Page images
PDF
EPUB

force pas d'avouer qu'ils font des diables, répandez le fang de ce chrétien téméraire.

Quel homme fage ne fera pas convaincu, en lifant ces paroles, que Tertullien était un infenfé qui voulait l'emporter fur d'autres infenfés, et qui prétendait avoir le privilége exclufif du fanatisme?

X II I.

Les magiftrats romains étaient, fans doute, bien excufables aux yeux des hommes, de regarder le chriftianifme comme une faction dangereuse à l'empire. Ils voyaient des hommes obfcurs s'affembler fecrètement, et on les entendait enfuite déclamer hautement contre tous les ufages reçus à Rome. Ils avaient forgé une quantité incroyable de fauffes légendes. Que pouvait penfer un magiftrat quand il voyait tant d'écrits fuppofés, tant d'impoftures appelées par les chrétiens eux-mêmes fraudes, et colorées du nom de fraudes pieufes? Lettres de Pilate à Tibère fur la perfonne de JESUS, actes de Pilate, lettres de Tibère au fénat, et du fénat à Tibère,

à

propos de JESUS, lettres de Paul à Séneque, et de Senèque à Paul; combat de Pierre et de Simon devant Néron; prétendus vers des fibylles; plus de cinquante évangiles tous différens les uns des autres, et chacun d'eux forgé pour le canton où il était reçu ; une demi-douzaine d'apocalypfes qui ne contenaient que des prédictions contre Rome, &c. &c.

Quel fénateur, quel jurifconfulte n'eût pas reconnu à ces traits une faction pernicieuse? La religion chrétienne eft, fans doute, célefte; mais aucun fénateur romain n'aurait pu le deviner.

X I V.

Un Marcel, en Afrique, jette fon ceinturon par terre, brise son bâton de commandement, à la tête de fa troupe, et déclare qu'il ne veut plus fervir que le DIEU des chrétiens; on fait un faint de ce féditieux.

Un diacre, nommé Laurent, au lieu de contribuer comme un citoyen aux néceffités de l'empire, au lieu de payer au préfet de Rome l'argent qu'il a promis, lui amène des borgnes et des boiteux; et on fait un faint de ce téméraire !

Polyeucte, emporté par le fanatisme le plus puniffable, brife les vafes facrés, les ftatues d'un temple où l'on rendait grâces au ciel pour la victoire de l'empereur; et on fait un faint de ce perturbateur du repos public, criminel de lèfe-majefté.

Un Théodore, imitateur d'Eroflrate, brûle le temple de Cibèle, dans Amafie, en 305; et on fait un faint de cet incendiaire! Les empereurs et le fénat, qui n'étaient pas illuminés par la foi, ne pouvaient donc s'empêcher de regarder le chriftianisme comme une fecte intolérante et comme une faction téméraire qui, tôt ou tard, aurait des fuites funeftes au genre humain. X V.

Un jour un juif de bon fens et un chrétien comparurent devant un fénateur éclairé, en présence du fage Marc-Aurèle, qui voulait s'inftruire de leurs dogmes. Le fénateur les interrogea l'un après l'autre.

LE SENATEUR AU CHRETIEN.

Pourquoi troublez-vous la paix de l'empire? pourquoi ne vous contentez-vous pas, comme les Syriens,

les Egyptiens et les Juifs, de pratiquer tranquillement. vos rites? pourquoi voulez-vous que votre fecte anéantifle toutes les autres?

[blocks in formation]

C'eft qu'elle eft la feule véritable. Nous adorons un Dieu juif, né dans un village de Judée, fous l'empereur Augufte, l'an de Rome 752 ou 756; fon père et fa mère furent infcrits, felon le divin faint Luc, dans ce village, lorsque l'empereur fit faire le dénombrement de tout l'univers, Cirénius étant alors gouverneur de Syrie.

