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Grâces au ciel et à la raison, les Etats fur lefquels vous devez régner un jour, font préfervés de ces fléaux et de cet opprobre. Remarquez qu'ils n'ont fleuri que depuis que vos étables d'Augias ont été nettoyées de ces immondices.

Voyez fur-tout l'Angleterre, avilie autrefois jufqu'à être une province de Rome, province dépeuplée, pauvre, ignorante et turbulente; maintenant elle partage l'Amérique avec l'Espagne, et elle en possède la partie réellement la meilleure; car fi l'Espagne a les métaux, l'Angleterre a les moiffons que ces métaux achètent. Elle a dans ce continent les feules terres qui produifent les hommes robuftes et courageux; et, tandis que de miférables théologiens de la communion romaine difputent pour favoir fi les Américains font enfans de leur Adam, les Anglais s'occupent à fertilifer, à peupler et enrichir deux milles lieues de terrain, et à y faire un commerce de trente millions d'écus par année. Ils règnent fur la côte de Coromandel au bout de l'Afie; leurs flottes dominent fur les mers, et ne craindraient pas les flottes de l'Europe entière réunies.

Vous voyez clairement que, toutes chofes d'ailleurs égales, un royaume proteftant doit l'emporter fur un royaume catholique, puifqu'il possède en matelots, en foldats, en cultivateurs, en manufactures, ce que l'autre possède en prêtres, en moines et en reli ques; il doit avoir plus d'argent comptant, puifque fon argent n'eft point enterré dans des tréfors de Notre-Dame de Lorette, et qu'il fert au commerce, au lieu de couvrir des os de morts qu'on appelle des corps faints; il doit avoir de plus riches moiffons,

puifqu'il a moins de jours d'oifiveté confacrés à de vaines cérémonies, au cabaret et à la débauche. Enfin les foldats des pays proteflans doivent être les meilleurs; car le Nord eft plus fécond en hommes vigoureux, capables des longues fatigues et patiens dans les travaux, que les peuples du Midi, occupés de proceffions, énervés par le luxe, et affaiblis par un mal honteux qui a fait dégénérer l'efpèce fi fenfiblement, que, dans mes voyages, j'ai vu deux cours brillantes où il n'y avait pas dix hommes capables de fupporter les travaux militaires. Auffi a-t-on vu un feul prince du Nord, dont les Etats n'étaient pas comptés pour une puiffance dans le fiècle paffé, réfifter à tous les efforts des maifons d'Autriche et de France.

I I I.

Ne perfécutez jamais perfonne pour fes fentimens fur la religion, cela eft horrible devant DIEU et devant les hommes. JESUS-CHRIST, loin d'être oppreffeur, a été opprimé. S'il y avait dans l'univers un être puissant et méchant, ennemi de DIEU, comme l'ont prétendu les manichéens, fon partage ferait de perfécuter les hommes. Il y a trois religions établies de droit humain dans l'Empire; je voudrais qu'il y en eût cinquante dans vos Etats, ils en feraient plus riches, et vous en feriez plus puiffant. Rendez toute fuperftition ridicule et odieuse, vous n'aurez jamais rien à craindre de la religion. Elle n'a été terrible et fanguinaire, elle n'a renverfé des trônes que lorfque les fables ont été accréditées et les erreurs réputées faintes. C'eft l'infolente abfurdité des deux glaives; c'eft la prétendue donation de

