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que des diplomes de l'empereur Charlemagne, de l'empereur Lothaire, d'un Louis l'aveugle, fe difant roi de Provence, de l'empereur Frédéric 1, de l'empereur Charles IV, de Sigifmond fon fils, étaient autant d'impoftures auffi méprifables que la légende dorée.

C'était pourtant fur ces menfonges fi contemptibles aux yeux de tous les favans, et fi punifsables aux yeux de la juftice, qu'autrefois les moines de Saint-Claude avaient fondé leurs richeffes, leurs ufurpations et l'esclavage du malheureux peuple dont la Providence m'a fait le pafteur.

Il y a plus. Les tyrans de ces malheureux colons n'ont point dégénéré de leurs prédéceffeurs; ils ont tronqué, falfifié un arrêt du parlement de Befançon, rendule 1 2 décembre 1 679, entre eux et un fieur Boiffette, pour cette même main-morte; ils ont ofé imprimer récemment qu'ils avaient gagné ce procès, tandis que le greffe dépofe qu'ils ont été condamnés. C'est ce même procès qui fert aujourd'hui contre eux de nouvelle preuve; ils ont été fauffaires dans le douzième fiècle, ils le font dans le dix-huitième. Ils mentent à la justice! (a)

Paffant à tout moment de la surprise à l'indignation, je vis enfin qu'un très-petit nombre de moines avait réuffi infenfiblement à réduire à l'esclavage douze mille citoyens, douze mille ferviteurs du roi, douze mille hommes néceffaires à l'Etat, auxquels ils avaient vendu folennellement la propriété des mêmes terrains dans lefquels ils les enchaînent aujourd'hui. Chaque ligne me rempliffait d'effroi et de douleur;

(a) Voyez les pages 115 et 117 du livre intitulé: Dissertation fur l'établiffement de l'abbaye de Saint-Claude, fes chroniques, fes légendes, &c.

et

et je fuis bien perfuadé que nos juges, ainfi que tous les lecteurs, auront éprouvé les mêmes fentimens que moi.

Quoi difais-je en moi-même, des moines ont vendu à des hommes libres des terrains immenfes dont ils s'étaient emparés par de fauffes chartres, et enfuite ils auront fait des efclaves de ces hommes libres, en abusant de leur ignorance, en intimidant leurs confciences, en les fefant trembler fous le joug de l'inquifition, lorfque la Franche-Comté, fi mal nommée Franche, appartenait à l'Espagne! Ah! c'était plutôt à ces colons qui achetèrent ces terrains à imposer la main-morte aux moines; c'était aux propriétaires inconteftables que ce droit de mainmorte appartenait : car enfin tout moine eft mainmortable par fa nature; il n'a rien fur la terre, fon feul bien eft dans le ciel, et la terre appartient à ceux qui l'ont achetée.

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EMU et troublé dans toutes les puiffances de mon ame, je crus voir pendant la nuit, JESUS-CHRIST lui-même, fuivi de quelques-uns de fes apôtres. Tout fon extérieur annonçait l'humilité et la pauvreté ; mais il nourriffait cinq mille hommes dans un défert avec quelques pains et quelques poiffons. Je crus voir dans un autre défert quelques moines et leur abbé, poffédant cent mille livres de rente, et enchaînant douze mille hommes au lieu de les nourrir.

Il me parut que JESUS fe transporta dans un moment, quoiqu'à pied, du défert de Génézareth à Politique et Légif. Tome I.

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celui de Saint-Claude; il demanda aux moines pourquoi ils étaient fi riches et pourquoi ils enchaînaient ces douze mille Gaulois? Un des moines (c'était le cellerier) répondit: Seigneur, c'est parce que nous les avons faits chrétiens; nous leur avons ouvert le ciel et nous leur avons pris la terre.

JESUS-CHRIST répartit en ces mots : Je ne croyais pas être venu fur cette terre, y avoir enduré la pauvreté, les travaux et la faim, pratiqué conftamment l'humilité et le défintéreffement, uniquement pour enrichir des moines aux dépens des hommes.

Oh! répliqua le cellerier, les chofes font bien changées depuis vous et vos premiers difciples. Vous étiez l'Eglife fouffrante, et nous fommes l'Eglife triomphante. Il est jufte que les triomphateurs foient des feigneurs opulens. Vous paraiffez étonné que nous ayons cent mille livres de rente et des cfclaves; que diriez-vous donc fi vous faviez qu'il y a des abbayes qui en ont deux et trois fois davantage fans avoir de meilleurs titres que nous?