[blocks in formation]

Votre Luc vous a trompés. Cirénius ne fut gouverneur de Syrie que dix ans après l'époque dont vous parlez: c'était Quintilius Varus qui était alors proconful de Syrie, nos annales en font foi. Jamais Augufte n'eut le deffein extravagant de faire un dénombrement de l'univers : jamais même il n'y eut fous fon règne un recenfement entier des citoyens romains. Quand même on en aurait fait un, il n'aurait pas eu lieu en Judée, qui était gouvernée par Hérode, tributaire de l'empire, et non par officiers de Céfar. Le père et la mère de votre Dieu (b) étaient, dites-vous, des habitans d'un village juif; ils n'étaient donc pas citoyens romains ils ne pouvaient être compris dans le cens.

LE CHRETIE N.

des

Notre Dieu n'avait point de père juif. Sa mère était vierge. Ce fut DIEU même qui l'engroffa par

() Hift. romaine,

l'opération d'un efprit, qui était Dieu auffi, fans que la mère cefsât d'être pucelle. Et cela eft fi vrai, que trois rois ou trois philofophes vinrent d'Orient pour l'adorer dans l'étable où il naquit, conduits par une étoile nouvelle qui voyagea avec eux.

L E SENATEUR.

Vous voyez bien, mon pauvre homme, qu'on s'eft moqué de vous. S'il avait paru alors une étoile nouvelle, nous l'aurions vue; toute la terre en aurait parlé tous les aftronomes auraient calculé ce phénomène.

LE CHRETIEN.

Cela eft pourtant dans nos livres facrés.

LE SENATEUR.

Montrez-moi vos livres.

LE CHRETIEN.

Nous ne les montrons point aux profanes, aux impies; vous êtes un profane et un impie, puisque vous n'êtes point de notre fecte. Nous avons trèspeu de livres. Ils reftent entre les mains de nos maîtres. Il faut être initié pour les lire. Je les ai lus, et fi fa majefté impériale le permet, je vais vous en rendre compte en fa présence: elle verra que notre fecte eft la raifon même.

L E SENATEUR.

Parlez, l'empereur vous l'ordonne, et je veux bien oublier qu'en digne chrétien que vous êtes, vous m'avez appelé impie.

LE CHRETIEN.

Oh, Seigneur ! impie n'est pas une injure; cela peut fignifier un homme de bien qui a le malheur

de

de n'être pas de notre avis; mais pour obéir à l'empereur je vais dire tout ce que je fais.

Premièrement notre Dieu naquit d'une femme pucelle, qui defcendait de quatre proftituées, Bethfabée qui fe proftitua à David; Thamar qui fe proftitua à Juda, le patriarche; Ruth qui fe proftitua au vieux Booz, et la fille de joie Rahab qui fe proftituait à tout le monde; le tout pour faire voir que les voies de DIEU ne font pas celles des hommes.

Secondement vous devez favoir que notre Dieu mourut par le dernier fupplice, puifque c'eft vous qui l'avez fait mettre en croix comme un esclave et un voleur; car les Juifs n'avaient pas alors le droit du glaive; c'était Pontius Pilatus qui gouvernait Jérufalem au nom de l'empereur Tibère vous n'ignorez pas que ce Dieu ayant été pendu publiquement reffufcita fecrètement; mais ce que vous ne favez peutêtre pas, c'eft que la naiffance, fa vie, fa mort avaient été prédites par tous les prophètes juifs : par exemple, nous voyons clair comme le jour lorfqu'un Ifaïe dit, fept (c) ou quatorze cents ans avant la naiffance de notre Dieu, une fille ou femme va faire un enfant qui mangera du beurre et du miel, et il s'appellera Emmanuel; cela veut dire que JESUS fera DIEU.

Il eft dit dans une de nos hiftoires que Juda ferait comme un jeune lion qui s'étendrait fur fa proie, et que la verge ne fortirait point des cuiffes de Juda jufqu'à ce que Shilo parût. Tout l'univers avouera que chacune de ces paroles prouve que JESUS eft

(c) Telle eft la différence entre les chronologies de la Bible. Politique et Légil. Tome I.

D

« PreviousContinue »