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honnêtes et fi bons, il y fait des princes bien rapaces et bien tyrans. Il ne s'en fouvient plus ici; il copie la lettre d'un jéfuite nommé Bouchet au préfident Cochet, inférée dans le quatorzième recueil des Lettres curieuses et édifiantes; et il copie trop fouvent ce recueil. Ce Bouchet, dès qu'il eft arrivé à Pondichéri, avant de favoir un mot de la langue du pays, (c) répète à M. Cochet tous les contes qu'il a entendu faire à des facteurs. J'en crois plus volontiers le colonel Scrafton, qui a contribué aux, conquêtes du lord Clive, et qui joint à la franchise d'un homme de guerre une intelligence profonde de la langue des brames.

Voici fes paroles, que j'ai citées ailleurs.

"Je vois avec furprise tant d'auteurs affurer que les poffeffions des terres ne font point héréditaires dans ce pays, et que le prince eft l'héritier ,, universel. Il eft vrai qu'il n'y a point d'acte de ,, parlement qui retienne l'autorité impériale dans ,, fes limites; mais l'ufage confacré et invariable de , tous les tribunaux, eft que chacun hérite de fes , pères. Cette loi non écrite eft plus constamment obfervée qu'en aucun Etat monarchique. ››

Cette déclaration d'un des conquérans des plus belles contrées de l'Inde, vaut bien celle d'un

(c) J'ai connu autrefois ce Bouchet; c'était un imbécille, auffi-bien que frère Courbeville, fon compagnon. Il a vu des femmes indiennes prouver leur fidélité à leurs maris en plongeant une main dans l'huile bouillante fans ans fe brûler. Il ne favait pas que le fecret confifte à verser l'eau dans le vafe long-temps avant l'huile, et que l'huile eft encore froide quand l'eau qui bout foulève l'huile à gros bouillon. Il répète l'hiftoire des deux Sofies pour prouver le chriftianifme aux brames.

jéfuite, et toutes deux doivent balancer au moins l'opinion de ceux qui prétendent que cette riche partie de la terre, peuplée de cent dix millions d'hommes, n'eft habitée que par des defpotes et des efclaves.

Toutes les relations qui nous font venues de la Chine nous ont appris que chacun y jouit de fon bien beaucoup plus librement que dans l'Inde. Il n'eft pas croyable qu'il y ait un feul pays dans le monde, où la fortune et les droits des citoyens dépendent du chaud et du froid.

Le climat étend fon pouvoir, fans doute, fur la force et la beauté du corps, fur le génie, fur les inclinations. Nous n'avons jamais entendu parler ni d'une Phrynee famoïede ou négreffe, ni d'un Hercule lapon, ni d'un Newton topinambou; mais je ne crois pas que l'illuftre auteur ait eu raifon d'affirmer que les peuples du Nord ont toujours vaincu ceux du Midi : car les Arabes acquirent par les armes, en très-peu de temps, au nom de leur patrie, un empire auffi étendu que celui des Romains, et les Romains eux-mêmes avaient fubjugué les bords de la mer Noire, qui font prefqu'auffi froids que ceux de la mer Baltique.

L'illuftre auteur croit que les religions dépendent du climat. Je penfe avec lui que les rites en dépendent entièrement. Mahomet n'aurait défendu le vin et les jambons, ni à Baïonne, ni à Maïence. On entrait chauffé dans les temples de la Tauride qui est un pays froid; il fallait entrer nus-pieds dans celui de Jupiter Ammon, au milieu des fables brûlans. On ne

s'avisera point en Egypte de peindre Jupiter armé du tonnerre, puisqu'il y tonne fi rarement. On ne figurera point les réprouvés par l'emblême des boucs dans une île comme Ithaque, où les chèvres font la principale richesse du pays.

Une religion dont les cérémonies les plus effentielles fe feront avec du pain et du vin, quelque fublime, quelque divine qu'elle foit, ne réuffira pas d'abord dans un pays où le vin et le froment font inconnus.

La croyance, qui conftitue proprement la religion, eft d'une nature toute différente. Elle dépendit chez les Gentils uniquement de l'éducation. Les enfans troyens furent élevés dans la perfuafion qu'Apollon et Neptune avaient bâti les murs de Troye, et les enfans athéniens bien appris ne doutaient pas que Minerve ne leur eût donné des olives. Les Romains, les Carthaginois eurent une autre mythologie. Chaque peuple eut la fienne.

