et bien madame Dutour, madame pour toi, madame pour les autres, et madame tant que je serai au monde, entends-tu ? -«La vie de Marianne », Part second

LUC DE CLAPIERS, MARQUIS DE

VAUVENARGUES

Aix in Provence, 1715-1747, Paris

Vauvenargues came of a poor but noble family. His education was much neglected. At the age of eighteen he entered military service, resigning his post through ill health and disappointment ten years later. He next made some attempt to enter the diplomatic service, but without success, and then took up literature, and published, in 1746, the "Introduction à la connaissance de l'esprit humain." Joined to this were some "Réflexions sur divers sujets," "Conseils à un jeune homme," "Réflexions critiques sur quelques poètes," and some "Caractères." He is best known for his "Réflexions" or "Maximes," whose general tone is optimistic. He died in 1747.

RÉFLEXIONS ET MAXIMES

III

Lorsqu'une pensée est trop faible pour porter une expression simple, c'est la marque pour la rejeter.

IV

La clarté orne les pensées profondes.

L'obscurité est le royaume de l'erreur.

VI

Il n'y aurait point d'erreurs qui ne périssent d'elles-mêmes, rendues 5 clairement.

IX

Lorsqu'une pensée s'offre à nous comme une profonde découverte, et que nous prenons la peine de la développer, nous trouvons souvent que c'est une vérité qui court les rues.

XII

C'est un grand signe de médiocrité de louer toujours modérément. 10

ΙΟ

La prospérité fait peu d'amis.

XVII

XVIII

Les longues prospérités s'écoulent quelquefois en un moment: comme les chaleurs de l'été sont emportées par un jour d'orage.

XLIII

C'est une preuve de petitesse d'esprit, lorsqu'on distingue toujours 5 ce qui est estimable de ce qui est aimable. Les grandes âmes aiment naturellement ce qui est digne de leur estime.

LV

Il n'y a guère de gens plus aigres que ceux qui sont doux par intérêt.

LVII

Il est faux qu'on ait fait fortune, lorsqu'on ne sait pas en jouir.

LXIII

Les gens d'esprit seraient presque seuls, sans les sots qui s'en piquent.

LXVII

Il est difficile d'estimer quelqu'un comme il veut l'être.

LXXV

Le sentiment de nos forces les augmente.

CVII

Les maximes des hommes décèlent leur cœur.

CCXV

15

Savoir bien rapprocher les choses, voilà l'esprit juste. Le don de rapprocher beaucoup de choses et de grandes choses fait les esprits vastes. Ainsi la justesse paraît être le premier degré, et une condition très nécessaire de la vraie étendue d'esprit.

CCXVII

Je n'approuve point la maxime qui veut qu'un honnête homme sache 20 un peu de tout. C'est savoir presque toujours inutilement, et quelquefois pernicieusement, que de savoir superficiellement et sans principes.

Il est vrai que la plupart des hommes ne sont guère capables de connaître profondément; mais il est vrai aussi que cette science superficielle qu'ils recherchent ne sert qu'à contenter leur vanité. Elle nuit à ceux qui possèdent un vrai génie: car elle les détourne nécessairement de leur objet principal, consume leur application dans les détails, 5 et sur des objets étrangers à leurs besoins et à leurs talents naturels ; et enfin elle ne sert point, comme ils s'en flattent, à prouver l'étendue de leur esprit. De tout temps on a vu des hommes qui savaient beaucoup avec un esprit très médiocre; et au contraire, des esprits très vastes qui savaient fort peu. Ni l'ignorance n'est défaut d'esprit, ni le 10 savoir n'est preuve de génie.

CCLXXX

Ceux qui sont nés éloquents parlent quelquefois avec tant de clarté et de brièveté des grandes choses, que la plupart des hommes n'imaginent pas qu'ils en parlent avec profondeur. Les esprits pesants, les sophistes, ne reconnaissent pas la philosophie, lorsque l'éloquence la 15 rend populaire, et qu'elle ose peindre le vrai avec des traits fiers et hardis. Ils traitent de superficielle et de frivole cette splendeur d'expression qui emporte avec elle la preuve des grandes pensées. Ils veulent des définitions, des discussions, des détails et des arguments. Si Locke1 eût rendu vivement en peu de pages les sages vérités de 20 ses écrits, ils n'auraient pas osé le compter parmi les philosophes de son siècle.

CCLXXXI

C'est un malheur que les hommes ne puissent d'ordinaire posséder aucun talent sans avoir quelque envie d'abaisser les autres. S'ils ont la finesse, ils décrient la force; s'ils sont géomètres ou physiciens, ils 25 écrivent contre la poésie et l'éloquence: et les gens du monde, qui ne pensent pas que ceux qui ont excellé dans quelque genre jugent mal d'un autre talent, se laissent prévenir par leurs décisions. Ainsi, quand la métaphysique ou l'algèbre sont à la mode, ce sont des métaphysiciens ou des algébristes qui font la réputation des poètes et des musi- 30 ciens, ou tout au contraire: l'esprit dominant assujettit les autres à son tribunal, et la plupart du temps à ses erreurs.

1 John Locke (1632-1704), one of the most celebrated philosophers and influential thinkers of modern times, author of the "Essay concerning Humane Understanding" (1690).

CCCXXXV

On ne peut avoir l'âme grande ou l'esprit un peu pénétrant sans quelque passion pour les lettres. Les arts sont consacrés à peindre les traits de la belle nature; les sciences, à la vérité. Les arts ou les sciences embrassent tout ce qu'il y a, dans les objets de la pensée, de 5 noble ou d'utile: de sorte qu'il ne reste à ceux qui les rejettent que ce qui est indigne d'être peint ou enseigné.

CCCXXXVII

Deux études sont importantes: l'éloquence et la vérité; la vérité, pour donner un fondement solide à l'éloquence, et bien disposer notre vie; l'éloquence, pour diriger la conduite des autres hommes et 10 défendre la vérité.

CCCXXXVIII

La plupart des grandes affaires se traitent par écrit; il ne suffit donc pas de savoir parler: tous les intérêts subalternes, les engagements, les plaisirs, les devoirs de la vie civile, demandent qu'on sache parler; c'est donc peu de savoir écrire. Nous aurions besoin tous les 15 jours d'unir l'une et l'autre éloquence: mais nulle ne peut s'acquérir, si d'abord on ne sait penser; et on ne sait guère penser, si l'on n'a des principes fixes et puisés dans la vérité. Tout confirme notre maxime: l'étude du vrai la première, l'éloquence après.

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Pour savoir si une pensée est nouvelle, il n'y a qu'à l'exprimer bien simplement.

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