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sans rougir les petits enfants1 (parvuli), et qui les ait offerts en exemple aux hommes:

Et accipiens puerum, statuit eum in medio eorum : quem cum complexus esset, ait aliis:

« Quisquis unum ex hujusmodi pueris receperit in nomine meo me recipit. »

Et ayant pris un petit enfant, il l'assit au milieu d'eux, et l'ayant embrassé, il leur dit :

«Quiconque reçoit en mon nom un petit enfant me reçoit 2. »

Lorsque la veuve d'Hector dit à Céphise, dans Racine :

Qu'il ait de ses aïeux un souvenir modeste;
Il est du sang d'Hector, mais il en est le reste :

qui ne reconnoît la chrétienne? C'est le deposuit potentes de sede. L'antiquité ne parle pas de la sorte, car elle n'imite que les sentiments naturels : or, les sentiments exprimés dans ces vers de Racine ne sont point purement dans la nature; ils contredisent au contraire la voix du cœur. Hector ne conseille point à son fils d'avoir de ses aïeux un souvenir modeste; en élevant Astyanax vers le ciel, il s'écrie:

Ζεῦ ἄλλοι τε θεοὶ, δότε δὴ καὶ τόνδε γενέσθαι,
Παῖδ ̓ ἐμόν, ὡς καὶ ἐγὼ περ' ἀριπρεπέα Ηρώεσσιν.
ὧδε βίγν τ' ἀγαθὸν, καὶ Ἰλίου ἔφι ἀνάσσειν.

Καὶ ποτέ τὶς εἴπῃσι, πατρὸς δ ̓ ὅγε πολλὸν ἀμείνων,
Εκ πολέμου ἀνιόντα, etc. 3.

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MATH., cap. XVIII, v. 3. 2 MARC., cap. IX, V. 3 Iliad., lib. vi, v. 476.

35, 36.

<< O Jupiter, et vous tous, dieux de l'Olympe, que mon fils règne, comme moi, sur Ilion; faites qu'il obtienne l'empire entre les guerriers; qu'en le voyant revenir chargé des dépouilles de l'ennemi, on s'écrie: Celui-ci est encore plus vaillant que son père! >>

Énée dit à Ascagne:

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Et te, animo repetentem exempla tuorum,

Et pater Æneas, et avunculus excitet Hector'.

A la vérité l'Andromaque moderne s'exprime à peu près comme Virgile sur les aïeux d'Astyanax. Mais, après ce vers :

Dis-lui par quels exploits leurs noms ont éclaté,

elle ajoute :

Plutôt ce qu'ils ont fait que ce qu'ils ont été.

Or, de tels préceptes sont directement opposés au cri de l'orgueil: on y voit la nature corrigée, la nature plus belle, la nature évangélique. Cette humilité que le christianisme a répandue dans les sentiments, et qui a changé pour nous le rapport des passions, comme nous le dirons bientôt, perce à travers tout le rôle de la moderne Andromaque. Quand la veuve d'Hector, dans l'Iliade, se représente la destinée qui attend son fils, la peinture qu'elle fait de la future misère d'Astyanax a quelque chose de bas et de honteux; l'humilité, dans

1 En., lib. xII, v. 439, 440.

notre religion, est bien loin d'avoir un pareil langage: elle est aussi noble qu'elle est touchante. Le chrétien se soumet aux conditions les plus dures de la vie : mais on sent qu'il ne cède que par un principe de vertu; qu'il ne s'abaisse que sous la main de Dieu, et non sous celle des hommes; il conserve sa dignité dans les fers: fidèle à son maître sans lâcheté, il méprise des chaînes qu'il ne doit porter qu'un moment, et dont la mort viendra bientôt le délivrer; il n'estime les choses de la vie que comme des songes, et supporte sa condition sans se plaindre, parce que la liberté et la servitude, la prospérité et le malheur, le diadème et le bonnet de l'esclave, sont peu différents à ses yeux.

CHAPITRE VII.

LE FILS.

GUZMAN.

