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percevraient en argent pour la permission de se marier, pour celle de coucher avec fa femme, la première nuit de fes noces, le rachat des droits de cuiffage, jambage, &c. de tels tributs ne peuvent ni représenter un impôt, ni être les conditions légitimes d'une ceffion de propriété : ils font évidemment un abus de la force ; et le fouverain ferait même plus que juste envers ceux qui en jouiffent, en se bornant à les abolir fans exiger d'eux ni reflitution ni dédommagemens.

En parlant ici des dédommagemens dus aux feigneurs, on fent que nous entendons les feigneurs laïques feulement. Les hommes font trop éclairés de nos jours pour ignorer que les biens eccléfiaftiques ne font pas une vraie propriété, mais une partie du domaine public dont la libre difpofition ne peut ceffer d'appartenir au fouverain.

Dans le projet d'édit dreffé par le P. P. de Lamoignon, on ne trouve aucune distinction entre les feigneurs laïques et les feigneurs eccléfiaftiques dans le fiècle fuperstitieux qui a précédé le nôtre, on regardait les biens eccléfiaftiques comme une vraie propriété, plus facrée même que celle des citoyens. M. de Lamoignon propofe de racheter les droits de main-morte par un droit éventuel, uniforme;

cette difpofition peut conduire à des injustices, non-feulement à l'égard des feigneurs, mais fur-tout à l'égard des ferfs. Les droits qu'ils devaient aux feigneurs fe feraient trouvés souvent au-dessous de celui qui aurait été établi d'après le projet. D'ailleurs il femble que l'on doit laiffer aux communautés la liberté d'accepter ou non l'affranchiffement, en offrant en même temps à chaque particulier le moyen de s'affranchir lorfqu'il le voudra.

Dans l'édit de 1778, le roi s'est borné à rendre la liberté aux ferfs de fes domaines : la loi ne s'eft pas même étendue aux biens eccléfiaftiques, quelque évident que foit le droit du fouverain sur ces biens; et en exhortant les seigneurs à fuivre l'exemple généreux donné par le prince, on n'a point autorifé ceux dont les terres font substituées, à faire, finon cet abandon, du moins un échange avec leurs vaffaux.

L'affaire des moines de Saint-Claude avait deux objets totalement diftincts: l'un était d'obtenir de l'autorité du roi l'abolition de la fervitude, l'autre de prouver que le prétendu droit des moines, étant fondé fur des titres faux, devait être détruit. Les habitans n'ont réuffi ni dans l'une ni dans l'autre de ces demandes. L'éloquence et le zèle de M. de Voltaire ont éte

que

inutiles; la fervitude subsiste encore au pied du Mont-Jura. Et tandis que le petit-fils de Henri IV a déclaré qu'il ne voulait plus avoir des hommes libres dans fes domaines, ni fes exhortations, ni fon exemple, n'ont pu réfoudre les gentilshommes qui ont eu l'humilité de fuccéder aux moines de Saint-Claude, à renoncer à l'orgueil d'avoir des efclaves.

EN SON CONSEIL,

POUR LES SUJETS DU ROI QUI RÉCLAMENT LA LIBERTÉ EN FRANCE.

Contre des moines bénédictins devenus moines de Saint-Claude en Franche-Comté.

LES chanoines de Saint-Claude, près du Mont-Jura dans la Franche-Comté, font originairement des moines bénédictins, fécularifés en 1742. Ils n'ont d'autre droit, pour réduire en esclavage les sujets du roi, habitant au Mont-Jura vers Saint-Claude, que l'ufage établi par les moines, leurs prédéceffeurs, de ravir aux hommes la liberté naturelle. En vain DIEU la leur a donnée; en vain les ducs de Bourgogne et les rois de France, les chartres, les édits, (a) d'accord avec la loi de la nature, ont arraché ces infortunés à la fervitude.

(a) Edits de l'abbé Suger, régent du royaume, de l'an 1141; de Louis X, de 1315; d'Henri II, de 1553. Ordonnance du Louvre, tome I, p. 183. Le roi de Sardaigne a affranchiles ferfs du duché de Savoie par un édit du 20 janvier 1762. Dans les derniers états généraux tenus à Paris, en 1515, le tiers-état fupplia le roi de faire exécuter les anciennes lois contre la fervitude de la glėbe. Etat de la monarchie, par l'abbé Dubos, tome III, page 298.

On trouve dans les arrêtés du premier président de Lamoignon, le projet d'un règlement pour l'abolition de toutes les main-mortes perfonnelles et réelles.

Des enfans de St Benoît le font obftinés à les traiter comme des esclaves qu'ils auraient pris à la guerre, ou qui leur auraient été vendus par des pirates. Nous refpectons le chapitre de Saint-Claude, mais nous ne pouvons refpecter l'injustice des religieux auxquels ils ont fuccédé. Nous fommes forcés de plaider contre des gentilshommes de mérite, en réclamant nos droits contre des moines iniques. Le chapitre de SaintClaude doit nous pardonner de nous défendre.

Si les prêtres, contre lefquels nous réclamons la juftice de DIEU et celle du roi, avaient le moindre titre, nous gémirions en filence dans les fers dont ils nous chargent; nous attendrions qu'un gouvernement fi éclairé eût aboli des lois établies par la rapine dans des temps de barbarie; nous nous contenterions de foupirer, avec la France, après les jours fi longtemps défirés, où le confeil fe fouviendra que nous fommes nés hommes; que les moines bénédictins, hommes comme nous, n'ont été inftitués par S' Benoit que pour labourer comme nous la terre, et pour lever au ciel des mains exercées par les travaux champêtres. Le conseil verra bien fans nous que leurs vœux faits aux pieds des autels n'ont jamais été d'être princes; que nous ne devons nos biens, nos fueurs, notre fang, qu'au roi et non à eux. Auffi nous ne plaidons pas ici contre l'efclavage de la main-morte, nous plaidons contre la fraude qui nous fuppofe mainmortables. Nous montrons les titres mêmes de nos oppreffeurs, pour démontrer qu'ils n'ont eu nul prétexte de nous opprimer ; et qu'ils n'ont tranfmis au chapitre de Saint-Claude qu'une prétention vicieuse dans tous fes points.

Ils

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