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mille à fa première bataille. Céfar ne vint dans les Gaules qu'avec quatre légions; il n'avait que vingtdeux mille combattans à la bataille de Pharfale; et Alexandre partit avec quarante mille pour la conquête de l'Afie.

On nous dit qu'Attila fondit des extrémités de la Sibérie au bord de la Loire, fuivi de fept cents mille huns. Comment les aurait-il nourris? On ajoute qu'ayant perdu deux cents mille de ces huns dans quelques efcarmourches, il en perdit encore trois cents mille dans les champs Catalauniques qui font inconnus; après quoi il alla mettre l'Illyrie en cendres, affiéger et détruire Aquilée fans que perfonne l'en empêchât. Et voilà juflement comme on écrit l'hiftoire.

Quoi qu'il en foit, ce fut dans ce bouleversement fingulier de l'Europe, que les Francs vinrent comme les autres prendre leur part du pillage. La province féquanaife était déjà envahie par des Bourguignons qui ne favaient pas eux-mêmes leur origine. Des Vifigoths s'emparaient d'une partie du Languedoc, de l'Aquitaine et de l'Espagne. Le vandale Genferic, qui s'était jeté fur l'Afrique, en partit par mer pour aller piller Rome, fans aucune oppofition. Il y entra comme on vient dans une de fes maifons qu'on veut démeubler pour embellir une autre demeure. Il fit enlever tout l'or, tout l'argent, tous les ornemens précieux, malgré les larmes du pape Léon, qui avait compofé avec Attila, et qui ne put fléchir Genferic.

Les Gaulois qui ne s'étaient défendus ni contre les Bourguignons, ni contre les Goths, ne réfiftèrent pas plus aux Francs, qui arrivèrent l'an 486, ayant

à leur tête le jeune Clovis, âgé, dit-on, de quinze ans. Il eft à préfumer qu'ils entrèrent d'abord dans la Gaule belgique en petit nombre, comme les Normands entrèrent depuis dans la Neuftrie, et que leur troupe augmenta de tous les brigands volondans taires qui fe joignirent à eux en chemin, l'espoir de la rapine, unique folde de tous les barbares.

Une preuve évidente que Clovis avait très-peu de troupes, c'eft que dans la rédaction de la loi des faliens-francs, nommée communément la loi falique, faite fous fes fucceffeurs, il eft dit expreffément : C'eft cette nation qui, en petit nombre, terrassa la puissance romaine gens parva numero.

Il y avait encore un fantôme de commandant romain, nommé Siagrius, qui, dans la défolation générale, avait confervé quelques troupes gauloifes fous les murs de Soiffons; elles ne réfiftèrent pas. Le même peuple qui avait coûté dix années de travaux et de négociations à Cefar, ne coûta qu'un jour à cette petite troupe de Francs. C'eft que, lorfque Céfar les voulut fubjuguer, ils avaient toujours été libres; et quand ils eurent les Francs en tête, il y avait plus de cinq cents ans qu'ils étaient affervis.

QUEL

CLOVI S.

UEL était donc ce héros de quinze ans, , qui, des marais des Chamaves et des Bructères, vint à Soiffons mettre en fuite un général et jeter les fondemens, non pas du premier trône de l'univers, comme

le

le dit fi fouvent l'abbé Véli, mais d'un des plus floriffans Etats de l'Europe. On ne nous dit point qui fut le chiron ou le phénix de ce jeune Achille. Les Francs n'écrivirent point fon hiftoire. Comment fut-il conquérant et légiflateur dans l'âge qui touche à l'enfance? c'eft un exemple unique. Un Auvergnat devinant Euclide à douze ans, n'est pas fi audeffus de l'ordre commun. Ce qui eft encore unique fur le globe, c'eft que la troifième race règne dans cet Etat depuis huit cents ans, alliée, fans doute, à celle de Charlemagne, qui l'était à celle de Clovis, ce qui fait une continuité d'environ treize fiècles.

La France, à la vérité, n'est pas à beaucoup près auffi étendue que l'était la Gaule fous les Romains; elle a perdu tout le pays qu'on appelait la France orientale dans le moyen âge; celui de Trèves, de Maïence, de Cologne, la plus grande partie de la Flandre. Mais à la longue l'industrie de ses peuples l'a foutenue malgré les guerres les plus funeftes, les captivités de fes rois, les invafions des étrangers, et les fanglantes difcordes que la religion a fait naître dans fon fein.