Je ne puis croire à la faibleffe d'organes que Montefquieu attribue aux peuples du Midi, et à cette pareffe d'efprit qui fait, felon lui, que les lois, les mœurs et les manières font aujourd'hui en Orient comme elles étaient il y a mille ans. Montefquieu dit toujours que les lois forment les manières. J'aurais dit les ufages. Mais il me femble que les manières du chriftianisme détruifirent, depuis Conftantin, les manières de la Syrie, de l'Afie mineure et de l'Egypte; que les manières un peu brutales de Mahomet chafsèrent les belles manières des anciens Perfes, et même les nôtres. Les Turcs font venus enfuite qui ont tout

bouleversé, de façon qu'il n'en refte plus rien que les eunuques et les pouffes. (13)

Efclavage.

Si quelqu'un a jamais combattu pour rendre aux efclaves de toute efpèce le droit de la nature, la liberté, c'eft affurément Montefquieu. Il a oppofé la raison et l'humanité à toutes les fortes d'efclavages; à celui des nègres qu'on va acheter fur la côte de Guinée pour avoir du fucre dans les îles Caraïbes; à celui des eunuques, pour garder les femmes et pour chanter le deffus dans la chapelle du pape; à celui des infortunés mâles et femelles qui facrifient leur volonté, leurs devoirs, leurs penfées, toute leur existence, dans un âge où les lois ne permettent pas qu'on difpofe d'un fonds de quatre piftoles. Il a même attaqué adroitement cette espèce d'efclavage qui fait d'un citoyen, un diacre ou un fousdiacre, et qui vous prive du droit de perpétuer votre famille, à moins que vous ne rachetiez ce droit à Rome chez un protonotaire; dignité qui fut inconnue aux Marcellus et aux Scipion. Il a fur-tout déployé fon éloquence contre l'efclavage de la glèbe, où

(13) On a peut-être attribué trop d'influence au climat. Il parait que par-tout la fociété humaine a été formée par de petites peuplades qui, après s'être plus ou moins civilifées, ont fini par se réunir ou par être absorbées dans de grands empires. La différence la plus réelle eft celle qui exifte entre les Européans et le refte du globe; et cette difference eft l'ouvrage des Grecs. Ce font les philofophes d'Athènes, de Milet, de Syracufe, d'Alexandrie, qui ont rendu les habitans de l'Europe actuelle fupérieurs aux autres hommes. Si Xerxès cût vaincu à Salamine, nous ferions peut-être encore des barbares.

croupiffent encore tant de cultivateurs, gémiffans fous des commis pour prix de nourrir des hommes leurs frères.

Je veux me joindre à ce défenfeur de la nature humaine, et j'ofe m'adreffer, à qui? au roi de France lui-même, quoique je fois un étranger. Un perfan et un indien des îles moluques vinrent demander juftice à Louis XIV et l'obtinrent. Pourquoi ne la demanderais-je pas à Louis XVI? Je me jette de loin à fes pieds, et je lui dis :

Petit-fils de faint Louis, achevez l'ouvrage de votre père. Je ne vous implore pas pour que vous alliez débarquer à Joppé, fur le rivage où l'on dit qu'Andromède fut expofée à un monftre marin, et que Jonas fut avalé par un autre ; je ne vous conjure pas de quitter votre royaume de France pour aller venger le baron de Lufignan, que le grand Saladin chaffa autrefois de fon petit royaume de Jérusalem, et pour délivrer quelques defcendans inconnus de nos infenfés croifés, lefquels descendans pourraient avoir hérité des fers de leurs ancêtres, et fervir des mufulmans dans l'Arabie ou dans l'Egypte; mais je vous conjure de délivrer plus de cent mille de vos fidèles fujets qui font chez vous esclaves des moines. Il est difficile de comprendre, comment des faints qui ont fait vou d'humilité, d'obéiffance et de chafteté, ont cependant des royaumes dans votre royaume, et commandent à des efclaves qu'ils appel

lent leurs main-mortables.

Dom Titrier fit, vers le milieu du quatorzième fiècle, des titres authentiques, fignés de tous les rois et de tous les empereurs des fiècles précédens, par

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