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BERNARD LE BOUVIER DE FONTENELLE

Rouen, 1657-1757, Paris

Fontenelle, nephew of Corneille, was educated by the Jesuits and took up the study of law. He soon gave up law, however, and, like Voltaire, though not so successfully, tried his hand at most branches of literature. His first real success came with the "Entretiens sur la pluralité des mondes" (1686). He was elected to the Academy in 1691, and in 1697 to the Academy of Sciences, of which he was made secretary in 1699. It was in this latter capacity that he wrote the "Histoire de l'Académie des sciences" and the “ Éloges des académiciens de l'Académie royale des sciences morts depuis l'an 1699." In these "Éloges," as well as in the "Entretiens," he showed, to a remarkable degree, the ability to express in clear terms, easily understood by all, the abstruse questions of science and philosophy.

Fontenelle was an elegant man of the world, and for many years a conspicuous and much-admired figure in the various fashionable "salons," into which, through his popularization of learning, he introduced many new interests.

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His best works, in addition to the above, are the "Dialogues des morts (1683), the "Histoire des oracles" (1687), and the "Digression sur les anciens et les modernes" (1688).

LA SCIENCE POUR TOUS

Je suis à peu près dans le même cas où se trouva Cicéron, lorsqu'il entreprit de mettre en sa langue des matières de philosophie, qui jusque-là n'avaient été traitées qu'en grec. Il nous apprend qu'on disait que ses ouvrages seraient fort inutiles, parce que ceux qui aimaient la philosophie s'étant bien donné la peine de la chercher dans les livres grecs, négligeraient après cela de la voir dans les livres latins, qui ne seraient pas originaux, et que ceux qui n'avaient pas de goût pour la philosophie ne se souciaient de la voir ni en latin ni en grec.

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A cela il répond qu'il arriverait tout le contraire, que ceux qui n'étaient pas philosophes seraient tentés de le devenir par la facilité de 10 lire les livres latins, et que ceux qui l'étaient déjà par la lecture des livres grecs, seraient bien aises de voir comment ces choses-là avaient été maniées en latin.

Cicéron avait raison de parler ainsi. L'excellence de son génie et la grande réputation qu'il avait déjà acquise, lui garantissaient le succès de cette nouvelle sorte d'ouvrages qu'il donnait au public; mais moi, je suis bien éloigné d'avoir les mêmes sujets de confiance dans une 5 entreprise presque pareille à la sienne. J'ai voulu traiter la philosophie d'une manière qui ne fût point philosophique; j'ai tâché de l'amener à un point, où elle ne fût ni trop sèche pour les gens du monde, ni trop badine pour les savants. Mais si on me dit à peu près comme à Cicéron, qu'un pareil ouvrage n'est propre ni aux savants, qui n'y 10 peuvent rien apprendre, ni aux gens du monde, qui n'auront point d'envie d'y rien apprendre, je n'ai garde de répondre ce qu'il répondit. Il se peut bien faire qu'en cherchant un milieu où la philosophie convînt à tout le monde, j'en aie trouvé un où elle ne convienne à personne; les milieux sont trop difficiles à tenir, et je ne crois pas qu'il 15 me prenne envie de me mettre une seconde fois dans la même peine.

Je dois avertir ceux qui liront ce livre, et qui ont quelque connaissance de la physique, que je n'ai point du tout prétendu les instruire, mais seulement les divertir, en leur présentant d'une manière un peu 20 plus agréable et plus égayée, ce qu'ils savent déjà plus solidement, et j'avertis ceux à qui ces matières sont nouvelles, que j'ai cru pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble. Les premiers iront contre mon intention, s'ils cherchent ici de l'utilité; et les seconds, s'ils n'y cherchent que de l'agrément.

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Je ne m'amuserai point à dire que j'ai choisi dans toute la philosophie la matière la plus capable de piquer la curiosité. Il semble que rien ne devrait nous intéresser davantage, que de savoir comment est fait ce monde que nous habitons, s'il y a d'autres mondes semblables, et qui soient habités aussi; mais après tout, s'inquiète de tout cela qui 30 veut. Ceux qui ont des pensées à perdre, les peuvent perdre sur ces sortes de sujets; mais tout le monde n'est pas en état de faire cette dépense inutile.

