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HARVARD COLLEGE LIBRARY FROM THE LIBRARY OF GAMALIEL BRADFORD VI MAY 24, 1942

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BOILEAU-DESPRÉAUX (1636-1711)

A vie de Boileau est la vie simple et dépourvue d'incidents d'un célibataire rangé. Il naquit à Paris, le

1er novembre 1636, dans la cour du Palais de justice, en face de la Sainte Chapelle. Il venait le quinzième enfant de Gilles Boileau, greffier à la grand'chambre, et sortait ainsi d'une famille illustre dans la robe depuis trois cents ans, s'il est vrai qu'en 1371 Jean Boileau, notaire et secrétaire du roi, reçut des lettres de noblesse. Nicolas perdit sa mère, Anne de Nyelle, à dix-huit mois: et son enfance, qui s'écoula sous la surveillance d'une vieille domestique, soit à Paris, soit à Clignancourt, soit à Crosnes, où son père avait des biens (c'est d'un pré de ce dernier village que serait venu au poète, dit-on, son nom de Despréaux), ne connut pas les soins ni les douceurs d'une éducation maternelle. Il fit ses études au collège d'Harcourt, où il fut mis à huit ans, puis au collège de Beauvais. A quatorze ans, il subit l'opération de la taille avec des suites si malheureuses qu'il en demeura estropié : là est l'origine d'un certain nombre de légendes et de plaisanteries fâcheuses sur l'indifférence de Boileau pour les femmes. Son père le destinant à l'état ecclésiastique, il reçut la tonsure en 1647 et s'engagea dans les études théologiques à la Sorbonne mais il y renonça, car il n'avait pas la vocation. Sorti de la théologie, il étudia le droit et dut s'initier aux secrets de la procédure chez son beau-frère le greffier Dongois. Il fut reçu avocat au parlement en décembre 1656. Mais la jurisprudence ne lui convenait en rien, et déjà il s'essayait

à rimer. Aussi abandonna-t-il les dossiers peu après la mort de son père, qui survint le 2 février 1657. Une aisance. honnête, qu'il sut ménager avec économie, lui permit de vivre indépendant et de se livrer à ses goûts. Il fréquentait ces cabarets célèbres, la Pomme de Pin (chez Crenet) ou le Mouton blanc, où les hommes de lettres du temps se rencontraient avec une noblesse curieuse de bel esprit et d'idées nouvelles. Les conversations y étaient hardies et quelque peu «< libertines », avec le sens qu'on donnait alors à ce mot. On y faisait bonne chère, et le jeune Boileau aimait, comme ses congénères, à vivre joyeusement. Il avait alors pour amis intimes Molière, La Fontaine, Racine, Chapelle. On sait avec quel charme, dans son roman de Psyché, La Fontaine a rappelé l'aimable commerce de ces poètes dont quelques-uns allaient bientôt devenir les maîtres du classicisme français. De 1660 à 1665 Boileau produisit ses premières satires devant un public restreint, mais d'élite. En 1666 un libraire de Hollande s'avisa de les publier dans un Recueil contenant plusieurs discours libres et moraux. Outré des fautes de cette édition clandestine, Boileau dut se décider à faire paraître chez Billaine, sous ce titre : les Satires du Sr D***, un volume qui comprenait les sept premières satires et le Discours au roi. Les satires firent un beau bruit dans le monde littéraire. Le poète y attaquait à vrai dire des écrivains qui se trouvaient en possession de la faveur publique, qui faisaient la loi dans les salons, qui comptaient de puissants protecteurs chez les grands. Les Cotin, les Coras, les Boursault, les Pradon, les Perrault attaquèrent à leur tour le satirique par de violents pamphlets. Chapelain, chargé par Colbert d'établir la liste des pensions attribuées aux littérateurs, parvint à en écarter le nom de Boileau jusqu'en 1676. Le duc de Montausier menaçait le poète. Par bonheur, il avait de son côté des répondants aussi zélés que bien en cour, entre autres les La Rochefoucauld, le duc de Vivonne et sa sœur, Mme de Montespan, qui présenta au roi la première épître. Boileau plut à Louis XIV par la vigueur de son bon sens, la sûreté de son jugement, par sa franchise et l'indépendance de sa parole, qui, dans les questions littéraires et poétiques, allait parfois fort loin. Soutenu par d'aussi fermes appuis, il put mener une vie en somme fort unie, toute consacrée au culte des belles-lettres et de la