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117 Conftantin; c'eft la ridicule opinion qu'un payfan juif de Galilée avait joui vingt-cinq ans à Rome des honneurs du fouverain pontificat; c'eft la compilation des prétendues décrétales, faite par un fauffaire; c'est une fuite non interrompue, pendant plufieurs fiècles, de légendes mensongères, de miracles impertinens, de livres apocryphes, de prophéties attribuées à des fibylles; c'est enfin ce ramas odieux d'impostures qui rendit les peuples furieux, et qui fit trembler les rois. Voilà les armes dont on fe fervit pour dépofer le grand empereur Henri IV, pour le faire profterner aux pieds de Grégoire VII, pour le faire mourir dans la pauvreté, et pour le priver de la fépulture; c'est de cette fource que fortirent toutes les infortunes des deux Frédéric; c'eft ce qui a fait nager l'Europe dans le fang pendant des fiècles. Quelle religion que celle qui ne s'eft jamais foutenue, depuis Constantin, que par des troubles civils ou par des bourreaux! Ces temps ne font plus; mais gardons qu'ils ne reviennent. Cet arbre de mort, tant élagué dans fes branches, n'eft point encore coupé dans fa racine; et tant que la fecte romaine aura des fortunes à diftribuer, des mitres, des principautés, des tiares à donner, tout eft à craindre pour la liberté et pour le repos du genre humain. La politique a établi une balance entre les puiffances de l'Europe; il n'est pas moins néceffaire qu'elle en forme une entre les erreurs, afin que, balancées l'une par l'autre, elles laiffent le monde en paix.

On a dit fouvent que la morale qui vient de DIEU réunit tous les efprits, et que le dogme qui vient des hommes les divife. Ces dogmes infenfés, ces

monftres, enfans de l'école, fe combattent tous dans l'école; mais ils doivent être également méprifés des hommes d'Etat; ils doivent tous être rendus impuiffans par la fageffe de l'adminiftration, Ce font des poisons dont l'un fert de remède à l'autre ; et l'antidote univerfel contre ces poifons de l'ame c'est le mépris.

I V.

Soutenez la justice, fans laquelle tout eft anarchie et brigandage. Soumettez-vous-y le premier vousmême; mais que les juges ne foient que juges et non maîtres, qu'ils foient les premiers efclaves de la loi, et non les arbitres. Ne fouffrez jamais qu'on exécute à mort un citoyen, fût-il le dernier mendiant de vos Etats, fans qu'on vous ait envoyé fon procès, que vous ferez examiner par votre confeil. Ce miférable eft un homme, et vous devez compte de fon fang.

Que les lois chez vous foient fimples, uniformes, aifées à entendre de tout le monde. Que ce qui est vrai et jufte dans une de vos villes ne foit pas faux et injufte dans une autre cette contradiction anarchique eft intolérable.

Si jamais vous avez befoin d'argent par le malheur des temps, vendez vos bois, votre vaiffelle d'argent, vos diamans, mais jamais des offices de judicature. Acheter le droit de décider de la vie et de la fortune des hommes, c'est le plus fcandaleux marché qu'on ait jamais fait. On parle de fimonie : y a-t-il une plus lâche fimonie que de vendre la magiftrature? car y a-t-il rien de plus faint que les lois?

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Que vos lois ne foient ni trop relâchées ni trop févères. Point de confifcation de biens à votre profit; c'est une tentation trop dangereufe. Ces confifcations ne font, après tout, qu'un vol fait aux enfans d'un coupable. Si vous n'arrachez pas la vie à ces enfans innocens, pourquoi leur arrachez-vous leur patrimoine? n'êtes-vous pas affez riche fans vous engraiffer du fang de vos fujets? Les bons empereurs, dont nous tenons notre légiflation, n'ont jamais admis ces lois barbares.

Les fupplices font malheureusement néceffaires; il faut effrayer le crime; mais rendez les fupplices utiles; que ceux qui ont fait tort aux hommes fervent les hommes. Deux fouveraines du plus vafte empire du monde ont donné fucceffivement ce grand exemple. Des pays affreux défrichés par des mains criminelles n'en ont pas moins été fertiles. Les grands chemins réparés par leurs travaux toujours renaissans, ont fait la fureté et l'embelliffement de l'empire.

Que l'ufage affreux de la queftion ne revienne jamais dans vos provinces, excepté le cas où il s'agirait évidemment du falut de l'Etat.

La queftion, la torture fut d'abord une invention des brigands, qui, venant piller des maisons, fefaient fouffrir des tourmens aux maîtres et aux domestiques, jufqu'à ce qu'ils euffent découvert leur argent caché; enfuite, les Romains adoptèrent cet horrible usage contre les esclaves qu'ils ne regardaient pas comme des hommes; mais jamais les citoyens romains n'y furent exposés.

Vous favez d'ailleurs que dans les pays où cette coutume horrible eft abolie, on ne voit pas plus de

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