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n'approche de la peinture autant que la métaphore; son effet particulier est de donner de la clarté et de la force aux descriptions, de rendre les idées intellectuelles, en quelque sorte visibles à l'œil, en leur donnant de la couleur, de la substance et des qualités sensibles; mais pour produire cet effet, il faut une main habile et délicate, car le moindre défaut d'exactitude peut produire de la confusion sur l'objet, au lieu d'y répandre du jour. Pour faire mieux sentir le mérite de cette figure, je citerai un passage de

Boileau :

Jadis de nos auteurs les pointes ignorées
Furent de l'Italie en nos vers attirées.
Le vulgaire ébloui de leur faux agrément,
A ce nouvel appât courut avidement.
La faveur du public excitant leur audace,
Leur, nombre impétueux inonda le Parnasse ;
Le madrigal d'abord en fut enveloppé;
Le sonnet orgueilleux lui-même en fut frappé ;
La tragédie en fit ses plus chères délices ;
* L'élégie en orna ses douloureux caprices:
Un héros sur la scène eut soin de s'en parer,
Et sans pointe un amant n'osa plus soupirer:
On vit tous les bergers, dans leurs plaintes nouvelles,,,
Fidèles à la pointe encor plus qu'à leurs belles;
Chaque mot eut toujours deux visages divers ;
La prose la reçut aussi-bien que
les vers,;
L'avocat au palais en hérissa son style,
Et le docteur en chaire en sema l'évangile.

La raison outragée enfin ouvrit les

yeux,.

La chassa pour jamais des discours sérieux,

Et dans tous ses écrits la déclarant infâme,
Par grâce lui laissa l'entrée en l'épigramme,
Pourvu que sa finesse éclatant à propos,

Roulât sur la pensée, et non pas sur les mots.
Ainsi de toutes parts les désordres cessèrent,
Toutefois à la cour les turlupins restèrent,
Insipides plaisans, bouffons infortunés,

D'un jeu de mots grossiers partisans surannés.
Ce n'est pas quelquefois qu'une muse un peu fine
Sur un mot, en passant, ne joue et ne badine,
Et d'un sens détourné n'abuse avec succès;
Mais, fuyez sur ce point un ridicule excès,
Et n'allez pas toujours, d'une pointe frivole,
Aiguiser par la queue une épigramme folle.

Combien de différentes pensées, renfermées dans ces vers, ne perdraient-elles pas de leur force et de leur beauté, si on les présentait sous la forme d'une similitude, ou qu'on substituât les expressions prises dans le sens naturel? Il est nécessaire de donner quelques règles sur l'emploi des métaphores.

D'abord, elles ne doivent pas être répandues avec profusion; elles doivent être adaptées à la nature du sujet qu'on traite: elles ne doivent pas être brillantes et plus élevées que le sujet ne le comporte; il ne faut pas qu'elles donnent au style une sorte d'enflure, ni qu'elles lui ôtent la dignité qu'il doit avoir.

Il y a des métaphores permises, belles même

en poésie, et qui, en prose, paraîtraient absurdes ou peu naturelles. D'autres conviennent au style oratoire, et seraient déplacées dans une compo. sition historique ou philosophique. Il faut toujours se rappeler que les figures ne sont que le vêtement de la pensée.

La seconde règle est relative au choix des objets d'où l'on tire les métaphores et les autres. figures. Un vaste champ est ouvert au langage figuré. La nature entière, pour user nous-mêmes de figure, étale à nos yeux ses richesses et nous permet de prendre, dans tous les objets sensibles, ce qui peut éclairer nos idées intellectuelles et morales. Ge ne sont pas seulement les objets riches et brillans, mais encore ceux qui sont graves ou terribles, sombres même et hideux, qui peuvent fournir des figures assorties au sujet. Mais il faut se garder de faire jamais aucune allusion qui rappelle à l'esprit des idées désagréables, basses et dégoûtantes,

Lors même que les métaphores sont choisies dans le dessein d'avilir ou de dégrader un objet, un auteur doit s'étudier à ne pas exciter le dégoût par ses allusions.

Cicéron blâme un orateur de son temps d'avoir appelé son adversaire le fumier du palais

Stercus curiæ. La ressemblance, dit-il, est bien saisie; mais la pensée d'une telle ressemblance blesse la bienséance.

En troisième lieu, en observant que les objets d'où l'on tire les métaphores doivent avoir quelque dignité, il ne faut rien négliger pour que la ressemblance, qui est le fondement de la métaphore, soit claire et frappante.

Il n'y a point de grâce pour excuser les métaphores forcées, d'y joindre la phrase, pour ainsi dire, dont quelques écrivains font un trèsgrand usage. Une métaphore, qui a besoin de cette excuse, ne doit point être admise.

En quatrième lieu, il faut faire attention, dans l'emploi des métaphores, à ne point mêler le langage propre et le langage figuré, à ne composer jamais une période de manière qu'une partie doive être prise métaphoriquement, et l'autre dans le sens littéral.

En cinquième lieu, si c'est une faute de mêler le langage propre et le langage métaphorique, c'en est une plus grande de s'exprimer de manière que deux métaphores différentes se rencontrent dans le même objet. C'est ce qu'on appelle une métaphore mixte, qui est l'abus le plus choquant que l'on puisse faire de cette figure. Telle est cette

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expression : « Prendre les armes contre une mer de douleurs.» Cela produit un mélange contre nature, qui déroute totalement l'imagination. Quintilien nous a suffisamment prémunis contre cette faute. Ayez surtout soin, dit-il, de finir par le même genre de métaphore par lequel vous avez commencé. Il y a des auteurs qui commencent par une tempête et qui finissent par un incendie. C'est une inconséquence grave.

Observez quel groupe d'objets incompatibles se présente dans le passage suivant. Il est extrait d'une pièce intitulée la Tempête. Il s'agit de quelques personnes qui recouvrent leur jugement, lorsque l'enchantement qui le leur avait fait perdre est détruit; le charme se dissout peu à peu, et comme le matin se glisse furtivement sur la nuit et en fond l'obscurité, ainsi leurs esprits, prenant l'essor, commencent à chasser les fumées ignorantes qui voilent leur raison éclairée.

Il y a là tant de choses mal-assorties, que l'esprit ne peut rien voir avec clarté.

Le matin qui se glisse furtivement sur l'obscurité, et qui en même temps la fond; les esprits des hommes qui chassent des fumées, des fumées ignorantes, et des fumées qui voilent. Un poète peint un ange qui franchit les airs, et le repré

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