A ces mots je m'écriai: N'y aura-t-il plus de frein fur la terre, l'heureux accablera-t-il toujours l'infortuné? Le tonnerre gronda et la vifion disparut.

ARTICLE

TROISIEME.

QUAND je fus remis de ma frayeur, je m'appliquai à étudier avec le plus grand foin ce fameux procès de douze mille citoyens contre vingt moines fécularifés. Je fus que ces moines n'avaient été élevés à la dignité de chanoines qu'en 1742; que depuis ce temps on avait donné plufieurs canonicats à des hommes qui

n'ayant pas été nourris dans l'état monaftique, n'avaient pu contracter cette dureté de cœur, cette avidité, cette haine fecrète contre le genre humain, qui fe puifent quelquefois dans les couvens.

J'allai trouver un de ces meffieurs, après avoir confulté mes paroiffiens. Je lui dis que je venais lui procurer un moyen de terminer un procès odieux. Cet honnête gentilhomme m'embrassa cordialement ; il m'avoua, les larmes aux yeux, qu'il avait toujours gémi en fecret de foutenir une caufe dont l'unique objet eft de dépouiller la veuve et l'orphelin. Je fais bien, me dit-il, que s'il y a de la justice fur la terre, nous perdrons infailliblement notre procès. J'avoue que nos titres font faux, et que ceux de nos adverfaires font authentiques; j'avoue qu'en 1350, Jean de Châlons, feigneur de ces cantons, affranchit les colons de toute main-morte; qu'en 1390, Guillaume de la Baume, abbé de Saint-Claude, vendit à ces mêmes colons le refte des terrains dont ils font propriétaires légitimes; que, fur la fin du feizième fiècle et au commencement du dix-feptième, les moines de SaintClaude ufurpèrent le droit de main-morte fur des cultivateurs ignorans et intimidés, fans qu'ils puffent produire le moindre titre de ce droit prétendu. Je fais qu'une telle poffeffion fans titre ne peut fe foutenir, et qu'il n'y a point de prescription contre les droits de la nature fortifiés par des pièces authentiques.

Ces moines, à la place de qui je fuis aujourd'hui, ne peuvent fe comparer aux feigneurs légitimes des autres cantons main-mortables, qui concédèrent autrefois des terres à des cultivateurs, à condition que fi les colons mouraient fans enfans, les terres

reviendraient à la maifon des donateurs. Ces feigneurs furent des bienfaiteurs refpectables; et les moines, je l'avoue, furent des oppreffeurs. Ces feigneurs ont leurs titres en bonne forme, et les moines n'en ont point. Ces moines n'établirent infenfiblement la mainmorte, qu'en difant, fur la fin du feizième fiècle, aux colons groffiers: Si vous voulez vous préferver de l'héréfie, foyez nos esclaves au nom de DIEU; mais les colons plus inftruits leur disent aujourd'hui : C'est au nom de DIEU que nous fommes libres.

Je fus fi touché des paroles de ce brave gentilhomme, que je le ferrai dans mes bras avec la tendreffe que m'inspirait fa vertu. Je lui dis : Faites paffer dans l'ame de vos confrères vos fentimens généreux. Ni vous, ni eux vous n'êtes coupables des fraudes commises dans les fiècles paffés. Il faut que les hommes deviennent plus juftes à mesure qu'ils deviennent plus favans; féparez vos vertus des prévarications de vos prédéceffeurs. Il ne faut fouvent qu'un homme de bien pour ramener tout un chapitre. Convertiffez le vôtre. Ils y gagneront; ils éviteront un procès odieux qui les expoferait à la haine et à la honte publique, quand même ils le gagneraient. Qu'ils tranfigent avec les colons; qu'ils abandonnent le droit affreux d'impofer la fervitude, fi mefféant à des prêtres. Qu'ils renoncent à cette fatale prétention, pour des droits plus humains, pour des augmentations de redevances. Plufieurs feigneurs leur ont déjà donné cet exemple.

M. le marquis de Choifeul la Baume vient d'affranchir fes vaffaux dans fes terres. M. de Villefrancon, confeiller au parlement, M. l'avocat de Vorré, et quelques autres dont j'aurai les noms, ont eu la même générofité. Les

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