Voltaire va nous fournir encore le modèle d'un autre caractère chrétien, le caractère du fils. Ce n'est ni le docile Télémaque avec Ulysse, ni le fougueux Achille avec Pélée : c'est un jeune homme passionné, dont la religion combat et subjugue les penchants.

Alzire, malgré le peu de vraisemblance des mœurs, est une tragédie fort attachante; on y plane au milieu de ces régions de la morale chrétienne, qui, s'élevant au-dessus de la morale vul

gaire, est d'elle-même une divine poésie. La paix qui règne dans l'âme d'Alvarez n'est point la seule paix de la nature. Supposez que Nestor cherche à modérer les passions d'Antiloque, il citera d'abord des exemples de jeunes gens qui se sont perdus pour n'avoir pas voulu écouter leurs pères; puis, joignant à ces exemples quelques maximes connues sur l'indocilité de la jeunesse et sur l'expérience des vieillards, il couronnera ses remontrances par son propre éloge, et par un regret sur les jours du vieux temps.

L'autorité qu'emploie Alvarez est d'une autre espèce: il met en oubli son âge et son pouvoir paternel, pour ne parler qu'au nom de la religion. Il ne cherche pas à détourner Guzman d'un crime particulier; il lui conseille une vertu générale, la charité, sorte d'humanité céleste, que le Fils de l'Homme a fait descendre sur la terre, et qui n'y habitoit point avant l'établissement du christianisme 1. Enfin Alvarez, commandant à son fils comme père, et lui obéissant comme sujet, est un de ces traits de haute morale aussi supérieure à la morale des anciens, que les Évangiles surpassent les dialogues de Platon, pour l'enseignement des vertus.

Achille mutile son ennemi, et l'insulte après l'avoir abattu. Guzman est aussi fier que le fils de

'Les anciens eux-mêmes devoient à leur culte le peu d'humanité qu'on remarque chez eux : l'hospitalité, le respect pour les suppliants et pour les malheureux, tenoient à des idées religieuses. Pour que le misérable trouvât quelque pitié sur la terre, il falloit que Jupiter s'en déclaråt le protecteur; tant l'homme est féroce sans la religion!

Pélée percé de coups par la main de Zamore, expirant à la fleur de l'âge, perdant à la fois une épouse adorée et le commandement d'un vaste empire, voici l'arrêt qu'il prononce sur son rival et son meurtrier, triomphe éclatant de la religion et de l'exemple paternel sur un fils chrétien :

(A Alvarez.)

Le ciel qui veut ma mort et qui l'a suspendue,
Mon père, en ce moment m'amène à votre vue.
Mon âme fugitive et prête à me quitter

S'arrête devant vous... mais pour vous imiter.

Je meurs; le voile tombe, un nouveau jour m'éclaire :
Je ne me suis connu qu'au bout de ma carrière.
J'ai fait, jusqu'au moment qui me plonge au cercueil,
Gémir l'humanité du poids de mon orgueil.

Le ciel venge la terre : il est juste, et ma vie
Ne peut payer le sang dont ma main s'est rougie.
Le bonheur m'aveugla, la mort m'a détrompé;
Je pardonne à la main par qui Dieu m'a frappé :
J'étais maitre en ces lieux, seul j'y commande encore,
Seul je puis faire grâce, et la fais à Zamore.
Vis, superbe ennemi; sois libre, et te souvien
Quel fut et le devoir et la mort d'un chrétien.

(4 Montèze, qui se jette à ses pieds.)
Montèze, Américains, qui fûtes mes victimes,
Songez que ma clémence a surpassé mes crimes;
Instruisez l'Amérique, apprenez à ses rois

Que les chrétiens sont nés pour leur donner des lois.

(A Zamore.)

Des dieux que nous servons connais la différence :
Les tiens t'ont commandé le meurtre et la vengeance,
Et le mien, quand ton bras vient de m'assassiner,
M'ordonne de te plaindre et de te pardonner.

A quelle religion appartiennent cette morale et cette mort? Il règne ici un idéal de vérité au-des

GÉNIE DU CHRIST. T. II.

3

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