J'ai mis dans ces Entretiens une femme que l'on instruit, et qui n'a jamais ouï parler de ces choses-là. J'ai cru que cette fiction me servi35 rait et à rendre l'ouvrage plus susceptible d'agrément, et à encourager les dames par l'exemple d'une femme, qui ne sortant jamais des bornes d'une personne qui n'a nulle teinture de science, ne laisse pas d'entendre ce qu'on lui dit, et de ranger dans sa tête sans confusion es tourbillons et les mondes. Pourquoi y aurait-il des femmes qui

cédassent à cette marquise imaginaire, qui ne conçoit que ce qu'elle ne peut se dispenser de concevoir ?

A la vérité elle s'applique un peu, mais qu'est-ce ici que s'appliquer ? Ce n'est pas pénétrer à force de méditation une chose obscure d'ellemême, ou expliquée obscurément, c'est seulement ne point lire sans se 5 représenter nettement ce qu'on lit. Je ne demande aux dames pour tout ce système de philosophie, que la même application qu'il faut donner à la Princesse de Clèves, si on veut en suivre bien l'intrigue, et en connaître toute la beauté. Il est vrai que les idées de ce livre-ci sont moins familières à la plupart des femmes que celles de la Prin- Ic cesse de Clèves, mais elles n'en sont pas plus obscures, et je suis sûr qu'à une seconde lecture tout au plus, il ne leur en sera rien échappé.

Comme je n'ai pas prétendu faire un système en l'air, et qui n'eût aucun fondement, j'ai employé de vrais raisonnements de physique, et j'en ai employé autant qu'il a été nécessaire. Mais il se trouve heureu- 15 sement dans ce sujet que les idées de physique y sont riantes d'ellesmêmes, et que dans le même temps qu'elles contentent la raison, elles donnent à l'imagination un spectacle qui lui plaît autant que s'il était fait exprès pour elle.

— « Entretiens sur la pluralité des mondes », Préface

LE SYSTÈME DE COPERNIC

Figurez-vous un Allemand nommé Copernic, qui fait main-basse sur 20 tous ces cercles différents, et sur tous ces cieux solides qui avaient été imaginés par l'antiquité. Il détruit les uns, il met les autres en pièces. Saisi d'une noble fureur d'astronome, il prend la Terre, et l'envoie bien loin du centre de l'univers, où elle s'était placée, et dans ce centre, il y met le Soleil, à qui cet honneur était bien mieux dû. Les planètes 25 ne tournent plus autour de la Terre, et ne l'enferment plus au milieu du cercle qu'elles décrivent. Si elles nous éclairent, c'est en quelque sorte par hasard, et parce qu'elles nous rencontrent en leur chemin. Tout tourne présentement autour du Soleil; la Terre y tourne elle-même; et pour la punir du long repos qu'elle s'était attribué, Copernic la 30 charge le plus qu'il peut de tous les mouvements qu'elle donnait aux planètes et aux cieux. Enfin de tout cet équipage céleste dont cette petite Terre se faisait accompagner et environner, il ne lui est demeuré que la Lune qui tourne encore autour d'elle.

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Attendez un peu, dit la marquise, il vient de vous prendre un enthousiasme qui vous a fait expliquer les choses si pompeusement, que je ne crois pas les avoir entendues. Le Soleil est au centre de l'univers, et là il est immobile; après lui qu'est-ce qui suit?

C'est Mercure, répondis-je, il tourne autour du Soleil, en sorte que le Soleil est peu près le centre du cercle que Mercure décrit. Audessus de Mercure est Vénus, qui tourne de même autour du Soleil. Ensuite vient la Terre, qui étant plus élevée que Mercure et Vénus, décrit autour du Soleil un plus grand cercle que ces planètes. Enfin Io suivent Mars, Jupiter, Saturne, selon l'ordre où je vous les nomme, et vous voyez bien que Saturne doit décrire autour du Soleil le plus grand cercle de tous; aussi emploie-t-il plus de temps qu'aucune autre planète à faire sa révolution.

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Et la Lune? vous l'oubliez, interrompit-elle.