Cette belle province romaine ne tomba pas d'abord au pouvoir du prince des Francs. Les plus fertiles parties avaient été envahies par les princes ariens, bourguignons et goths dont j'ai parlé. Clovis et fes Francs étaient de la religion qu'on nommait païenne depuis Théodofe, du mot latin pagus, bourgade, la religion chrétienne devenue dominante n'ayant guère laiffé que dans les campagnes l'ancien culte de l'empire. Les évêques athanafiens orthodoxes qui dominaient dans tout ce qui n'était pas Politique et Légif. Tome I. Dd

goth ou bourguignon, et qui avaient fur les peuples une puiffance prefque fans bornes, pouvaient avec le bâton pastoral brifer l'épée de Clovis.

Le favant abbé Dubos a très-bien démêlé que ce jeune conquérant avait la dignité de maître de la milice romaine, dans laquelle il avait fuccédé à fon père Childeric, dignité que les empereurs conféraient à plufieurs chefs de tribu chez les Francs, pour les attacher (fi l'on pouvait) au fervice de l'empire. Ainfi ayant attaqué Siagrius, il pouvait être regardé comme un rebelle et comme un traître. Il pouvait être puni, fi la fortune des Romains changeait. Les évêques pouvaient fur-tout armer les peuples contre lui. Le vieillard vénérable S' Remi, évêque de Reims, avait écrit à Clovis, vers le temps de fon expédition contre Siagrius, cette fameuse lettre que l'abbé Dubos fait tant valoir, et que Daniel a ignorée. Nous avons

appris que vous êtes maître de la milice, n'abusez ? point de votre bénéfice militaire. Ne difputez ,, point la préféance aux évêques de votre département; demandez toujours leurs confeils; élevez " vos compatriotes, mais que votre prétoire foit " ouvert à tout le monde......admettez les jeunes gens à vos plaifirs, et les vieillards à vos délibé"rations, &c. 19

Cette lettre était d'un père qui donne des leçons à fon fils. Elle fait voir tout l'afcendant que la répu tation prenait fur la puiffance. La gràce fit le reste; et, bientôt après, Clovis fe fit non-feulement chrétien, mais orthodoxe.

Le jéfuite Daniel embellit fon hiftoire en fuppofant qu'il fit une harangue à ses foldats pour les engager

à

fe faire chrétiens comme lui, et qu'ils crièrent tous de concert: Nous renonçons aux dieux mortels, et nous ne voulons plus adorer que l'immortel. Nous ne reconnaissons plus d'autre Dieu que celui que le faint évêque Rémi nous prêche.

Il n'eft pas vraifemblable que toute une armée ait répondu à fon roi par une antithèfe, et par une longue phrase étudiée. Daniel aurait dû fonger que les Francs de Clovis croyaient leurs dieux immortels, tout comme les jéfuites croyaient ou feignaient de croire à l'immortalité de leur François Xavier, et de leur Ignace de Loyola.

Il eft trifte que Clovis étant à peine catéchumène fit tuer Siagrius, que les Vifigoths lui avaient remis entre les mains. Il eft encore plus trifte qu'ayant été baptifé long-temps après, il féduifit un prince franc de fes parens, nommé Sigebert, et marchanda avec lui un parricide. Sigebert affaffina fon père qui régnait dans Cologne; et Clovis, au lieu de payer l'argent promis, l'affaffina lui-même, et fe rendit maître de la ville. Il traita de même un autre prince nommé Kararic.

Il y avait un autre franc, nommé Ranacaire, qui commandait dans Cambrai. Il fit un marché avec les propres foldats de ce Ranacaire pour l'affaffiner, et quand les meurtriers lui demandèrent leur falaire, il les paya en fauffe monnaie.

Un autre de fes camarades francs, Rencomer, s'était cantonné dans le pays du Maine, il le fit poignarder de même par des coupe-jarrets, et fe défit ainfi de tous ceux qui lui fefaient quelque ombrage.

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