poésie. Ses Œuvres diverses de 1674 contenaient neuf satires, quatre épîtres, quatre chants en vers du Lutrin et tout l'Art poétique, l'essentiel de son œuvre. En 1676, il fut inscrit enfin sur la liste des pensions. En 1677, il fut chargé, avec Racine, d'écrire l'histoire du roi. Les deux poètes durent quelque temps accompagner le monarque dans les camps. Dans cet emploi si peu approprié à leurs habitudes et à leurs goûts ils furent un peu moqués, perdirent du temps et ne purent rien achever. Le roi cependant continuait à Boileau les marques de sa faveur : en 1684, il le fit élire par l'Académie française, qui, sans cette intervention, eût fait attendre encore l'auteur des Satires. Pourtant, à mesure qu'il avançait en âge, Despréaux, qui n'avait jamais été courtisan dans l'âme, allait de moins en moins à la cour. Il restreignait ses relations à quelques amitiés solides et illustres, parmi lesquelles il plaçait au meilleur rang le premier président de Lamoignon. L'illustre magistrat le voyait volontiers à son hôtel de Paris ou à son château de Bâville.

Le poète acheta lui-même à Auteuil une propriété, où il vivait l'été et recevait ses amis. On y entendait des discussions en forme car Despréaux exerça jusqu'à la fin une logique fort batailleuse. Bien qu'il comptât parmi ses commensaux de célèbres jésuites, comme les PP. Rapin, Bouhours et Bourdaloue, il inclinait fort, à la fin de sa vie, vers le jansénisme : une amitié respectueuse l'unissait au grand Arnauld. Mais le plus cher de ses amis demeurait Racine; on a conservé la correspondance des deux poètes (1687-1699): en dépit d'un ton qui semble aujourd'hui cérémonieux, elle respire partout une profonde affection. Après la mort de Racine, Boileau continua de demeurer pour les enfants de son ami un conseiller dévoué.

La querelle des anciens et des modernes vint dans ses dernières années réveiller sinon la verve, du moins l'ardeur combative du satirique. Lorsque, dans la fameuse séance du 27 janvier 1687, Charles Perrault lut à ses collègues de l'Académie française son Siècle de Louis le Grand, où il donnait la prééminence aux modernes sur les écrivains de l'antiquité, Boileau protesta vivement, justement irrité de la barbarie téméraire de Perrault et non moins de la paisible indifférence de la plupart des académiciens. Ce fut une grande querelle. Tandis que Ch. Perrault développait et appuyait sa théorie

dans ses Parallèles des anciens et des modernes (en dialogues, 1688 à 1697), Boileau publiait ses Réflexions sur Longin (les (neuf premières), où il soutenait une bonne cause avec moins de compétence parfois que d'énergie, et moins d'arguments que de personnalités. Il montra plus de courtoisie, peut-être aussi plus de justesse d'esprit dans sa Lettre à Perrault, après que, par l'entremise d'Arnauld, les deux adversaires. eurent été réconciliés. En 1698 Boileau reçut un jeune Lyonnais de vingt-sept ans, Brossette, qui, lui ayant confié son dessein de commenter son œuvre, obtint facilement du vieux critique, soit dans la conversation, soit par correspondance (les Lettres de Boileau à Brossette vont de 1699 à 1711, date de la mort de Boileau), de curieux renseignements sur sa vie et ses poésies. Ses dernières années ne furent pas aussi moroses qu'on se l'est parfois figuré. Il avait cependant des infirmités. Il était asthmatique : il lui arrivait de demeurer aphone. Il se rendit à Bourbon en 1687. Depuis il essaya une foule de remèdes. Il devenait sourd. A la fin de sa vie, il éprouva quelques ennuis du fait des jésuites qui lui reprochaient ses fréquentations jansénistes, et certaines assertions furent critiquées par eux dans son épître sur l'Amour de Dieu et plus encore dans sa satire sur l'Equivoque. Ils obtinrent même du roi qu'il défendît que cette dernière fût imprimée. Atteint d'hydropisie, Boileau mourut le 13 mars 1711 chez l'abbé Lenoir, son confesseur, léguant 50.000 livres aux pauvres.

Le caractère de Boileau semble résumer tous les traits qu'on accorde généralement au bourgeois français de l'ancien régime. Il a du bon sens. Il est ordonné dans sa vie. Il place sagement ses fonds à Lyon, et ménage sa petite aisance, qui lui permet de vivre librement. Mais en même temps il est désintéressé : il abandonne à son libraire ses droits d'auteur ; il résigne un bénéfice qu'il ne croit pas devoir garder, puisqu'il a renoncé à la carrière ecclésiastique; il achète à Patru, qui est pauvre, sa bibliothèque, tout en lui en laissant la jouissance, et obtient qu'on rende sa pension au vieux Corneille oublié, en proposant d'abandonner la sienne. Il était indépendant et fier. Il a loué le roi avec le zèle commandé par les mœurs du temps, et beaucoup aussi par admiration personnelle mais il lui parlait librement, si l'on en croit des anecdotes fameuses. Pas plus dans la conversation que dans

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