Je la retrouverai bien, repris-je. La Lune tourne autour de la Terre, et ne l'abandonne point; mais comme la Terre avance toujours dans le cercle qu'elle décrit autour du Soleil, la Lune la suit, en tournant toujours autour d'elle; et si elle tourne autour du Soleil, ce n'est que pour ne point quitter la Terre.

Je vous entends, répondit-elle, et j'aime la Lune, de nous être restée, lorsque toutes les autres planètes nous abandonnaient. Avouez que si votre Allemand eût pu nous la faire perdre, il l'aurait fait volontiers; car je vois dans tout son procédé, qu'il était bien mal intentionné pour la Terre.

Je lui sais bon gré, répliquai-je, d'avoir rabattu la vanité des hommes, qui s'étaient mis à la plus belle place de l'univers, et j'ai du plaisir à voir présentement la Terre dans la foule des planètes.

Bon, répondit-elle, croyez-vous que la vanité des hommes s'étende jusqu'à l'astronomie? Croyez-vous m'avoir humiliée pour m'avoir 30 appris que la Terre tourne autour du Soleil? Je vous jure que je ne m'en estime pas moins.

Mon Dieu, Madame, repris-je, je sais bien qu'on sera moins jaloux du rang qu'on tient dans l'univers, que de celui qu'on croit devoir tenir dans une chambre, et que la préséance de deux planètes ne sera 35 jamais une si grande affaire, que celle de deux ambassadeurs. Cependant la même inclination qui fait qu'on veut avoir la place la plus honorable dans une cérémonie, fait qu'un philosophe dans un système se met au centre du monde, s'il peut. Il est bien aise que tout soit fait pour lui; il suppose, peut-être sans s'en apercevoir, ce principe

qui le flatte, et son cœur ne laisse pas de s'intéresser à une affaire de pure spéculation.

Franchement, répliqua-t-elle, c'est là une calomnie que vous avez inventée contre le genre humain. On n'aurait donc jamais dû recevoir le système de Copernic, puisqu'il est si humiliant.

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Aussi, repris-je, Copernic lui-même se défiait-il fort du succès de son opinion. Il fut très longtemps à ne la vouloir pas publier. Enfin il s'y résolut à la prière de gens très considérables; mais aussi le jour qu'on lui apporta le premier exemplaire imprimé de son livre, savez-vous ce qu'il fit? Il mourut. Il ne voulut point essuyer toutes les contradic- 10 tions qu'il prévoyait, et se tira habilement d'affaire.

« Entretiens sur la pluralité des mondes », Premier soir

SOCRATE ET MONTAIGNE

Montaigne. C'est donc vous, divin Socrate! Que j'ai de joie de vous voir! Je suis tout fraîchement venu en ce pays-ci, et dès mon arrivée je me suis mis à vous y chercher. Enfin, après avoir rempli mon livre1 de votre nom et de vos éloges, je puis m'entretenir avec 15 vous, et apprendre comment vous possédiez cette vertu si naïve, dont les allures étaient si naturelles, et qui n'avait point d'exemple, même dans les heureux siècles où vous viviez.

Socrate. Je suis bien aise de voir un mort qui me paraît avoir été philosophe; mais, comme vous êtes nouvellement venu de là-haut, et 20 qu'il y a longtemps que je n'ai vu ici personne (car on me laisse assez seul, et il n'y a pas beaucoup de presse à rechercher ma conversation), trouvez bon que je vous demande des nouvelles. Comment va le monde? N'est-il pas bien changé ?

Montaigne. Extrêmement. Vous ne le reconnaîtriez pas. Socrate. J'en suis ravi. Je m'étais toujours bien douté qu'il fallait qu'il devînt meilleur et plus sage qu'il n'était de mon temps.

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Montaigne. Que voulez-vous dire? Il est plus fou et plus corrompu qu'il n'a jamais été. C'est le changement dont je voulais parler, et je m'attendais bien à savoir de vous l'histoire du temps que vous avez vu, 30 et où régnait tant de probité et de droiture.

Socrate. Et moi, je m'attendais au contraire à apprendre des merveilles du siècle où vous venez de vivre. Quoi ! les hommes d'à présent ne se sont point corrigés des sottises de l'antiquité?

1 I.e. his "Essais."

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