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TRAGÉDIE,

TIRÉE DE L'ÉCRITURE SAINTE,

PAR RACINE.

Chez

A PARIS,

BELIN, Libraire, rue Saint-Jacques,
près Saint-Yves,

BRUNET, Libraire, rue de Marivaux,
Place du Théatre Italien.

M. DCC. LXXXVII,

.

Cercle Français gift 1-10-1927

PRÉFA CE.

LA célebre Maison de Saint-Cyr ayant été principalement établie pour élever dans la piété un fort grand nombre de jeunes Demoiselles, rassemblées de tous les endroits du Royaume, on n'y a rien oublié de tout ce qui pouvoit contribuer à les rendre capables de servir Dieu, dans les différens états où il lui plaira de les appeler; mais, en leur montrant les choses essentielles et nécessaires, on ne néglige pas de leur apprendre celles qui peuvent servir à leur polir l'esprit et à leur former le jugement. On a imaginé pour cela plusieurs moyens, qui, sans les détourner de leur travail et de leurs exercices ordinaires, les instruisent, en les divertissant. On leur met, pour ainsi dire, à profit leurs heures de récréation. On leur fait faire entr'elles, sur leurs principaux devoirs, des conversations ingénieuses, qu'on leur a composées exprès, ou qu'elles-mêmes composent, sur le champ. On

les fait parler sur les histoires qu'on leur a lues, ou sur les importantes vérités qu'on leur a enseignées. On leur fait réciter par cœur et déclamer les plus beaux endroits des meilleurs Poëtes; et cela leur sert sur tout à les défaire de quantité de mauvaises prononciations, qu'elles pourroieut avoir apportées de leurs Provinces. On a soin aussi de faire apprendre à chanter à celles qui ont de la voix, et on ne leur laisse pas perdre un talent qui les peut amuser innocemment, et qu'elles peuvent employer un jour à chanter les louanges de Dieu.

Mais la plupart des plus excellens vers de notre langue ayant été composés sur des matieres fort profanes, et nos plus beaux airs étant sur des paroles extrêmement molles et efféminées, capables de faire des impressions dangereuses sur de jeunes esprits, les personnes illustres qui ont bien voulu prendre la principale direction de cette Maison ont souhaité qu'il y eût quelque Ouvrage qui, sans avoir tous ces défauts, pût produire une partie de ces bons effets. Elles me firent l'honneur de me communiquer leur des→ sein, et même de me demander si je ne pourrois

pas faire, sur quelque sujet de piété et de morale, une espece de Poëme, où le chant fût mêlé avec le récit; le tout lié par une action qui rendît la chose plus vive et moins capable d'ennuyer.

Je leur proposai le sujet d'Esther, qui les frappa d'abord, cette histoire leur paroissant pleine de grandes leçons d'amour de Dieu, et de détachement du monde, au milieu du monde même ; et je crus, de mon côté, que je trouverois assez de facilité à traiter ce sujet, d'autant plus qu'il me sembla que, sans altérer aucune des circons→ tances tant soit peu considérables de l'EcritureSainte, ce qui seroit, à mon avis, une espece de sacrilége, je pourrois remplir toute mon action avec les seules scenes que Dieu lui-même, pour ainsi-dire, a préparées.

J'entrepris donc la chose, et je m'apperçus. qu'en travaillant sur le plan qu'on m'avoit donné, j'exécutois, en quelque sorte, un dessein qui m'avoit souvent passé dans l'esprit, qui étoit de lier, comme dans les anciennes Tragédies Grecques, le Choeur et le chant avec l'action et d'employer à chanter les louanges du vra Dieu

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